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   Publié sur le blog : Veille et analyse TICE - Le développement médiatisé de la mise en ligne des cours, en particulier dans le monde universitaire, (cf. Les universités d’élite s’ouvrent au web, de Tamar Lewin dans le supplément du NY Times livré avec le Figaro en date du vendredi 30 Novembre) est un phénomène qui mérite d’être examiné sous plusieurs angles.

   Dans ce même article est évoquée la notion de MOOC ( Massive Online Open Courseware). Ce type de dispositif semble à « la mode » comme le confirment la présentation de M Dillenbourg lors du dernier séminaire de l’IFE sur les sciences de l’Apprendre ou encore sur le MOOC Itypa (http://www.itypa.mooc.fr/).

 

Plus largement on entend, particulièrement depuis l’été dernier, monter un flot d’informations et d’interrogations sur l’enseignement inversé, le « flip teaching »

(http://en.wikipedia.org/wiki/Flip_teaching)

ou encore sur flipping classroom (http://cursus.edu/dossiers-articles/articles/17805/faut-flipper/ )

et plus généralement sur les questions de blended learning, enseignement hybride etc… Dans mon livre « Comment le numérique transforme les lieux de savoirs » (fyp 2012) j’ai largement évoqué les déstabilisations potentielles du système d’enseignement traditionnel basé sur la salle de classe (ou l’amphi) du fait du développement des pratiques numériques. J’avais déjà dès l’été 2000 évoqué cette évolution avec l’idée des « maisons de la connaissance »

(http://www.brunodevauchelle.com/utopie.htm) mais sans que celui-ci ne fasse écho. Or il s’avère que dans ces récentes évocations, on retrouve des idées communes. Comme Jacques Viens le disait en Septembre dernier, tout ceci n’est pas vraiment nouveau dans l’enseignement, (cf. les pédagogies libertaire du XIXe siècle ou encore les écrits de Sri Aurobindo et leur concrétisation dans Auroville), mais les innovateurs ne vont que rarement voir ce qui s’est fait avant de mettre en œuvre leur innovation (présumée).

 

Ce qui est caractéristique de cette évolution est le mélange de plusieurs éléments qu’il faut préciser. D’une part il y a la mise en ligne de « cours en amphi ou en classe ». Cette mise en ligne se fait soit par le dépôt du texte, soit par mise à disposition du diaporama (préao) utilisé par l’intervenant, soit par la vidéo du cours lui-même. D’autre part, il y a l’environnement du cours. Parfois la vidéo comporte l’environnement interactif (questions réponses des participants, parfois même à distance (comme on peut le voir ici :

( http://i-medias.adobeconnect.com/p1qfbd4wcfh/).

 

Parfois au cours sont ajoutés des forums de discussion, des éléments complémentaires pour aller plus loin… Cours et contexte du cours sont en fait des déterminants pour l’apprentissage. D’ailleurs l’article du New York time en fait état, en expliquant que ces contenus de cours en ligne sont accompagnés de deux éléments complémentaires : un environnement interactif d’approfondissement, un dispositif de validation/certification des apprentissages.

 

Malheureusement on s’aperçoit que dans l’esprit de nombre de personnes, tout s’arrête à la mise en ligne du cours filmé. Or il n’en est rien. Le cours filmé est en quelque sorte une marchandise d’appel qui doit amener à rejoindre une communauté d’apprentissage puis de voir certifier ses apprentissages. D’ailleurs les universités américaines qui font cela ont bien compris le filon…. ils attirent avec la vidéo, ils retiennent avec la certification… et l’accompagnement.

 

L’ingénierie des dispositifs d’enseignement en présence et à distance, (FOAD, hybride, blended, etc…) s’appuie désormais sur la théorie de l’activité (Engeström) mais plus généralement aussi sur le socioconstructivisme (revendiqué autour de Moodle par exemple).

 

La question de l’apprendre est d’abord celle du choix de l’activité qui permet d’apprendre. La préoccupation centrale est ce que fait celui qui apprend face à un environnement. Les questions de guidance, réflexion, réflexivité, métacognition etc…. sont, parmi d’autres, essentielles, mais les dispositifs les plus sophistiqués ne sont rien sans l’engagement de celui qui apprend dans sont apprentissage. Et c’est là que ces mises en ligne de cours pourraient bien se retourner contre leurs promoteurs. C’est le sens qu’il faut, à mon sens, donner aux différences de conception de Mooc, en particulier celle des universités américaines contre celle de l’expérimentation Itypa.

 

Que se passe-t-il dans ces situations. Dans le premier cas, l’université propose, moyennant inscription, de participer à une communauté qui apprend. Dans le deuxième cas, une communauté se constitue autour du souhait d’apprendre (Itypa). D’un coté, la guidance est du coté de l’université, l’initiateur, de l’autre elle est du coté du collectif apprenant. Cette différence est fondamentale et pourrait bien amener les universités à arrêter ces mises en ligne liées à un profit futur. En effet si elles bénéficient du droit d’attribuer un diplôme prestigieux, celui-ci ne préjuge en rien des réelles compétences des apprenants…. Or c’est dans la qualité des chemins d’apprentissage que se trouve la véritable qualité de celui qui apprend…

 

Imaginons le scénario suivant : une communauté se constitue avec le projet de développer ses connaissances et ses compétences dans tel ou tel domaine. On peut tout à fait imaginer qu’elle s’organise comme le Mooc Itypa et qu’elle ailler chercher dans les ressources en ligne pour développer son projet. Du coup l’accompagnement promis par les universités est remplacé par la dynamique du collectif apprenant. On le voit bien un détournement pourrait émerger si des personnes qui ont envie d’apprendre décident de profiter des ressources en ligne pour construire ensemble leurs connaissances on peut aisément penser qu’elles peuvent tout à fait atteindre leur objectif sans université, sans institution. Certes il reste le diplôme prestigieux qui ajoute au travail réalisé une reconnaissance presqu’universelle. Quand on veut dire que quelqu’un est compétent on argumente souvent sur des études dans telle ou telle université prestigieuse. Il y a une évolution qui se fait jour et qui repose sur la mise en question de la valeur d’un diplôme. Non seulement le titre en lui même ne signifie rien, mais le prestige du certificateur du titre pourrait bien être interrogée. L’approche par les compétences, les dispositifs de validation des acquis pourrait bien, un jour, s’appuyer là dessus pour contourner les institutions et aller à la recherche de personnes compétentes.

 

En regardant une vidéo du collège de France, de canal U de l’Ehess ou autre université, j’écoute. Mais pour apprendre il faut que je « manipule » ce que j’ai écouté. Autrement dit il faut que je transforme le savoir énoncé en connaissances et en compétences par une mise en activité. Or ce qu’une communauté de personnes motivées peut facilement faire s’est s’emparer des savoirs en ligne puis ensuite de s’organiser pour le valoriser pour chacun des membres du groupe. Les universités et institution qui ont choisi de mettre en ligne ces cours peuvent se sentir menacées par de telles initiatives. Heureusement pour elles, le pouvoir certificateur reste entre de « bonnes mains ». Il faut quand même bien penser qu’elles pourraient s’en mordre les doigts et que ces bonnes mains pourraient changer de point de vue, en passant du coté de celui qui apprend et pas seulement de l’institution qui enseigne, aussi prestigieuse soit-elle…

A suivre et à débattre

 

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Devauchelle B

Chargé de mission TICE à l’université catholique de Lyon et professeur associé à l’université de Poitiers, département IME.