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Sous le titre Les mêmes chances pour tous nos enfants, l’éducation avec la culture sont présentées comme la première priorité dans le programme électoral du nouveau Président. « Le premier chantier sera celui de l’éducation et de la culture. C’est la condition de notre cohésion nationale. C’est pourquoi je veux remettre la transmission des savoirs fondamentaux, de notre culture et de nos valeurs au cœur du projet de notre école et de nos universités. »

Pour y parvenir, qu’en est-il des principales mesures ?

Les deux pages dédiées à l’éducation commencent par un avant-propos ambigu… Le texte présente avec raison l’éducation comme le moteur de la place de la France ; elle est l’une « des premières puissances du monde, alors qu’elle représente moins de 1% de la population mondiale. »

Il fait le lien ensuite entre nos performances scolaires en diminution et notre « cohésion nationale », sans préciser ce lien. Surtout, il limite le rôle de l’éducation à « remettre tous ses membres sur la même ligne de départ ».

Concrètement qu’est-ce que cela signifie ? Mettra-t-on en place un système avant l’école ? Ce propos ne traduit-il pas plutôt une conception individualiste de l'institution ? Parce qu’après, tout est laissé à la fatalité, au libre-choix ou au potentiel de l’individu : « Bien sûr, il y en a toujours qui courront vite et d’autres qui trébucheront. Ou ne pourront tout simplement pas se lancer dans la course. Ou choisiront une trajectoire différente. Mais si l’on connaît à l’avance l’ordre d’arrivée, alors à quoi bon essayer de courir ? » N’est-ce pas plutôt là que peut se situer le véritable apport de l’école. Accompagner en permanence chaque élève tout au long de sa scolarité pour faire émerger son potentiel et dépasser ses obstacles et ses difficultés…

Les douze propositions

Douze propositions sont ensuite énumérées.

1. « Nous donnerons la priorité à l’école primaire pour que tous les élevés sachent lire, écrire et compter en arrivant en 6e. »

La priorité à l’école primaire est un moindre mal, mais n’est-ce pas déjà trop tard ? L’école maternelle a un rôle incontournable pour rattraper les écarts sociologiques des enfants. Et pourquoi se limiter au sempiternel « lire, écrire et compter », sans s’interroger sur ce que cela veut vraiment dire actuellement ? Et est-ce vraiment les seuls fondamentaux pour aujourd’hui ? On en oublie au moins deux autres : le désir d’apprendre qui se perd au cours de la scolarité et l’apprendre à apprendre, véritable « moteur » qui peut faciliter le lire et l’écrire, mais pas seulement…

2. « Nous interdirons l’usage des téléphones portables dans l’enceinte des écoles primaires et des collèges. »

Quelle drôle de deuxième proposition pour une démarche qui se veut moderne, « dans le temps » ! Plutôt que d’interdire, ne faudrait-il pas plutôt leur apprendre les usages ? Des problèmes de santé, aux « bruits », aux pertes de temps causées par des réseaux sociaux mal envisagés, aux usages et détournement de leur personne à des fins économiques par les sites à la mode, aux publicités sous-jacentes, aux fausses informations non repérées, non critiquées, etc..

3. « Nous donnerons plus d’autonomie aux équipes éducatives. Elles seront suivies et évaluées. La formation des enseignants sera adaptée à ce nouveau cadre. »

Comment va être mis en place ce suivi et cette évaluation ? Par qui ?.. Les corps intermédiaires actuels sauf exceptions n’en ont pas la compétence. La formation des enseignants est évoquée succinctement. Or la principale et dramatique faiblesse du système vient d’une formation insuffisante et inadaptée des enseignants. Tant qu’ils ne seront pas formés à faire apprendre, à comprendre les difficultés des élèves et à y remédier, « 3 ans d’ancienneté » dans le métier n’apporteront rien de plus. Or nulle part, la formation des enseignants n’est précisée dans les priorités. C’est pourtant le maillon le plus faible du système scolaire. On n’a toujours pas tiré partie des grandes lacunes des IUFM ou des ESPE

4. « Nous limiterons à 12 élevés par enseignant la taille des 12 000 classes de CP et de CE1 en zone prioritaire. »

L’éternelle croyance aux moyens !.. Les résultats ne sont pas automatiques… Nombre de difficultés ne se dépassent pas mieux à 12. Certains obstacles ne se débloquent que « les yeux dans les yeux », ce qui signifie qu’à d’autres moments, la classe peut être supérieure à 12.

Quant à sa mise en place immédiate comme cela est avancé ? Dédoubler des classes implique la création de classes supplémentaires avec des travaux pour agrandir les établissements. Impossible à réaliser en un été. De plus, il faudra envisager 5000 à 6 000 postes d'enseignants supplémentaires. Où les trouver ? Déshabiller l’opération « plus de maîtres que de classes » serait inapproprié…

5. « Nous rendrons possible le rétablissement de parcours bi-langues au collège, de parcours européens et d’un véritable enseignement du grec et du latin. »

Proposition purement électorale… elle demanderait une véritable réflexion sur l’emploi du latin et du grec, non pas comme discriminant social, mais comme « plus » pour tous les élèves dans la culture.

6. « Nous proposerons à tous un accompagnement. Au collège, nous rétablirons les études dirigées après la classe grâce à des bénévoles (étudiants et retraités). »

Très bien pour cet accompagnement qui dénote par rapport à l’introduction et parfait d’employer des retraités qui se sentent sans utilité. Mais pourquoi après la classe ? Derrière une telle mesure, ne peut-on pas soupçonner une conception transmissive de l’enseignement avec le simple apport d’exercices. Pourquoi les études dirigées ne feraient-elle pas partie intégrante de la classe ? Que de temps perdu habituellement pour les élèves à attendre que les profs. enseignent…

7. « Nous moderniserons le baccalauréat. Il y aura désormais 4 matières obligatoires à l’examen  final. Les autres seront validées par un contrôle continu »

En quoi diminuer le nombre de matières « modernise » le baccalauréat ? Ne faudrait-il pas plutôt s’interroger sur ce qu’évalue réellement cet examen en termes de connaissances et de compétences. Les savoirs importants pour aujourd’hui ne sont pas à l’école. Quand sortira-t-on des disciplines directement venues de la fin du XIXème siècle ?

8. « Nous renforcerons l’autonomie des universités. Elles pourront recruter leurs enseignants et définir leurs formations. Nous ouvrirons 80 000 places dans les  filières professionnalisantes. »

D’accord pour augmenter les filières professionalisantes, mais avant de « renforcer l’autonomie » faudrait-il repérer les difficultés multiples (budgets, gestion de la masse salariale, locaux, patrimoine..) qu’a introduite la première phase d’autonomie… Autrement on reste dans la simple annonce sans lendemain.

9. « Nous demanderons à chaque lycée professionnel et université de publier ses résultats (débouchés, salaires, etc.) sur les 3 dernières années. »

Pourquoi pas…

10. « Nous construirons 80 000 logements pour les jeunes. »

Tiens encore 80 000 ! Pourquoi ? Aucun rapport ne l’appuie. Fait-on confiance aux signes chinois ! Sans commentaire…

11. « Nous ouvrirons les bibliothèques en soirée et le week-end. »

Et pourquoi pas les écoles, les collèges et les lycées ? Ce sont autant de lieux disponibles et chauffés qui seraient utiles pour la formation continue, le fonctionnement des associations, la vie citoyenne. Quels gâchis actuels pour la société de les voir fermés à 17h.

12 « Nous créerons un «Pass Culture». Il permettra à chaque Français de 18 ans d’effectuer 500 euros de dépenses culturelles (cinéma, théâtre, livres...). Nous ne retirerons pas un euro au budget du ministère de la Culture. »

Encore faut-il définir ce qui sera vraiment disponible ou possible grâce au Pass Culture… De plus, n’oublions pas qu’un seul livre de sciences pour un étudiant peut coûter 160 à 230 euros ! Ne vaudrait-il pas mieux investir cet argent dans une consommation mutualisée ? Ces 400 Millions pourraient mieux être investis autrement…

Par ailleurs, des marcheurs proche du Président mettent la priorité sur l’acquisition du français, en augmentant le nombre d’heures de cette discipline. Encore un non-pensé… Ce n’est pas en augmentant les heures de français qu’on règle cette difficulté. On peut mettre la priorité sur le français en travaillant l’histoire, les sciences ou les maths. La pédagogie actuelle du français, nombre de ses livres créent plus d’ennuis que d’acquis. Les autres disciplines peuvent donner du sens à la lecture, à l’écriture. En math par exemple, les principaux obstacles sont des problèmes de compréhension des consignes ; en fait des problèmes de vocabulaire et de syntaxe. Une réflexion sur les consignes de façon transversale est excellente pour apprendre le français…

Quelle stratégie pour transformer l’école ?

Mais les principaux embarras, voire les blocages, risquent de venir des stratégies envisagées pour « transformer » l’école.

Ses derniers propos tendent à revenir sur les réformes en cours et notamment sur les rythmes scolaires et la réforme du Collège… Il importe à la nouvelle équipe de ne pas oublier ce qui a déjà été entrepris pour « refonder » l’école. Il ne leur faudrait pas démonter sur ce qui commence à se mettre en place. Certes les réformes ont été introduites de manière brutale, sans préparation et sans formation, mais progressivement par la bienveillance de certains enseignants, chef d’établissement et même d’inspecteurs des évolutions sont en cours.

Rien de pire que la succession des “réformes” installées par injonction qui prennent le contre-pied des précédentes.

Les enseignants ont besoin de permanence pour continuer à évoluer. La continuité de l’action est absolument nécessaire dans l’Education nationale. Autrement les enseignants vont attendre une fois de plus le prochain Ministre ! Le temps de l’Éducation n’est pas celui du politique. Il ne s’agit pas de déconstruire ce qui a été fait précédemment mais de s’appuyer dessus pour l’évaluer et l’améliorer.

L’ambition du programme du nouveau Président est forte, les mesures encore limitées…

Le travail de transformation de l’école reste toujours à faire. Faisons le souhait que le futur ministre ne fasse pas les même erreurs que ces prédécesseurs en imposant d’en haut une nouvelle réforme qui défera ce qui a été mis en place. Suggérons-lui plutôt de favoriser les évolutions à la base. Le système éducatif n’est pas une institution totalement immobile. L’École et ses enseignants sont capables d’innovations sérieuses.  Bien sûr si on les accompagne, si on les reconnaît. Les projets en cours demandent à être évalués et mutualisés.

André Giordan

Dernière modification le vendredi, 02 juin 2017
Giordan André

André Giordan est le fondateur et directeur du Laboratoire de Didactique et Épistémologie des Sciences de Genève. Ancien instituteur, professeur de collège, animateur de banlieue, il  est l’auteur d’un nouveau modèle de l’apprendre (modèle d’apprentissage allostérique) et l’initiateur de nombreuses innovations scolaires, muséologiques et médiatiques.