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La classe inversée est l’objet d’un immense engouement dans toutes les sphères de l’enseignement en Europe et aux États-Unis. S’agit-il d’un mouvement durable offrant de nouvelles perspectives pédagogiques dans un système scolaire essoufflé ou d’une mode qui ne convient qu’à certains enseignants, à certains élèves ? Quelles sont les conditions à respecter pour mettre en place une classe inversée efficace ?

Publié sur le site de l'Agence des Usages. Accès à l'article.

Recommandations : 
Le développement de la classe inversée devrait reposer sur :

  • une maîtrise approfondie des principes d’apprentissage ;
  • une connaissance des capacités de ses élèves à apprendre de manière autonome ;
  • sa propre capacité d’enseignant à recourir à une pédagogie active ;
  • la souplesse des conditions d’enseignement (pédagogiques et technopédagogiques) dans lesquelles elle est expérimentée.

Ce dont les enseignants ont le plus besoin dans ce contexte est :

  • d’apprendre à structurer des séquences d’enseignement médiatisées ;
  • d’apprendre à piloter des activités d’apprentissage significatives et engageantes en classe.

par Isabelle Nizet * et Florian Meyer *

La classe inversée exerce un attrait indéniable sur les enseignants qui souhaitent diversifier leurs approches pédagogiques et tenter de nouvelles expériences avec leurs élèves. Il semble cependant nécessaire de bien comprendre en quoi cette approche offre des bénéfices réels, alors que peu de recherches scientifiques ont démontré son efficacité à l’aide de données probantes, comme le soulignent Steve Bissonnette, professeur à la TÉLUQ, et Clermont Gauthier, professeur à l’Université Laval au Québec. 

Une définition souple

La classe inversée est souvent perçue comme la simple inversion d’activités typiques d’un enseignement traditionnel : au lieu d’écouter l’enseignant en classe et de faire ses devoirs seul à la maison, l’élève réalise des apprentissages de manière autonome à l’aide de matériel numérique à la maison et fait des exercices en classe avec l’enseignant. Les professeurs Kim, Kim, Khera et Getman, du Center for Scholarly Technology de l’University of Southern California à Los Angeles estiment qu’il s’agit de bien plus que cela. Selon eux, la classe inversée est une approche ouverte qui :
  • http://www.cndp.fr/agence-usages-tice/img/liste_puce.jpg) 0px 6px no-repeat;">met en œuvre des activités pédagogiques soutenues par la technologie numérique en dehors de la classe,
  • http://www.cndp.fr/agence-usages-tice/img/liste_puce.jpg) 0px 6px no-repeat;">favorise la différenciation de l’apprentissage au moyen d’une inversion d’activités conventionnelles autant à l’intérieur qu’à l’extérieur de la classe,
  • http://www.cndp.fr/agence-usages-tice/img/liste_puce.jpg) 0px 6px no-repeat;">facilite les interactions entre les élèves et l’enseignant.
Cette définition s’appuie entre autres sur les expériences concrètes de Jonathan Bergman et d’Aaron Sams, deux enseignants de chimie à l’école Woodland Park au Colorado, considérés comme les pionniers de la classe inversée aux États-Unis dans les années 2005-2006. 

Aux origines de la classe inversée

Considérant que l’obligation de travail solitaire à domicile par les élèves (le temps consacré aux devoirs) ne faisait qu’augmenter l’écart potentiel entre les élèves performants et les élèves ayant des difficultés d’apprentissage, ces deux enseignants (Jonathan Bergman et Aaron Sams) en sont venus à la conclusion que le temps de classe, essentiellement consacré aux exposés magistraux, était probablement pédagogiquement sous-utilisé.

Leur motivation initiale était simple : ils souhaitaient aider des élèves, qui (pour différentes raisons) ne pouvaient assister à leur cours, à poursuivre leurs apprentissages malgré le fait qu’ils n’avaient pas été présents en classe. Après s’être filmé pendant qu’il donnait son cours de chimie en classe, Aaron Sams rendit ainsi disponibles ces capsules vidéo aux élèves absents. Constatant que ces élèves posaient davantage de questions et arrivaient mieux préparés en classe, les deux enseignants ont pensé qu’il pourrait être utile de proposer les capsules vidéo à tous les élèves afin de pouvoir passer plus de temps à résoudre avec eux des problèmes de compréhension et d’application dans un dialogue pédagogique.

C’est donc la possibilité technologique de « dédoubler » la présence de l’enseignant par le biais de la capture vidéo et de la diffusion du contenu de formation à la maison qui a permis le pas décisif vers « l’inversion » de la classe. Il faut cependant noter que le fait d’être exposé à un discours magistral de l’enseignant sur support numérique ne fait que reprendre une caractéristique de l’enseignement conventionnel, mais de manière médiatisée. Par contre, les élèves ont l’avantage de pouvoir regarder les vidéos à leur rythme, plusieurs fois, voire à plusieurs, et de poser leurs questions à l’avance. 
L’inversion de la classe consiste ensuite à proposer en classe des activités traditionnellement effectuées sans l’aide de l’enseignant après l’école. L’enseignant propose des activités qui favorisent l’explicitation et l’utilisation des connaissances acquises dans la démarche d’auto-apprentissage à la maison dans des problèmes à résoudre et des tâches à accomplir. La classe inversée offre ainsi la possibilité de restructurer le temps et l’espace scolaire pour privilégier la communication pédagogique en vue d’un meilleur apprentissage. 

Au carrefour de plusieurs tendances

Une méta-analyse de 24 études portant sur la classe inversée réalisée par Jacob Bishop de la Utah State University et Matthew Verleger de la Embry-Riddle Aeronautical University en Floride montre que la classe inversée combine les caractéristiques de plusieurs approches pédagogiques : la pédagogie active, la différenciation pédagogique, l’auto-apprentissage, l’apprentissage par les pairs, l’approche par résolution de problème ou l’apprentissage coopératif.

Bien que la classe inversée suscite des attentes très élevées, il est toutefois impossible d’obtenir pour l’instant une vision claire de ses effets sur la réussite des élèves. Alors que plusieurs recherches empiriques ne démontrent pas de différence significative entre une approche traditionnelle et une approche inversée, comme le montre par exemple James Glynn de la Montana State University, qui a analysé une expérimentation de classe inversée en chimie au secondaire en 2013, d’autres données suggèrent que la classe inversée contribue de manière significative à l’amélioration des résultats des élèves. C’est du moins ce qu’affirme Katleen Fulton dans une expérience menée en mathématiques dans une école secondaire du Minnesota, en 2009. 

Par contre, il n’est pas certain que tous les élèves soient prêts à s’engager dans une expérience de classe inversée. Dans une étude datant de 2013, Eric Brunsell, professeur en science de l’éducation à l’Université du Wisconsin d’Oshkosh et Martin Horejsi professeur en technologie éducative et en science de l’éducation à l’Université du Montana de Missoula, indiquent que 20 à 30 % des élèves seulement visionneraient spontanément les vidéos proposées ; selon James Glynn, les élèves souhaiteraient même que leur classe de chimie ne soit que partiellement inversée. Autrement dit, si la classe inversée permet à l’enseignant d’être davantage en prise directe avec les éventuelles difficultés d’apprentissage de ses élèves pendant le temps de classe, il n’est pas dit que les élèves soient tous d’accord pour s’investir dans une démarche d’apprentissage en profondeur.

Quelles sont alors les conditions d’une mise en place de la classe inversée ?

La première condition de mise en place d’une classe inversée est de vouloir repenser son rôle d’enseignant au sein de l’espace/temps scolaire en décidant d’adopter une pédagogie centrée sur l’élève, mais avec une certaine prudence :
  • les élèves ne sont pas tous prêts à adopter une posture plus active en classe et à la maison ;
  • il sera nécessaire d’apprendre aux élèves à devenir plus autonomes ;
  • il est primordial de bien cerner les problèmes pédagogiques que pourrait éventuellement résoudre la classe inversée.
La deuxième condition concerne les conditions d’enseignement et d’apprentissage :
  • le temps de préparation est plus long pour l’enseignant, sauf s’il se limite à se filmer pendant qu’il fait un exposé ;
  • la création de capsules d’autoformation (planification, scénarisation, élaboration du support visuel et sonore) doit s’appuyer sur une planification didactique sérieuse, les contenus transmis sur support numérique devant être structurés de manière claire et pédagogique. Il ne s’agit pas de propulser les élèves devant n’importe quelle vidéo en espérant que des apprentissages seront automatiquement générés par leur visionnement ;
  • l’enseignant doit proposer des activités cognitivement significatives en classe, ce qui nécessite une bonne connaissance de la pédagogie active ;
  • http://www.cndp.fr/agence-usages-tice/img/liste_puce.jpg) 0px 6px no-repeat;">le contexte scolaire doit être prêt à tolérer une autre gestion de classe, plus décentralisée, plus autonome, plus souple, plus active, voire plus mouvementée.
La troisième condition concerne la qualité de l’environnement technopédagogique :
  • l’accessibilité à des moyens technologiques de base pour tous les élèves doit être garantie ;
  • le soutien de la part de l’équipe dirigeante de l’établissement scolaire est nécessaire ;
  • les ressources numériques produites doivent être d’une qualité relativement élevée et agrémentée d’un design actuel afin d’offrir un pouvoir attractif au public visé.
La quatrième condition est de personnaliser l’approche en fonction des caractéristiques de son milieu professionnel et des besoins des élèves :
  • une bonne connaissance du processus d’apprentissage et des caractéristiques de chacun des apprenants est requise ;
  • il est nécessaire d’évaluer dans quelle mesure et quand il est préférable de laisser ses élèves aborder seuls de nouveaux contenus pour mieux les accompagner dans l’application des connaissances.

Pour conclure

Les limites de la classe traditionnelle encouragent les enseignants et les élèves à expérimenter un changement de rôle dans la classe inversée, mais tous n’y sont pas prêts. L’autonomie cognitive des élèves devient un enjeu essentiel de formation dans une société du savoir, mais cette autonomie cognitive doit, elle aussi, faire l’objet d’un apprentissage. 
Bien que les matières scolaires pour lesquelles des études ont été réalisées dans le cadre de l’enseignement secondaire (principalement aux États-Unis) sont la chimie et la physique, la biologie, l’anglais et l’algèbre, il n’est pas exclu que toute matière scolaire puisse s’y prêter.

* Isabelle Nizet - professeure à l’Université de Sherbrooke, Québec, Canada* Florian Meyer - professeur à l’Université de Sherbrooke, Québec, Canada

Références bibliographiques :

Bergman J. et Sams A. (2014), La Classe inversée, Les éditions Reynald Goulet.
Bishop J. L. & Verleger M. (2013), “ASEE national conference proceedings”, Atlanta, GA, In The flipped classroom: A survey of the research.
Brunsell E. & Horejsi M. (2013), “A flipped classroom in action”, The Science Teacher, 80 (2), p. 8.
Fulton K. P. (2012), “10 reasons to flip”, Phi Delta Kappan, 94 (2), p. 20-24.
Glynn J. (2013), “The effects of a flipped classroom on achievement and student attitudes in secondary chemistry”, Montana State University. 
Innovationseducation.org. (2013), La Pédagogie inversée. Retrieved from http://innovationseducation.ca/la-pedagogie-inversee
Kim M. K., Kim S. M., Khera O., Getman J. (2014), “The experience of three flipped classrooms in an urban university: an exploration of design principles”, The Internet and Higher Education, manuscript accepted.
Document téléaccessible à l’adresse :http://www.academia.edu/6991404/The_Experience_of_Three_Flipped_Classrooms_in_an_Urban_University_An_Exploration_of_Design_Principles

Dernière modification le dimanche, 15 février 2015
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