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Les faits sont têtus. Selon une étude très récente mais confidentielle dont il n’est pas possible encore de donner la source, le niveau des hommes politiques et des parlementaires serait en baisse constante depuis plusieurs décennies.

C’est particulièrement préoccupant.

Les chiffres nous apprennent que les élus s’avèrent, d’une manière générale, incapables de comprendre le monde qui les entoure et ses dernières évolutions. D’autres observations plus pointues font état de graves faiblesses dans leur compréhension des innovations et mutations technologiques, notamment les modifications en profondeur de l’économie, de l’entreprise et de la société. Mais les enquêteurs pointent surtout un déficit considérable qui s’est accumulé : les parlementaires s’avèrent incapables de comprendre les modifications des rapports humains et sociaux et des modes de management et de vie, tout simplement.

En effet, et là quelques faits semblent venir confirmer notre étude, ces élus multiplient ces derniers temps les initiatives hasardeuses et maladroites, en particulier dans les domaines de l’éducation, de la culture et de la défense des libertés.

L’extrême allégeance aux lobbys

Soumis à la pression des mutations techniques et sociétales, les élus de tous bords politiques s’avèrent incapables de résister à celle des lobbys et relaient allègrement leurs slogans, sans se poser des questions, n’hésitant pas à sacrifier l’intérêt et le sens communs à des intérêts privés.

Rapport HadopiRappelez-vous, ce n’est pas si vieux, je vous en ai parlé (1), la remise d’un rapport parlementaire sur le numérique, fort intéressant au demeurant, fut l’occasion de l’ajout d’un paragraphe ridicule consacré à l’éducation numérique reprenant mot pour mot les propositions absconses du lobby de l’informatique. Je n’y reviens pas.

Aujourd’hui-même, deux députés proposent des pistes, voir ci-contre, pour ranimer la moribonde Hadopi, sous la pression des ayants droit et des lobbys de l’industrie culturelle. Au menu, des pouvoirs renforcés pour la Haute autorité, qui pourrait changer de nom, avec le filtrage de sites et la constitution de listes noires, entre autres joyeusetés ringardes et décalées !

L’école, c’était mieux avant ©

Rapport écoleUn indice très inquiétant de cette fameuse baisse du niveau des parlementaires nous est fourni par le rapport du sénateur Jacques Grosperrin « sur le fonctionnement du service public de l’éducation, sur la perte de repères républicains que révèle la vie dans les établissements scolaires et sur les difficultés rencontrées par les enseignants dans l’exercice de leur profession » (sic et ouf). Les mots manquent pour qualifier une telle copie.

Il convient d’abord de s’étonner de la manière dont se sont déroulées, en amont, les auditions des personnalités « qualifiées » : au-delà du choix ahurissant de beaucoup d’entre elles, certaines auditions témoignent du profond mépris manifesté à l’égard des invités par le rapporteur Grosperrin. Ainsi, sur son blogue, Philippe Watrelot :

« Cette commission d’enquête était une mascarade. Et le mot est faible. Il m’en vient de plus grossiers. Le rapport rédigé par le sénateur Grosperrin relève de la malhonnêteté intellectuelle. »

Il faut être particulièrement ignorant des réalités et des évolutions de ce monde d’une part, des manières nouvelles dont se transmet le savoir à l’ère numérique d’autre part, pour proposer, je cite, d’interdire les tablettes numériques à l’école et de brouiller les téléphones portables, entre autres mentions rigolotes témoignant d’une vision anxiogène du numérique et d’une nostalgie d’une école aujourd’hui bien lointaine. « La numérisation de la société favoriserait le développement d’une forme de “paresse intellectuelle” chez les élèves… » nous dit sans rire le sénateur visionnaire.

Nextinpact nous rappelle enfin que l’élu en question semble aussi versatile que populiste car il proposait, durant la dernière campagne électorale, un « plan d’équipement des élèves en tablettes numériques » pour les enfants de sa bonne ville de Besançon.

Le renseignement et la contre-propagande d’État

ParlementContre toute raison, nos vaillants députés et sénateurs, cette fois-ci de manière très majoritaire, tous bords politiques confondus, ont voté la récente loi sur le renseignement dont on a tant parlé. Fort heureusement, un grand nombre de recours ont été déposés devant le Conseil constitutionnel dont il ne reste plus qu’à espérer que ses vénérables membres ont conservé, eux, suffisamment de sagesse pour censurer comme il convient l’essentiel de cette loi attentatoire aux libertés fondamentales.

Mais la fièvre antiterroriste de nos élus n’a de cesse, dès lors qu’ils sont persuadés que les terroristes ont fait d’Internet le siège préférentiel de leurs errances. Le député Sébastien Pietrasanta s’est vu confier une mission intitulée « La déradicalisation, outil de lutte contre le terrorisme ». Il rend un rapport ahurissant dont on peut ressortir les propositions suivantes : création d’un passeport ou permis Internet à l’école, où l’on apprendrait à discerner le bien du mal, création d’un bataillon d’animateurs de communautés en ligne en charge de répandre la Vérité d’État, le déréférencement des sites supposés prosélytes (de quoi donc ?) et, a contrario, le surréférencement des sites véhiculant la contre-propagande d’État.

DéradicalisationSauf à considérer qu’en effet le niveau baisse et que les élus d’aujourd’hui sont très loin d’être aussi compétents que leurs aînés, on a du mal à comprendre comment ils peuvent à se point se tromper en imaginant que le contre-discours validé est la meilleure réponse à une parole prosélyte.

À quand la création d’un ministère de la Vérité ?

Les parlementaires auraient-ils oublié que l’éducation est la seule réponse à la désinformation, que l’éducation aux médias en particulier permet aux jeunes et aux élèves de s’approprier patiemment les outils nécessaires pour décrypter l’information, d’où qu’elle vienne, et de se construire leur propre opinion ? Ce ne sont pas les bonnes initiatives qui manquent, pourtant. Pourquoi, par exemple, ne pas demander son avis à ce professeur qui nous explique brillamment comment elle travaille à repérer avec ses élèves les discours qui théorisent le complot ?

Mais les élus ne lisent pas ce genre de prose, préférant, quand il s’agit d’éducation, interroger l’inénarrable Alain Finkielkraut. Ensuite, après avoir touché le fond, ils continuent de creuser…

Michel Guillou @michelguillou

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Image par Jules-Arsène Garnier (histoire-image.org) [Public domain], via Wikimedia Commons

1. En matière de numérique éducatif, le degré zéro de la vision politique est largement partagé http://www.culture-numerique.fr/?p=1084

Dernière modification le mardi, 21 juillet 2015
Guillou Michel

Naturaliste tombé dans le numérique et l’éducation aux médias... Observateur du numérique éducatif et des médias numériques. Conférencier, consultant.