Le métavers n’est certainement pas le sujet sur lequel vous avez le plus envie de lire des choses.
Il me semble néanmoins très important d’aborder à nouveau ce sujet maintenant, car il est lié au gros scandale du moment, à savoir les résultats du dernier concours de l’Eurovision : La Finlande utilise Fortnite pour promouvoir l’entrée à l’Eurovision “Cha Cha Cha”. Ce petit clin d’oeil ne vous fait probablement pas rire, ni même sourire, mais il y a dans cette opération promotionnelle du candidat de la Finlande un choc des générations : le grand écart qui est fait entre les utilisateurs habituels de la TV (les boomers) et ceux des jeux vidéos (les générations Y et Z). Le but de la manoeuvre étant d’aller recruter les futurs téléspectateurs là où ils passent le plus de temps.
Vous pourriez me demander si cela a de l’importance dans la mesure où le métavers est un sujet qui n’intéresse plus personne, et je vous répondrai que oui c’est important, car l’évolution du paysage médiatique influe sur nos attentes et comportements, ainsi que sur la société elle-même. Pour vous en convaincre, il suffit de constater l’impact des médias sociaux sur les différents courants politico-culturels (ex : Gilets Jaunes, complotistes, populistes…).
Il est donc essentiel de bien comprendre l’évolution des médias pour pouvoir anticiper l’évolution de notre société. D’autant plus que ces derniers mois, on nous annonce la mort du métavers et l’avènement des médias synthétiques (Adieu métavers, petit ange parti trop tôt et Décryptage des nouveaux nouveaux médias numériques).
Grandeur et décadence expresse du métavers
En octobre 2021, Facebook Inc. changeait de nom pour marquer son repositionnement prospectif (Introducing Meta: A Social Technology Company). Ils ne s’en doutaient pas à l’époque, mais cette annonce allait marquer le début d’une folle épopée de 18 mois pendant laquelle le métavers allait saturer l’espace médiatique. Après cette période euphorique où tout et n’importe quoi a été dit sur le métavers, c’est la désillusion qui domine maintenant les articles et discussions : Who Is Still Inside the Metaverse?
L’élan initial donné par Facebook Meta semble clairement s’essouffler, même s’ils continuent d’y croire, car selon leurs calculs, le métavers pourrait contribuer au PIB américain à hauteur de 400 MM$ d’ici à 2035 : Understanding the Economic Potential of the Metaverse.
Comparées à ce marché potentiel, les pertes enregistrées par la division dédiée métavers ne représentent que 1% du CA annuel, donc un investissement plutôt raisonnable (Meta’s Reality Labs records $3.99 billion quarterly loss as Zuckerberg pumps more cash into metaverse). Vous noterez au passage qu’ils ne sont pas les seuls à investir à perte (Baidu’s metaverse head resigns as unit struggles for profitability). Je ne sais pas trop quoi penser de tous ces chiffres, mais ce qui est certain, c’est que nous parlons d’usages et technologies avec un horizon de réalisation trop lointain pour en apprécier la juste valeur (cf. Four Emerging Technologies Disrupting the Next Three to Eight Years).
N’allez pas penser qu’il n’y a que les équipes de Meta pour croire encore au potentiel du métavers, car on trouve d’autres études avec des projections tout aussi sur-réalistes : France Metaverse Market Report 2023: Market is Expected to Grow by 31.5% to Reach $6.722 Billion in 2023. Peut-être que cette étude mériterait de se voir imposer une mention “Exagération publicitaire” sur la couverture, comme c’est déjà le cas pour de nombreuses pubs TV.
Toujours est-il que le métavers ne fait plus rêver, mais alors plus du tout, à tel point que l’on se demande s’il a réellement fait rêver quelqu’un ou si tout cet emballement médiatique ne reposait pas sur un gros quiproquo. Comme j’ai déjà eu de nombreuses occasions de le signaler, le plus gros problème du métavers est que l’on a du mal à le définir, ce qui participe à une confusion (Désolé, Mark Zuckerberg, la moitié des Français ne connaissent pas le métavers) renforcée par son association avec le Web3, un autre terme que l’on nous a servi à toutes les sauces.
De tout ce brouhaha, il ne reste pas grand chose, si ce n’est beaucoup de scepticisme et de “Je savais bien que c’était une connerie“. Pourtant, derrière le terme “métavers” il y a de nombreux usages et technologies qui sont parfaitement légitimes, mais que l’on associe à du vaporware (“fumiciel” ou “logiciel fantôme” en français). Quel dommage, car dès que l’on classe les supports selon leur type et la taille de leur audience, on y voir déjà beaucoup plus clair : Metaverse Platforms by Size and Type.
Je vous incite donc fortement à ne pas jeter le bébé avec l’eau du bain et à maintenir votre attention sur le sujet, car le potentiel est bien présent, mais très mal vendu.
Pour bien parler du métavers, ne parlons plus du métavers !
J’avais essayé l’année dernière de donner une vision exhaustive du métavers (Cartographie des métavers et des usages virtuels), mais elle était beaucoup trop dense pour être facilement assimilée. Une première tentative pédagogique complétée quelques mois plus tard par Ne confondez plus Web3 et métavers. Je réitère cette année avec une approche plus pragmatique et moins ambitieuse.
Commençons avec une nouvelle définition :
Le métavers est un concept qui désigne les supports numériques permettant aux utilisateurs de créer et de personnaliser leurs propres avatars et environnements virtuels, de concevoir et d’échanger des biens virtuels, ainsi que de participer à des événements et activités virtuelles.
Selon cette définition, le métavers est une notion abstraite qui couvre quatre usages que nous connaissons déjà :
- les jeux en ligne comme Fortnite ;
- les univers virtuels comme Horizon Worlds ;
- Les applications d’avatars comme Bitmoji ;
- Les communautés d’items virtuels comme BAYC.
Des services en ligne auxquels on accède à l’aide de différents terminaux (ordinateurs, smartphones, consoles, masques de réalité virtuelle…) à l’image de Rec Room qui est disponible sous différentes formes et qui est la parfaite illustration de ce à quoi peut ressembler le métavers aujourd’hui.
Les quatre usages précédemment cités se chevauchent à travers des services qui combinent plusieurs caractéristiques :
- Les plateformes virtuelles ludiques comme Roblox ou Blankos ;
- Les environnements virtuels dans lesquels évoluent des avatars comme Zepeto ou IMVU ;
- Les applications d’avatars où l’on collectionne des items virtuels comme Drest, Covet Fashion ou Aglet ;
- Les jeux en ligne qui intègrent des collections d’items virtuels comme The Sandbox, Decentraland, The Nemesis ou Otherside.
Au centre de cette cartographie simplifiée, nous trouvons Ready Player Me, un service en ligne qui permet de créer un avatar qui peut être utilisé dans des jeux en ligne et univers virtuels, et que l’on équipe d’accessoires et habits virtuels à collectionner.
L’intérêt de cette représentation est d’expliquer simplement ce que couvre la notion de métavers en ne s’appuyant que sur des services qui ont fait leurs preuves. De tous les services cités plus haut, celui qui présente le plus gros potentiel de croissance est certainement Roblox avec une réelle volonté d’élargir l’audience et d’enrichir les fonctionnalités : Roblox is reaching adults, helping brands, and building a metaverse et Our Vision for All Ages.
Par soucis de simplification, j’ai volontairement fait abstraction des usages professionnels, car ils compliquent considérablement la compréhension et reposent sur des technologies très différentes, mais néanmoins bien réelles : Yes, the Metaverse Is Still Happening.
Dans tous les cas de figure, et après y avoir longuement réfléchis, j’ai maintenant la conviction qu’il faut définitivement abandonner le terme et de ne plus parler du métavers.
Les médias immersifs touchent des milliards d’utilisateurs
Comme expliqué dans un précédent article, le terme “métavers” est issu de la littérature de science fiction des années 90, une époque où l’outil informatique était très différent de ce qu’il est aujourd’hui. Il y a ainsi une énorme différence entre les ordinateurs de l’époque et les outils numériques que nous utilisons au quotidien : l’infrastructure (fibre, 5G…), les terminaux (smartphones, tablettes hybrides, objets connectés…), les services (stockage et calculs dans le cloud, logiciels en ligne…) et bien évidemment les usages (commerce en ligne, collaboration, réseautage, plateformes de mise en relation…).
Voilà pourquoi il est important d’abandonner un terme né à une autre époque et utiliser plutôt un vocabulaire correspondant à la réalité des usages. Si l’on repart du besoin de communiquer et d’interagir à distance, le métavers peut facilement rentrer dans la définition d’un média immersif, évolution logique des médias numériques et sociaux : Immersive Media Market Overview.
Une façon simple et imagée pour présenter la notion de média immersif est de mentionner des services comme VRRoom qui permettent de faire des spectacles immersifs, un créneau largement sous-estimé : I actually had fun at Fatboy Slim’s metaverse rave.
En poussant la logique plus loin, nous pourrions même parler de médias immersifs, au pluriel, car il y a différentes façons de créer de l’immersion (réalité simulée ou étendue), l’important étant de proposer plus que de la simple 2D : What is Immersive Media.
Comme vous pouvez le constater, toutes les réflexions mènent invariablement à la réalité virtuelle ou augmentée, car malgré l’immense défi technique / économique qu’elle représente, la réalité étendue reste la prochaine étape pour les professionnels du numérique, “the next big thing” comme disent les journalistes. D’autant plus que la sortie très prochaine du masque de réalité mixte d’Apple se précise de jour en jour (Apple’s Key Decision-Makers Behind the New Mixed-Reality Headset).
Maintenant que nous avons une définition et une vision plus précise du métavers des médias immersifs, il ne reste plus qu’à poursuivre les efforts pédagogiques pour démocratiser les usages et mettre fin à cet éternel faux départ.
La réalité virtuelle reste un marché de niche
Il n’y a plus que deux semaines à attendre avant la prochaine Worldwide Developers Conference d’Apple, une édition qui devrait être marquée par l’annonce que le marché attend fébrilement depuis des années : Il n’y a plus aucun doute sur l’arrivée du casque VR d’Apple. Je ne pense pas qu’Apple dispose d’un savoir-faire que ses concurrents n’ont pas (Google et Microsoft sont présents sur ce créneau depuis plus de 10 ans), mais l’annonce du lancement d’un nouveau produit par Apple serait le signal permettant à cette niche de franchir le seuil de l’innovation.
Si l’on étudie la courbe d’adoption des nouveaux terminaux, Apple n’est pas à l’origine des dernières innovations, mais plutôt de la commercialisation à grande échelle des baladeurs numériques (iPod), des smartphones (iPhone), des tablettes (iPad), des montres connectées (Apple Watch), des oreillettes connectées (EarPods)… Il semble donc tout à fait logique que le marché attende le signal d’Apple avant de considérer qu’une niche puisse passer à l’échelle et se transformer en un véritable segment (Whether Hit or Flop, Apple’s Entrance Will Be a Pivotal Moment for XR).
Pour vous en convaincre, il suffit de constater le faible nombre d’utilisateurs des masques de réalité virtuelle de Meta, alors que le produit est parfaitement maitrisé : Meta Quest Reportedly Had Over 6 Million Monthly Active Users. Nous sommes ici bien loin des milliards d’utilisateurs de smartphones, un produit bien plus versatile que ces masques qui impliquent une utilisation plus occasionnelle que de regarder des micro-vidéos dès qu’on a 30 secondes à perdre : American teens aren’t excited about virtual reality, with only 4% using it daily.
N’allez pas penser que je fais preuve de scepticisme par rapport à la réalité étendue, simplement de réalisme, et je tiens d’ailleurs à souligner le succès de certains jeux de réalité virtuelle : ‘Beat Saber’ Reportedly Generated Over a Quarter Billion Dollars in Lifetime Sales et ‘Tentacular’ Is the Only Game That Does VR Right. La leçon à retenir ici est que face à la saturation des équipements (ordinateurs, smartphones, tablettes, consoles de jeux, enceintes et oreillettes connectées…) les nouveaux terminaux numériques tardent à sortir et à être adoptés (It’s like the Power Glove, but for VR et A decade later, this VR treadmill is finally ready to ship).
Moralité : la réalité étendue reste une niche réservée aux professionnels et aux passionnés, mais une niche que l’on regardera d’un autre oeil dès qu’Apple aura fait son annonce. Et surtout, une niche facile à comprendre, car il n’y a pas d’amalgame sur les usages et technologies qui lui sont associés (Derrière le flop du métavers, la réussite de la réalité virtuelle).
Sinon, pour savoir où va le métavers, ou ce qu’il en reste, il faut clairement chercher du côté des jeux vidéo (Le réservoir de croissance du métavers n’est pas là où vous croyez) ou des simulations pour les entreprises (China’s metaverse is all about work et Yes, the Metaverse Is Still Happening).
Je vous donne rendez-vous dans deux semaines pour parler à nouveau de la réalité entendue en fonction de ce qu’Apple aura bien voulu dévoiler…
Publié par Fred Cavazza sur son site :
Ce site est sous licence Creative Commons BY-NC-SA 4.0
Dernière modification le mercredi, 07 juin 2023