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Le Figaro du 20 mai explique : « Crise oblige, on se réfugie dans l’espérance de diplômes et d’études longues pour ses enfants. Parallèlement, la défiance que ressentent les parents à l’égard de l’école va croissant : doutes sur la compétence des enseignants, revendication d’un suivi plus individualisé, incompréhension des nouvelles méthodes pédagogiques, comme en France, en Suisse ou au Bénin. Les parents ne comprennent pas pourquoi à l’école on ne fait pas plus de lecture syllabique, de par cœur conformément à l’enseignement qu’ils ont reçu.
Une partie des familles, celles dont les enfants rencontrent des difficultés mais pas seulement, porte un regard critique sur ces méthodes. »
 
Le regard sur l’école et les attentes de l’opinion publique à son égard sont paradoxaux.
 
Les parents souhaitent des études longues pour leurs enfants et dans le même temps, ils angoissent en voyant autour d’eux que des jeunes de niveau bac+5 ou 6 se retrouvent à la caisse d’un supermarché ou au service dans un bar ou au chômage. Certains d’entre eux ont des souvenirs douloureux de leur propre scolarité, et dans le même temps, ils veulent le maintien des pratiques qui les ont condamnés à l’échec en espérant que cela aille mieux pour leurs enfants.
 
En matière d’éducation, l’opinion publique est profondément conservatrice. Personne n’exige de mettre des diligences sur les rails du TGV quand celui-ci multiplie les retards ou les pannes, mais pour l’école, on conçoit parfaitement qu’il faille revenir aux moulins à vent pour garantir la production de farine.
 
Dans un débat sur France 2 en 2005, le ministre de Robien avec lequel j’avais quelque problème, me rappelait qu’un sondage indiquait que 84% des parents consultés approuvaient sa volonté d’imposer le « retour au b-a ba » dans toutes les écoles de France. Un ami, ancien premier ministre progressiste, m’interpellait le lendemain, un peu désabusé : « Mais enfin, Pierre, comment a-t-on appris à lire, toi et moi ? Et on sait lire ! ». Ceux qui ont réussi hier ou avant-hier, sont toujours persuadés qu’il n’y a aucune raison que ce qui a réussi pour eux ne réussisse pas pour les autres, aujourd’hui et demain… à condition, évidemment, qu’ils travaillent. Pourtant, dans ce domaine, personne ne peut dire comment il a appris à lire, car il y a tellement de facteurs, d’interactions, de stimuli, de découvertes dans un tel apprentissage qu’il est impossible de déterminer objectivement les facteurs les plus forts.
 
Comment peut-il en être autrement ? Les médias, aux mains de ceux qui ont réussi, sont massivement conservateurs quand ils ne sont pas manipulateurs en plus. Le domaine des apprentissages est celui sur lequel les gens sont le moins informés, tout en pensant qu’ils savent puisqu’ils sont allés à l’école. Les lobbies réactionnaires ont donc un impact terrible. La nostalgie est un frein naturel puissant pour la pensée…
 
On a pu penser que l’idée de refondation allait générer un grand débat national pour mobiliser les citoyens, la Nation, et réduire les paradoxes des représentations des familles sur l’école. On était en droit d’espérer une nouvelle définition des finalités et des contenus, une remise en cause des pratiques dominantes, et même des ruptures courageuses. Peut-être même aurait-on pu obtenir des consensus transcendant les clivages politiciens, sachant que les frontières du conservatisme ne correspondent pas à celle des partis.
 
C’est peut-être pour plus tard… 
 
Pierre Frackowiak
Dernière modification le jeudi, 13 novembre 2014
Frackowiak Pierre

Inspecteur honoraire de l’Education nationale. Vice-président de la Ligue de l’Enseignement 62. Co-auteur avec Philippe Meirieu de "L’éducation peut-elle être encore au cœur d’un projet de société ?". Editions de l’Aube. 2008. Réédition en format de poche, 2009. Auteur de "Pour une école du futur. Du neuf et du courage." Préface de Philippe Meirieu. La Chronique Sociale. 2009. Auteur de "La place de l’élève à l’école". La Chronique Sociale. Lyon. Auteur de tribunes, analyses, sur les sites educavox, meirieu.com. Prochainement, une BD avec les dessins de J.Risso :"L"école, en rire, en pleurer, en rêver". Préface de A. Giordan. Postface de Ph. Meirieu. Chronique Sociale. 2012.