Tout commence par un défi !
Tout a commencé au réfectoire du lycée par une question de MME Guillem la CPE qui voulait que l'on lui explique le principe de la flexi-sécurité en quelques mots.
Défi relevé par Didier Ambialet, professeur de SES qui a posé son téléphone sur la table, lancé le chrono et lui a proposé une explication en 1mn chrono. L'essai étant très concluant, ils ont tout de suite pensé à une utilisation pédagogique de ce procédé.
Ils ont rapidement fait le lien avec le dispositif universitaire "Ma thèse en 180 secondes" qui, né il y a quelques années en Australie puis repris au Québec en 2012, demande à des étudiants de présenter leur travaux lors d'un exposé net, clair, et concis et ce durant 3 minutes.
Dans cet établissement dans lequel ont été menées des expériences de classe inversée dans les matières scientifiques, les élèves ont déjà utilisé les capsules vidéo dans un cadre pédagogique ; ils sont aussi, de part leur culture numérique très familiers de de type de format de média.
Les enseignants ont rapidement vu l'opportunité de s'appuyer sur les compétences numériques des élèves afin de transférer leur utilisation à des fins d'apprentissages, en classe de SES.
Pourquoi utiliser ces capsules produites par les élèves en classe ?
A la suite de diverses lectures et de bilans, l'enseignant réfléchissait déjà depuis quelques temps à la nécessité d'intégrer dans la classe la possibilité d'un travail collaboratif. Les enquêtes PISA nous incitent d'ailleurs à mettre en œuvre de façon plus généralisée des dispositifs de ce type. La création de capsules vidéos faites par les élèves était une occasion pour ceux ci d'entrer dans ces démarches collaboratives. Ce défi fortuit entre collègues fut le déclencheur car il a pu mettre en évidence que la "synthétisation" extrême pouvait être un moyen supplémentaire facilitant l'accès à la compréhension et au savoir.
L'utilisation des outils numériques connus des élèves, dans le cadre pédagogique pouvait être pour eux un facteur de motivation ; tout comme le fait de créer des documents utiles aux élèves plus jeune pour les aider à choisir leur filière. Enfin, sur le plan cognitif, pour les élèves, le fait d'avoir à rendre compte d'une pensée complexe de façon synthétique était en soit un réel travail d'assimilation et d'apprentissage.
En classe : travailler l'expression orale, le travail en équipe et la capacité à synthètiser.
Un projet de ce type permet d'instaurer facilement dans la classe des pratiques telles que le travail collaboratif qui sont loin d'être courantes dans les classes de lycée.Les élèves travaillent en équipes de 2 à 5 élèves.
Ils choisissent un thème de cours (la mobilité sociale, les politiques de relance, d’austérité, monétaire, le déclassement..). Une liste d’une centaine de thèmes a été distribuée aux élèves.
Les élèves peuvent s’aider de leur cours, utiliser des ouvrages et faire des recherches sur internet. L’enseignant est là pour guider les élèves, pour leur permettre de distinguer ce qui est accessoire de ce qui est essentiel à la synthèse. Les élèves élaborent en commun la synthèse. A la fin de la séquence, un élève par groupe présente sa synthèse à l’oral.
Cette synthèse est filmée. La vidéo est travaillée pour optimiser l’image, le son…elle est ensuite restituée à l’élève qui peut décider ou non d’y insérer des images. Les vidéos sont ensuite présentées aux autres élèves. Cela peut donner aussi lieu à un travail de remédiation (que retenez-vous de cette vidéo?, auriez-vous évoqué les mêmes éléments ?…)
Un grand pas vers la collaboration.
Les élèves ont apprécié cette proposition pédagogique. Il est probable que ce bon accueil est lié au fait qu'ils venaient d'étudier en cours de SES le livre d'Algan, Cahuc et Zylberberg :" La société de défiance" (2007).
Le livre est consultable gratuitement sur le site du Centre pour la recherche économique et ses applications (CEPREMAP) à cette adresse http://www.cepremap.fr/depot/opus/OPUS09.pdf
Les auteurs montrent que la société française produit de la "défiance" : les Français se méfient des hommes politiques, de nombreuses institutions, dont les syndicats,et plus largement ils se méfient les uns des autres. Algan Cahuc et Zylberberg montrent qu'une des raisons de cette défiance réside dans le fait que le système scolaire français met très tôt les élèves en compétition sans jamais, ou quasiment jamais, utiliser le travail collaboratif.
Certains élèves se sont investis dans l'écriture, d'autres plus dans le montage, la prise de vue ou la présentation orale, mais la réalisation des capsules a bien été le fruit d'une collaboration de tous les élèves du groupe ; certains d'entre eux sont restés toutefois réticents au fait de passer à l'oral.
Une réalisation facilitée par les outils numériques.
Point besoin d'un studio d'enregistrement ni de lourd matériel pour réaliser une capsule diffusable sur internet. Une simple tablette numérique ou un ordinateur portable permettent actuellement de réaliser les prises de vue et le montage du sujet. Dans ce projet nous avons utilisé plusieurs outils, un Ipad pour la capture vidéo ; Audacity pour le traitement et l'amélioration du son ; et pour le montage vidéo, KDenLive (Logiciel libre) Imovie sur l'Ipad. Nous prévoyons la possibilité d'un prise de son avec micro externe pour un meilleure qualité encore.
Les prises de vue ont été faites dans le cadre des heure de cours ce qui a nécessité de la part des élèves de mobiliser beaucoup d'attention. Lors du cours alors qu'un groupe préparait l'enregistrement le reste de la classe travaillait comme d'habitude mais lors des prises vidéo la classe se tenait au silence parfait pour ne pas perturber l'enregistrement. Comme cet atelier avait du sens pour tous les élèves cette "discipline" n'a pas véritablement posé de problème.
Les apports de cette démarche.
Ce type de travail me semble positif à la fois pour les meilleurs élèves (qui trouvent dans ce type de dispositif un moyen de travailler leur expression orale) et surtout pour les élèves en difficulté. Cela leur permet, par exemple, de travailler les méthodes de travail : le fait de passer à l'oral leur permet de mieux appréhender le faible intérêt d'apprendre par cœur et, pour reprendre Boileau, que "ce qui se conçoit bien s'énonce clairement".
Les élèves progressent en mutualisant leur savoir, le cours devient un espace d’échange entre eux. Les enquêtes PISA montrent l’intérêt du travail collaboratif en classe et la faible place accordée à ce type d’enseignement dans le système scolaire français.
Diversifier les outils pour différencier les apprentissages.
Comme il ne saurait y avoir de recette miracle il est bien évident que dans quelques groupes, certains élèves étaient rétifs au fait de passer à l’oral.
Il leur a donc été proposé une autre forme de travail ; élaborer des cartes mentales sur les thèmes de cours en utilisant le logiciel Prezi. ; élaborer des exercices pour les autres élèves en utilisant le site internet learningapps.
Des capsules qui sortent de la classe.
La diffusion des capsules au sein de la classe donne lieu à un travail de critique de la part des élèves et les capsules elles même peuvent être utilisées comme complément du cours ou outils de révision par les autres élèves. Mais le destin de ces vidéos est aussi de sortir de la classe.
Elles seront à terme, disponibles sur le site lycée pour présenter à tous (parents, élèves de 3ème arrivant au lycée, élèves de seconde en recherche d'orientation ...) les différentes filières proposées dans l'établissement.
Les capsules sont aussi mises à la disposition des autres professeurs qui peuvent les utiliser comme supports pédagogiques. Une vidéo réalisée en SES sur Karl Marx pourrait tout à fait être utilisée comme point de départ d'une séquence de philosophie sur le travail et la technique, par exemple.
Devant les propositions et les réalisations de la classe, certains professeurs souhaitent à leur tour expérimenter la création de capsules vidéos au sein de leur cour.
Des capsules dont les enjeux vont au delà de l'examen du baccalauréat.
Le lycée des Graves propose à certains de ses élèves une préparation aux concours post bac; notamment de Sciencs Po. Dans ce cadre, des professeurs envisagent de faire créer des capsules aux élèves car il y voient un exercice très formateur pour l’expression orale, qu'il est essentiel de maîtriser dans les concours de ce type. La vidéo permet de plus à l'élève d'affiner sa présentation en lui en donnant un retour plus objectif et sur lequel on peut revenir et travailler autant de fois que l'on le souhaite.
Dans le même ordre d'idée, il semblerait que le futur baccalauréat mette lui aussi particulièrement l'accent sur l'oral.
A plus long terme pour tous les élèves, les compétences liées à l'expression orale et à la présentation de documents ou de compte rendu, seront indispensables à leur future vie professionnelle. Commencer à travailler ces compétences dès le lycée n'est donc certainement pas une aberration mais une chance de réussite supplémentaire que l'on peut leur offrir. Le coût sera minime ;une tablette numérique, ou même un smartphone suffit ; l'organisation pédagogique sera relativement simple quant au le plaisir avec lequel les élèves créeront ces capsules : il sera au rendez vous.
Cet article a été écrit de façon collaborative par Didier Ambialet (professeur de SES) et Françoise Guillem (Conseillère principale d'éducation) au Lycée des Graves de Gradignan en Gironde sur Framapad (https://framapad.org/)
Dernière modification le jeudi, 07 juin 2018