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Grain de sel (5) - Philippe Meirieu recommandait récemment à ses amis de lire le discours que Daniel Pennac a prononcé à l’université de Bologne, lors de la réception organisée en son honneur à l’occasion de sa nomination de docteur honoris causa. Un savoureux hymne aux pédagogues et passeurs, à la lecture et à l’imagination, intégralement publié sur le site de l’Express.
Je vous recommande à mon tour de le lire « cette voix de mauvais élève, d’ignorant, de celui qui ne répondait à aucun des critères que l’institution exigeait de lui ». Selon ses propres termes, « il était l’enfant illégitime de l’école, le fils mal-aimé de la mère éducative. Celui qui, sur les bancs de l’école, ne se sentait nulle part. Il était l’ignorant parmi les savants ».
 
Sa description des élèves qui entrent dans une librairie comme dans une pharmacie est un délice. « Ils se présentent au libraire avec la fameuse liste des livres à lire, comme un enfant avec son ordonnance. Il voit le libraire disparaître dans son officine, la liste à la main, et ressurgir derrière la pile des œuvres prescrites. Soit dit en passant, le terme de prescription ne me paraît pas le mieux approprié s’agissant de l’incitation à la lecture. Il sent trop sa potion : « Vous me lirez trois gouttes de Mallarmé dans un grand verre de commentaire… Un mois d’Education sentimentale et nous verrons ce que donnent vos analyses… La Recherche du temps perdu, n’interrompez surtout pas le traitement avant la fin ».
 
Mais, on ne s’en étonnera pas, la phrase qui m’a le plus touché est celle-ci :
« Je l’ai déjà dit, le désastre scolaire procède toujours de la même chaîne de causes à effets : peur de l’échec, honte d’avoir échoué, sentiment d’indignité, peur de l’avenir, solitude mentale. Une solitude saturée par le sentiment d’indignité ».
 
Et je l’ai déjà dit aussi dans de nombreuses pages de livres et de billets : cette chaîne débouche inexorablement, soit sur la résignation dès la petite enfance, soit sur la violence à l’adolescence. C’est cette résignation qui conduit aussi, plus tard, les hommes et les femmes à s’abstenir et à penser qu’ils n’ont aucune importance. Le terreau favorable au développement des extrémismes se fabrique déjà là… Ensuite, le combat contre les extrêmes sans s’attaquer au terreau est quasiment vain.
 
Quand on a la volonté et donc la patience d’observer les élèves, on lit cette résignation sur les visages et dans les regards. Ces élèves qui osent encore lever la main mais pensent que de toutes manières leur réponse sera fausse et n’intéressera pas le maître. Ces élèves qui ne lèvent plus la main, persuadés qu’ils ne savent pas. Ces élèves qui sont ailleurs depuis longtemps…
 
Ah, ces résignations et ces détresses aux conséquences terribles pour la société à long terme, ne se lisent pas dans les évaluations, les courbes, les graphiques, les usines à cases du pilotage par les résultats apparents. La déshumanisation de l’école les a même gravement accentué.
 
C’est peut-être cette résignation qui aurait le plus justifié une vraie refondation. Non ?
 
Pierre Frackowiak
Dernière modification le jeudi, 13 novembre 2014
Frackowiak Pierre

Inspecteur honoraire de l’Education nationale. Vice-président de la Ligue de l’Enseignement 62. Co-auteur avec Philippe Meirieu de "L’éducation peut-elle être encore au cœur d’un projet de société ?". Editions de l’Aube. 2008. Réédition en format de poche, 2009. Auteur de "Pour une école du futur. Du neuf et du courage." Préface de Philippe Meirieu. La Chronique Sociale. 2009. Auteur de "La place de l’élève à l’école". La Chronique Sociale. Lyon. Auteur de tribunes, analyses, sur les sites educavox, meirieu.com. Prochainement, une BD avec les dessins de J.Risso :"L"école, en rire, en pleurer, en rêver". Préface de A. Giordan. Postface de Ph. Meirieu. Chronique Sociale. 2012.