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Il y a un an, la revue scientifique Distance et Médiation des Savoirs faisait un appel à contributions sur le sujet suivant : "Enseigner l’informatique, éduquer au numérique : quels contenus, pour quelles maîtrises ?"

J'avais réfléchi, et même proposé ce que vous lisez à l'instant présent. (non retenu pour publication dans la revue). En faisant du tri dans mes dossiers, je retombe dessus, et un an après... est-ce que tous nos enfants ont accès à cette culture médiatique ? 

La réforme va en ce sens, soit, mais je m'affole un peu, je dois bien avouer, de voir l'écart entre les groupes que je cotoie par mon milieu professionnel, et ceux du personnel... et vous, que voyez-vous ?

Eduquer au numérique dans une idée de systématisation et de succès des acquisitions liées aux compétences requises pour cela, est une tâche pour le moins ambitieuse, ardue et pourtant indispensable.

Essentielle même.

Parce que notre société évolue, divisée maintenant entre les usages règlementés, les usages réels, et les aspirations d’usages.

Quasiment chaque homme, chaque femme, chaque citoyen se trouve dépassé par les évènements de sa vie soit professionnelle, soit parentale, soit familiale, soit personnelle ou bien de la Société (donc liée à l’autre que lui) dans laquelle il vit.

Les rapports entre l’homme/la femme et les autres se sont complexifiés. Le numérique a accéléré cette complexification, en ouvrant l’information, et en rendant systématique la consultation à la recommandation.

Dans un même temps quasiment, le web est passé d’un mode texte à un mode image, lui-même migrants vers un mode de lecture vidéo. 

Le flux d’information s’est aussi densifié, passant du mode « à disposition » au mode « push ». Les données (texte vers images et vidéos) et le mode de lecture des données changeant, il paraît indispensable de modifier les conditions d’apprentissage des élèves. L’acquisition des codes de la lecture critique n’est plus une option et doit inclure ces nouveaux usages : image et push.   

Pour l’instant nous n’avons pas trouvé de solution universelle à l’école pour éduquer à décrypter ces informations, ces images dans un sens global et systématique.

Nos enfants surconsomment des images, des vidéos, sont dirigés automatiquement vers des contenus sans filtres. Toutes les catégories socio-professionnelles (si tant est que nous puissions « catégoriser » notre société) sont concernées par ce phénomène. Ni l’école ni les parents ne peuvent ni ne savent enrayer le phénomène pour protéger les enfants, ni même les éduquer à cela. Eux-mêmes ne le sont pas.

Pourtant, les compétences liées à l’apprentissage de la lecture sont les bases du recul, du doute. Parce que la lecture des textes est devenue la lecture des images et devient la lecture des vidéos. Tous les enfants ne sont pas égaux quant à l’apprentissage de la lecture.

Parce que dans l’apprentissage de la lecture il y a plusieurs phases. Le décodage est plutôt acquis à très grande échelle par les enfants dès le primaire. La compréhension de lecture est une autre phase de cet apprentissage et on constate déjà des écarts. Pour des questions de vocabulaire, pour des raisons de plaisir à la lecture, à l’objet que représente le livre, le texte, les mots. Et de culture, d’usage familial.

Même si le temps scolaire reste, sur une journée, et certainement une semaine, le temps d’action majoritaire sur la vie d’un enfant, les parents ont ce pouvoir, en dix minutes par jour, d’accompagner l’enfant dans le plaisir de lire, de découvrir une pensée différente de la sienne, d’observer une image crée par autrui. Combien d’élèves de cycle 3 déchiffrent les énoncés et textes à travailler parce qu’ils ne lisent que ce qu’on leur demande de lire dans le cadre de leur temps scolaire ?

Tout comme on part du principe que les enfants doivent savoir lire un texte, le comprendre, nous devrions partir du principe qu’ils devraient aussi savoir lire une image et décoder une vidéo. Et peut-être que l’apprentissage de la lecture d’image pourrait aider à l’apprentissage de la lecture du texte.

Qu’est-ce qui fait que nous savons, quel que soit le pays de la planète dans lequel  nous nous trouvons, où se trouvent les toilettes par exemple ? Le pictogramme indiquant l’endroit où se rendre est le même partout. C’est une sorte de langage universel que nous avons intégré sans que l’on nous l’ait appris. D’ailleurs, les pictogrammes sont utilisés comme ressources pour l’apprentissage des enfants à besoins particuliers comme peuvent l’être les enfants autistes : http://www.autisme-ressources-lr.fr/IMG/pdf/ressources-pictogrammes.pdf

Nous nous rendons compte aujourd’hui que tous les enfants, quelles que soient leurs conditions de naissance sont des enfants à besoins particuliers du fait même de la complexification des rapports aux êtres et aux choses induite par le numérique, et que nous avons intérêt à étendre les pratiques développées, trouvées, inventées pour inclure des enfants qui étaient automatiquement exclus du système scolaire, à tous les enfants.

C’est d’ailleurs aussi la conclusion des travaux de recherche effectués par Amélie Courtinat Camps à l’occasion d’une étude menée dans l’académie de Versailles : http://www.ac-versailles.fr/public/upload/docs/application/pdf/2015-05/projet_eip_91_courtinat_colloque_agora.pdf

Peut-être aussi que pour impliquer les élèves et les aider à aimer apprécier les œuvres d’art, dont l’étude est une éducation à l’image, devrions-nous partir de ce qu’ils voient dans leur vie actuelle tout autour d’eux pour aller ensuite vers des œuvres des années et des siècles précédents ? Comme par exemple le street art ? De même pour les textes, peut-être lire, jouer, répéter, et étudier les paroles d’une chanson largement diffusée, connue et vécue par les enfants au moment présent pour aller ensuite vers des poèmes, des fables ou des textes anciens ?

Les enjeux de l’éducation au numérique sont de présenter et faire comprendre ce qu’est le numérique et les usages numériques.

Amener les enfants à se poser des questions sur leurs usages numériques, et médiatiques (!) et de les accompagner dans la production, pour les aider à devenir des citoyens numériques.

L’enjeu majeur pour résumer est de les accompagner dans le passage de la consommation passive à la consommation active : la co-construction numérique à laquelle ils vont participer, ou participent déjà.

Ce n’est pas moins également que se poser la question de qui je suis dans cet univers numérique - quel consommateur, quel acteur je suis (ce qui induit la notion d’identité numérique) et quel est mon rapport à l’autre dans cet univers numérique : comment est-ce que je m’adresse à l’autre, comment est-ce que je construis avec l’autre, comment est-ce que je me construis avec l’autre.  

Dernière modification le vendredi, 12 août 2016
Elbaz Jennifer

Vice-présidente de l'An@é.