Quel avenir pour la voie technologique dans l’enseignement secondaire français ?
En France, pendant fort longtemps, il n’y eut que deux voies d’études secondaires : la voie générale – la plus ancienne, et longtemps quasiment unique – et la voie technique et professionnelle.
Les fondations modernes de cette dernière furent posées par le Ministre Jean Barthoin qui, en 1959, créa deux parcours de ce type : l’un – le collège d’enseignement technique – ayant pour mission de former les ouvriers qualifiés, l’autre – le lycée technique - chargé de former les « techniciens supérieurs » (au sens où on l’entendait à cette époque : de niveau « baccalauréat technique »), répondant ainsi à un besoin croissant dans le pays qui vivait alors une période de forte expansion économique (les fameuses « trente glorieuses »).
Cette organisation du système d’enseignement secondaire français perdura pendant près de trente ans, jusqu’à ce que les profondes mutations scientifiques, techniques, économiques et sociales que connut à cette époque notre pays, comme bien d’autres, obligent à mettre en place une nouvelle architecture de l’enseignement secondaire avec la création (par la loi de programmation du 23 décembre 1985) du baccalauréat professionnel, et la subdivision de l’ancienne voie technique et professionnelle en deux branches distinctes : technologique d’une part, professionnelle d’autre part. C’est ainsi que fut créée le lycée actuel, avec ses trois voies d’accès au baccalauréat. Dans le même temps, l’enseignement supérieur vécut une forte expansion des créations de formations professionnelles de niveaux bac + 2 (avec notamment la très forte croissance de l’offre de places dans les STS (sections de techniciens supérieurs) et les IUT (instituts universitaires de technologie), ainsi que dans plusieurs centaines d’écoles professionnelles « spécialisées » de toutes sortes, en deux ans (surtout), trois parfois.
Ainsi se dessina progressivement ce qu’il est convenu de nommer « le système bac – 3/ + 3 » : la voie générale conduisant la majorité de ses élèves à l’enseignement supérieur long via les premiers cycles universitaires, les classes préparatoires aux grandes écoles, et les grandes écoles à recrutement niveau baccalauréat ; la voie technologique débouchant pour la plupart de ses bacheliers sur des études supérieures professionnelles courtes, et la voie professionnelle, supposée préparer une grande majorité de ses élèves à entrer sur le marché du travail, sans pour autant interdire la poursuite des études, notamment en vue de se doter d’un BTS. Ce que l’on n’avait pas prévu c’est que, petit à petit, les bacheliers professionnels faisant le choix de prolonger les études deviendraient majoritaires, les plaçant en une sorte de « concurrence » par rapport aux bacheliers technologiques.
Dès son commencement, cette architecture en trois voies souleva des réserves émanant de nombre de personnes qui faisaient remarquer qu’autant les voies générale et professionnelle bénéficiaient d’une identité claire, justifiant leur existence, autant on ne pouvait en dire autant de la voie technologique. Depuis, le débat n’a jamais cessé ! Une menace constante de disparition pèse donc sur la voie technologique. Qu’en est-il aujourd’hui ?
1- La voie technologique à la française : une voie non unique, mais rare dans le panorama international des études secondaires :
Force est de constater que, dans la plupart des pays, en particulier ceux de l’Union européenne, le « modèle » dominant est celui d‘un lycée ne comportant que deux voies d’études : générale et professionnelle, avec présence fréquente dans la voie générale de modules d’enseignements technologiques s’ajoutant au tronc commun. Avec l’Italie et la Pologne, la France est l’un des rares pays ayant fait le choix de créer une voie technologique spécifique, s’ajoutant aux deux autres.
En Europe, comme dans bien d ‘autres pays du Monde, le choix largement dominant est donc celui d’une voie générale faite d’une majorité d’enseignements de type « tronc commun », complétée par des jeux d’enseignements optionnels obligatoires parmi lesquels certains sont de nature technologique et polyvalente, s’ajoutant à une voie professionnelle.
Dès sa création, au milieu des années 1980, cette architecture en trois voies séparées a suscité de plus ou moins vifs débats : faut-il la maintenir ou doit-on, dans un souci d’harmonisation européenne, mais aussi parce que la voie technologique, de réforme en réforme, s’est progressivement rapprochée de la voie générale, «rendre la voie technologique soluble dans la voie générale » comme le déclara un Recteur lors d’une université d’été consacrée à ce thème en 2008.
Pour autant, force est de constater qu’à ce jour, aucune décision allant dans ce sens n’a été prise, et ce bien que la voie technologique ne soit jamais parvenue à convaincre un nombre significatif de familles du bien-fondé d’une telle orientation en fin de seconde générale et technologique.
2- Une importante baisse des effectifs en voie technologique, due à un déficit d’attractivité :
Force est de constater que les effectifs d’élèves admis en voie technologique sont globalement en forte baisse depuis plus de vingt ans, alors que ceux de deux autres voies sont en nette croissance :
Evolution des effectifs dans les voies du Lycées
2000 | 2020 | |
Voie générale (1) | 265000 | 360000 |
Voie technologique (2) | 150000 | 100000 |
Voie professionnelle (3) | 97000 | 175000 |
(1)Effectifs des classes de première et terminale générales
(2)Effectifs des classes de première et terminale technologiques
(3)Effectifs des classes de seconde, première et terminale professionnelles, hors formations par l’apprentissage
Source : DEEP, Ministère de l’Education nationale
Encore s’agit-il d’effectifs constatés après les décisions d’orientation prises par les conseils de classe réunis en fin d‘année scolaire de seconde générale et technologique. Or, une importante part des élèves orientés vers une classe de première technologique n’y entrent que par défaut, faute d’avoir été admis dans une première générale qui a leur préférence. La diminution de la demande d’orientation vers la voie technologique en premier vœu est encore plus forte que celle des effectifs.
Il a certes été constaté un regain significatif des effectifs orientés vers la voie technologique à compter de l’année 2011, mais force est de constater que ce phénomène s’est rapidement retourné : la tendance à la baisse a repris le dessus dès 2013/2014. Cette courte embellie s‘est en outre fortement concentrée sur la spécialité STMG qui représente à elle seule plus de la moitié des effectifs globaux de la voie technologique. En outre, cette courte croissance des effectifs ne s’explique pas par des demandes d’orientation exprimées positivement par les familles, mais par l’émergence de divers textes réglementaires visant à freiner les possibilités de redoublement en fin de de seconde générale et technologique. Il en a résulté que les conseils de classe ont orienté en plus grand nombre vers la voie technologique (en particulier la STMG), des élèves qui, les années précédentes, auraient été déclaré redoublants, dans le but pour beaucoup d’entre eux d’obtenir un an après une décision d’orientation vers une première générale. C’est une autre façon de démontrer que la voie technologique souffre d’un manque structurel d’attractivité.
Il convient cependant de nuancer cette observation en tenant compte des différences qui existent entre les huit spécialités de la voie technologique. A elle seule, la spécialité STMG (sciences et technologies du management et de la gestion) représente un peu plus de 55% des effectifs totaux de la voie technologique. Or, c’est celle qui connait le plus fort déclin sur la période 2000/2020. Autre spécialité technologique aux effectifs importants : la STI2D (sciences et technologies de l’industrie et du développement durable, 22% des effectifs totaux de la voie technologique) connait également une baisse tendancielle de ses effectifs. Les sciences et technologies de laboratoire (STL), qui représentent 5% de l’ensemble, sont dans une semblable situation. Par contre, la spécialité ST2S (sciences et technologies de la santé et du social, 14% des effectifs globaux de la voie technologique) connait un regain de vocations après plusieurs années de baisse tendancielle. Quant aux spécialités STD2A (sciences et technologies du design et des arts appliqués), STHR (sciences et technologies de l’hôtellerie et de la restauration), S2TMD (sciences et technologies du théâtre, de la musique et de la danse), sciences et technologies de l’agronomie et du vivant (STAV), leurs effectifs sont relativement stables, mais non significatifs compte tenu de leurs petits nombres.
Enfin, on ne peut qu’être frappé par le fait que la mise en place de la nouvelle voie générale unique du lycée réformé, s’est brusquement accompagnée d’une forte baisse des effectifs orientés vers la voie technologique en 2019 : - 4,4% en moyenne en première technologique, - 13% pour la seule filière STI2D ! Sans être d’une aussi forte ampleur, les chiffres observés lors des rentrées de 2020 et 2021 vont dans le même sens. Tout se passe comme si la dernière en date des réformes du lycée avait provoqué une amplification de l’effet de bascule de certains élèves à profil technologique, vers la nouvelle voie générale. Comme le fait remarquer le Proviseur d’un lycée de Marseille désireux de garder son anonymat, « à force de rapprocher la voie technologique de la voie générale, on finit par donner aux familles le sentiment qu’il vaut mieux opter pour une orientation vers la première générale, qui est clairement identifiable, et porteuse de lendemains plus prometteurs qu’une première technologique ».
Cet effet de bascule n’a certes rien de nouveau, mais il s’amplifie, et prouve qu’à force de voir la voie technologique se rapprocher de la voie générale, elle subit depuis plus de vingt ans une perte de « lisibilité » qui nuit à son attractivité. Compte tenu de la hiérarchisation des trois voies d’études secondaires, il n’est pas étonnant de constater qu’un nombre croissant d’élèves qui, dans le passé, auraient accepté une orientation vers la voie technologique, préfèrent aujourd’hui tenter l’expérience de la voie générale. Reste à savoir pourquoi la mise en place de la dernière en date des réformes de la voie générale du lycée a brusquement amplifié cette tendance. Il nous semble que l’explication tient au fait que cette réforme du lycée concerne avant tout la voie générale. La voie technologique n’a que fort peu été impactée, amplifiant le sentiment que la voie générale est la plus considérée des deux. En outre, l’une des caractéristiques principales de la nouvelle voie générale unique (au sein de laquelle les anciennes filières - S, ES et L - ont disparu), est qu’elle est désormais modulaire : elle propose des enseignements structurés autour d’un large tronc commun, complété par divers enseignements optionnels obligatoires (les enseignements dits « de spécialité ») et facultatifs, permettant à chacun de se doter d’un profil librement choisi.
Il suffirait donc que l’on décide d’allonger la liste des enseignements de spécialité de la voie générale en y ajoutant quelques enseignements technologiques (« sciences de gestion », «sciences industrielles », « sciences des laboratoires »…), pour que la voie technologique n’ait plus guère de raison d’être en tant que voie autonome. Nous pensons cependant que si un tel scenario a du sens pour les actuelles filières STMG, et peut être STL et ST2S, par contre, les filières plus spécifiques que sont, les STHR, STAV, STD2A et S2TMD pourraient « sauver leur tête » et conserver une existence autonome.
3- Diverses réformes ont été tentées, qui n’ont pas produit les effets attendus :
Nul ne peut nier que ce déficit d’attractivité de la voie technologique et la baisse des effectifs qui en résulte, tout particulièrement dans les spécialités STMG, STI2D et STL, ont ces dernières années fait l’objet de diverses réformes visant à en réduire les effets négatifs. On peut trouver les détails concernant cette vague de réformes dans un très intéressant rapport de l’Inspection Générale datant du 15 novembre 2016 («Le bilan de la réforme de la voie technologique », rapport N° 2016-60) que l’on peut lire sur le site :
www.vie-publique.fr/rapport/36256-le-bilan-de-la-reforme-de-la-voie-technologique
Rappelant que, depuis son émergence dans les années 1980, l’enseignement technologique s’est fréquemment transformé en fonction des évolutions économiques, scientifiques et techniques, comme il se doit concernant de tels enseignements, les rapporteurs constatent que ces diverses réformes ne sont pas parvenues à enrayer la baisse des effectifs. Les rapporteurs expliquent en partie cet échec par le fait qu’il n’a jamais été engagé de réforme globale de la voie technologique : les diverses tentatives de rénovation ont été faites spécialité par spécialité, sans esprit de cohérence d’ensemble. Ces réformes ont cependant eu le mérite de se rejoindre a posteriori sur quelques points de convergence sans lesquels cette voie d’études secondaires aurait probablement disparu depuis longtemps. Que sont ces points de convergence ?
- De réforme en réforme, on a globalement assisté à un double processus progressif de déspécialisation et déprofessionnalisation. Dans chacune des deux grandes filières technologiques (STMG et STI2D), mais aussi en STL, on a pris acte du fait que les bacheliers qui en sont issus sont très majoritairement destinés à prolonger leurs études dans des formations supérieures professionnelles courtes (notamment en IUT et BTS) au sein desquelles ils trouveront un vaste panel de possibilités de spécialisation. Dès lors, à quoi bon se spécialiser dès le niveau lycée, entretenant ainsi la confusion avec certaines spécialités de la voie professionnelle, alors que l’évolution vers plus de polyvalence serait de nature à consolider l’existence d’une voie technologique qui aurait ainsi sa raison d’être en plus de la voie professionnelle ? C’est ainsi par exemple que l’ancienne filière STI, qui était avant 2011 subdivisée en sept spécialités préprofessionnelles, vit ces dernières ramenées au nombre de quatre, articulées autour d’un plus vaste tronc commun (réforme de 2011). Idem en STMG qui vit le nombre de ses spécialités passer de quatre à deux, et de trois à deux en STL. Les autres filières technologiques (STHR, STD2A, STAV et S2TMD) étaient d’ores et déjà conçues en tant que filières mono spécialisées.
Cette évolution a permis de supprimer, dans les diverses filières de la voie technologique, tous les enseignements de nature préprofessionnelle qui existaient auparavant, et donc de se démarquer plus nettement de la voie professionnelle, faisant clairement de la voie technologique une voie préparatoire aux études supérieures, et non à l’emploi. Mais dans le même temps, elle a rapproché la voie technologique de la voie générale, créant une autre forme d’ambiguïté.
- Sur un plan plus pédagogique, ces réformes ont profondément transformé l’équilibre qui existait entre le concret et l’abstrait. Sans basculer strictement dans les façons d’enseigner qui caractérisent la voie générale, on s’en est indéniablement rapproché. Pour reprendre l’heureuse expression de François Jarraud (dans un article publié en 2017 sur le site de L’EXPRESSO:
(« Faut-il maintenirl’enseignementtechnologique ? »www.cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2017/01/09012017/Article636195446254698431.aspx), « (en STI2D) on passe de la machine à la simulation par ordinateur », et dans toutes les filières de la voie technologique, « l’accent est désormais mis davantage sur la conception que sur la réalisation» ! En d’autres termes, l’objectif est devenu celui d’y former des personnes aptes à concevoir, et non trop strictement à réaliser, comme ce fut longtemps le cas auparavant.
- Ajoutons que ces diverses réformes ont provoqué une profonde évolution de la pédagogie qui est pratiquée en voie technologique. En y favorisant des enseignements plus transversaux, on y a installé ce qu’il est convenu de nommer « la pédagogie de projet », marqueur désormais bien ancré de la nouvelle voie technologique.
Par « pédagogie de projet » il faut entendre une pratique active permettant de développer des apprentissages en se fondant sur des productions concrètes que les élèves doivent réaliser, individuellement ou collectivement. Ce peut être la préparation d‘une réunion, d’une campagne promotionnelle, d’un voyage, d’un spectacle, d’une maquette, d’un exposé, d’une œuvre, la résolution d’un problème complexe, etc.
Cette méthode, que l’on doit à un psychologue américain nommé John Dewey, peut se résumer par l’expression « learning by doing » (« apprendre en faisant »). Son créateur rejette la dualité qui oppose traditionnellement la pédagogie « hypothético-déductive » (partir de la découverte des concepts, des théories, des abstractions… pour les illustrer a posteriori par des exercices d’application, ainsi qu’on le fait le plus fréquemment dans l’enseignement général), et la pédagogique inductive » (partir de l’observation des faits ou de situations pratiques pour en tirer des systèmes d’analyse transférables, ainsi qu’on le fait habituellement dans l’enseignement professionnel).
Dans son célèbre ouvrage « Expérience et éduction » (publié en 1938, traduit en langue française aux éditions Armand Colin), il écrit : « Entre le « penser » et le « faire », il y a place pour des pratiques pédagogiques qui allient ces deux dimensions ».
4- Un maintien qui pourrait se justifier par les contraintes de l’orientation scolaire :
Dans un rapport de l’Inspection générale rendu public en octobre 2021 (« L’orientation de la quatrième au master »), accessible sur le site https://www.education.gouv.fr/rapport-thematique-igesr-2020-l-orientation-de-la-quatrieme-au-master-325088 , les rapporteurs présentent 27 préconisations visant à améliorer le fonctionnement de l’orientation scolaire en France. L’une d’entre elles (numéro 17) est particulièrement intéressante au regard du sujet faisant l’objet de cet article.
Sous le titre « Sortir de l’ambiguïté qui entoure l’existence de trois voies de formation au lycée », il est prescrit d’« assumer la coexistence d’une voie professionnelle et d’une voie technologique aux finalités distinctes et d‘égale dignité. En assurer l’égale promotion sans occulter les spécificités inhérentes à chacune et les différences entre les parcours auxquels elles préparent dans l’enseignement supérieur. Si la voie professionnelle se singularise notamment par sa double finalité (insertion professionnelle/poursuite d’études) et l’alternance des périodes de formation (établissement/entreprise) qui doit conduire à adapter l’offre de formation en BTS à la demande de plus en plus importante de poursuite d’études, la voie technologique constitue une originalité française par rapport aux autres système européens d’éducation, qui devrait être un atout valorisé en matière de diversification des voies de la réussite au lycée et de poursuite dans l’enseignement supérieur ».
L’Inspection générale est donc favorable au maintien de la voie technologique dans l’enseignement secondaire ; Elle est dans son rôle lorsqu’elle recommande d’ « assurer l’égale promotion » des trois filières de l’enseignement secondaire, et de « sortir de l’ambiguïté qui les entoure », et pour cela, conseille que l’on fasse mieux connaître les possibilités d’études supérieures que chacune de ces trois voies offre à son issue, et ce en pleine logique par rapport à l’objectif fixé par l’ensemble des pays membres de l’Union européenne de conduire 50% d’une tranche d’âge à un diplôme de niveau bac + 2/3 d’ici 2030.
Cependant, se limiter à cela est insuffisant. Une telle approche se contente de raisonner par rapport aux débouchés post baccalauréat de chacune de ces trois voies, « comme si la distinction de ces voies ne se faisaient pas par les deux bouts », ainsi que l’écrit très justement Bernard Desclaux (ancien conseiller d’orientation-psychologue et directeur de CIO), dans un article (« L’orientation au rapport ») publié sur le blog EducPros.fr (http://blog.educpros.fr/bernard-desclaux/2021/10/27/lorientation-au-rapport/).
Or, à l’entrée du lycée (pour la répartition des élèves de troisième entre les classes de seconde professionnelle et de seconde générale et technologique), comme à l’issue de la classe de seconde GT (pour la répartition des élèves entre le cycle terminal général et le cycle terminal technologique), s’organise un triage des élèves qui est fonction de la hiérarchie des voies d’études, mais aussi du bilan scolaire et personnel de chaque élève. Ainsi s’explique que, de longue date, à ce niveau scolaire, sauf cas particuliers, les élèves « plus que moyens » s’orientent majoritairement vers la voie générale, les moyens vers la voie technologique, les « moins que moyens » vers la voie professionnelle.
Ce phénomène est source d’une difficulté particulière rarement évoquée : il conduit en voie technologique des élèves dont le bilan scolaire est majoritairement plus ou moins « moyen ». Or, si ce niveau des élèves était suffisant pour qu’ils affrontent, pour la plupart avec succès, les exigences des anciens programmes et des méthodes pédagogiques d’il y a dix ans et plus. Il l’est désormais beaucoup moins au regard des exigences d’aujourd’hui. Tout se passe comme si, de réforme en réforme, la voie technologique avait progressivement relevé le niveau de ses « attendus » (pré requis), alors que dans le même temps, du fait de la hiérarchie de filières et du différentiel d’attractivité, les élèves désormais orientés vers cette voie sont en moyenne de moins en moins aptes à en tirer un plein bénéfice.
Il n’en reste pas moins que la voie technologique revêt une importance particulière pour les élèves qui sortent du collège nantis d’un niveau moyen. Si elle n’existait pas, ils seraient très majoritairement conduits à frapper à la porte de la voie générale, dans laquelle ils auraient de bien plus grandes difficultés pour atteindre un bon niveau de réussite.
On peut donc dire que l’existence de cette voie offre une alternative positive à des élèves qui, en fin de collège (répartition entre seconde professionnelle et seconde générale et technologique),puis en fin de seconde GT (répartition entre première générale et première technologique) sont fréquemment en rejet du système scolaire traditionnel qui caractérise le collège français, très ressemblant à la voie générale du lycée, et ne souhaitent pas pour autant s’orienter de suite vers une filière « à finalité professionnelle ».
Conclusion :
Au terme de ces analyses, nous ne pouvons que constater que la question reste ouverte : faut-il continuer de maintenir dans le lycée français un système à trois voies ou décide-t-on de passer à un système à deux branches, la voie technologique s’intégrant dans la voie générale ?
Force est de constater que cela fait plus de trente ans que la question est posée, et que jamais, jusqu’à nos jours, il n’a été proposé une réponse claire. Cela s’explique en partie par le fait que la balance « avantages/inconvénients » du maintien du système actuel à trois voies n’a jamais penché nettement d’un côté.
Il est donc probable que l’on va encore vivre quelques années sans trancher dans le vif d’un sujet sensible, ne serait-ce que parce que derrière la tentation d’une intégration de la voie technologique dans la voie générale se posent des problèmes de gestion des ressources humaines qui divisent les enseignants et leurs organisations syndicales. Nombreux sont celles et ceux qui pensent qu’il est préférable de « donner du temps au temps » : puisque la tendance à la réduction des effectifs de la voie technologique semble irréversible, pourquoi se lancer aujourd’hui dans une réforme qui serait très fortement contestée, alors qu’il suffit de patienter jusqu’à ce que la baisse des effectifs orientés vers la voie technologique impose de facto, et progressivement (donc en douceur ) sa disparition en tant que filière autonome ?
Bruno MAGLIULO
Dernière modification le samedi, 06 novembre 2021