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Un grand émoi agite les médias depuis quelque temps : ils ont découvert que dès le collège, les élèves font du copié/collé d’Internet dans leurs devoirs, et que la fraude bat son plein au bac et autres examens.
Un collègue a même eu l’idée ingénieuse de piéger ses élèves pour les prendre la main dans le sac... Un flag : le rêve !! De toute évidence, les séries policières donnent des idées : normal, nous sommes de plus en plus dans un état policier.
Comme chez le célèbre directeur du pensionnat des "Choristes", à cette action de pure forfaiture, répond bien sûr la réaction : interdire et punir.
Interdire la fraude, c’est déjà fait depuis longtemps, sans grande efficacité, apparemment ; pour Internet, on cherche avidement des moyens d’en rendre l’accès impossible...
Personnellement, tout ceci me laisse perplexe...
 

On sait pourtant, et depuis longtemps, que dès qu’il y a interdiction, la fraude apparaît avec la sûreté d’un métronome ; que les menaces et autres sanctions n’ont d’autre effet que de rendre plus astucieux les fraudeurs, qui finissent toujours par trouver les moyens de contourner les interdictions, et qu’à ce jeu-là, l’escalade ne peut avoir d’autre fin que terrible.

Ces dénonciateurs scandalisés, soucieux de rétablir l’ordre de l’obéissance passive, et englués dans la mélasse routinière des traditions scolaires, il faudrait pourtant qu’ils se réveillent, qu’ils découvrent que nous sommes au 21ème siècle, et que, sans même avoir besoin de remonter très haut, les choses ont bien changé depuis leur propre enfance.

Peu importe de savoir si ce changement est ou non un progrès : il est irréversible et si l’on a le sentiment que ce n’est pas un progrès, c’est à coup sûr parce que l’on refuse de le voir.
Avec le développement de toutes les technologies actuelles, l’information et la documentation sont accessibles de toutes parts. Cela signifie que, depuis longtemps déjà, la culture ne définit plus celui qui sait tout, mais celui qui sait où se trouvent les informations et peut les trouver rapidement.

C’est pour cela que la lecture, qu’elle soit sur écran ou sur papier, est devenue, non un "savoir", comme disent bêtement les programmes du primaire, mais un outil incontournable de vie. Et elle est loin de se limiter aux délices subtils de la littérature, cette fameuse lecture qui, en un quart d’heure, soulageait Montesquieu de tous les maux.
La lecture la plus importante aujourd’hui, c’est la lecture documentaire, celle qui permet en quelques minutes ou en quelques clics de trouver les réponses aux questions qu’on se pose — ou qu’on vous pose. C’est du reste celle qu’exige le travail scolaire et la réussite des études...

Curieusement, c’est la moins travaillée à l’école. Cherchez pourquoi !
Pourtant, ce n’est pas du tout une lecture facile.
Elle est le contraire de celle que prône l’opinion publique, la sublime lecture d’imagination et d’évasion. C’est une lecture de raisonnement et de réflexion, une lecture qui, loin de favoriser l’évasion, ramène à soi, à la réalité du monde qui nous entoure, une lecture questionnante, une lecture de confrontations difficiles d’opinions diverses, souvent contradictoires, qui oblige à l’analyse et aux comparaisons. C’est la lecture de la culture : elle n’offre pas de réponses toutes faites, elle vous oblige à les chercher et à les construire, de façon toujours provisoire, pour les remettre en question à la première occasion. Tout le contraire du "par cœur" récité.
 
 
Or, depuis toujours, l’école officielle, celle des programmes actuels, vise prioritairement la mémorisation par les élèves de savoir tout faits, transmis tels quels, et elle bâtit les certifications de compétences acquises sur la capacité à les dégorger aux examens et concours.

 
Un de mes profs de philo disait volontiers que, pour lui, la mémoire était une solution de feignants dont l’imprudence frôlait la malhonnêteté. Et il précisait :
* Des feignants, parce qu’il est autrement moins fatigant de sortir les choses de sa tête, que de perdre du temps à les chercher dans des bouquins.
Du reste, on en a la preuve dans les classes de tout niveau, où les élèves préfèrent mille fois faire une erreur d’orthographe, plutôt que de chercher la bonne écriture dans un dictionnaire. Loin d’être trop facile, comme disent tant de collègues, cette recherche demande des compétences de manipulation, d’intelligence et de réflexion autrement plus intéressantes que le dégorgis de mémoire.

 
* Des imprudents malhonnêtes, parce que se fier à sa mémoire est la chose la plus risquée du monde : plus infidèle qu’un régiment de Casanova, la mémoire est sélective, subjective, inconstante... Même quand on croit avoir bien retenu, l’honnêteté consiste toujours à vérifier ce qu’on croit savoir.

En plus, elle est extrêmement dépendante de l’état affectif : il suffit parfois d’un peu de stress pour oublier tout ce qu’on savait par cœur. Et le comédien le plus chevronné n’est jamais à l’abri d’un trou de mémoire.
 
D’où l’absurdité, par exemple, d’exiger que l’enfant qui vient dire un poème le fasse les mains vides. Si l’on est dans un moment de poésie, ce qui compte, c’est la poésie, pas la mémoire : une fois de plus on confond le but et le moyen.

Personnellement, j’ai toujours exigé que le diseur ait son texte à la main : rassurant à la fois pour le diseur et pour les auditeurs. Et, vertu supplémentaire, il est puissamment motivant pour une mémorisation : loin de rendre les choses plus faciles, devoir dire le texte en le lisant à haute voix est une performance beaucoup plus difficile, que de débiter de mémoire les quinze lignes prévues dans les programmes. Certes, cela implique qu’on ait appris à lire à haute voix... mais ceci est une autre histoire.

Donc, si on ne veut plus que les élèves fraudent aux examens, en cherchant des moyens de trouver les infos qu’ils n’ont pas, le seul moyen, c’est de leur fournir toute la documentation qu’ils veulent... Si l’on ne veut plus qu’ils "copient", le seul moyen, c’est qu’ils travaillent ensemble.
 
Et surtout, qu’on leur pose d’autres types de questions, des questions où la réponse ne peut se trouver dans un document pour y être copiée ; des questions qui exigent que l’on sache faire des synthèses, des analyses, bref, des questions qui demandent qu’on réfléchisse et qui révèlent l’intelligence des élèves.

Il faut sortir des exercices à réponses uniques : aujourd’hui que les réponses sont faciles à trouver, les élèves auraient bien tort de ne pas les chercher ! Faut-il être retors pour oser dire aux élèves : "Vous devez trouver tout seuls !" Et celui qui ose dire cela, a-t-il trouvé tout seul ce qu’il sait ?

Bien sûr, cela implique que l’on se soit décidé à décaler le projecteur de sa cible habituelle : en classe, ce n’est jamais la réponse qui compte, mais la manière de l’avoir trouvée, et la compréhension qu’on en a. C’est la justification de la réponse qui importe, et c’est pour cela qu’il est souvent bien plus formateur de donner la réponse aux élèves et de leur demander de la justifier.

Mon instituteur de père — peu docile et très anticonformiste —, avait jadis eu à gérer un "incident" (comme quoi, ils ne datent pas d’aujourd’hui !) : un de ses élèves avait eu en mains le manuel de maths du maître avec les corrigés. Au lieu de sévir comme le souhaitait l’Inspecteur, il avait préféré par la suite, après en avoir bien discuté avec ses "fin d’études primaires", donner les problèmes avec le résultat à trouver et le travail des élèves consistait donner la solution qui justifiait ce résultat.
 
Personnellement, agacée par la pratique de la "version" latine ou grecque, où fleurissaient les contresens et les non sens les plus aberrants, je me suis inspirée de cette idée paternelle pour fournir aux élèves, à la fois le texte et la traduction — parfois plusieurs traductions différentes — en leur demandant de commenter, voire d’améliorer, la ou les traductions fournies. Avec cette pratique, parfois reprise aujourd’hui chez quelques collègues anti-conformistes, la qualité du travail effectué par mes élèves monta d’un cran, constat souvent renouvelé depuis.

Autre condition : cela exige que les élèves aient appris à chercher dans la documentation, à s’orienter dans des ouvrages épais — voire, en plusieurs volumes, à savoir utiliser tables des matières et index, à savoir gérer des opinions diverses, contradictoires, à savoir utiliser ce qu’on a lu et en tirer juste ce dont on a besoin. Et alors, il n’y aura plus de "copié/collé".

Où l’on voit que, par exemple au collège, le travail d’apprentissage en lecture est loin de se limiter à faire fonctionner la lecture apprise à l’école primaire — souvent plus que déficiente grâce aux méthodes utilisées ! — mais qu’il convient d’y ajouter les stratégies de "lecture de travail" indispensables, non seulement aux études longues, mais à pratiquement toutes les professions aujourd’hui.


Faut-il aussi rappeler à ceux qui accusent les élèves de "copier", qu’on n’apprend pas tout seul, qu’on ne trouve pas tout seul, et qu’on n’apprend pas à vide ? Ce sont les autres, les pairs ou les pères qui ont fait de nous ce que nous sommes devenus. Nous devons toute notre originalité aux idées des autres : ce qu’on appelle notre personnalité, c’est le miel que nous avons su faire avec tout ce que nous avons entendu et lu.

Si l’on veut que chaque enfant progresse et réussisse, dans ses études, comme dans sa vie professionnelle, il faut qu’il lise, beaucoup, beaucoup plus qu’ils ne le font actuellement, qu’il ait appris à discuter avec d’autres de ses lectures, qu’il se documente, qu’il cherche — toujours dans des bouquins et pas seulement dans sa tête — et confronte ses réactions avec celles de ses camarades. Il faut qu’il ait appris à se batte avec des idées différentes complexes, et contradictoires, pour trouver les siennes.
 
Il peut et doit en trouver beaucoup sur Internet : c’est à cela que devrait servir l’ordinateur et non à faire des exercices prétendument "motivants" en lecture ou en grammaire. Comme tous les autres supports, l’ordinateur doit être utilisé en classe avec ses fonctions sociales, et surtout pas pédagogiques. Ce n’est pas l’ordinateur qui permet d’apprendre, c’est l’utilisation qu’on en fait.
 
De grâce, ne le transformons pas en un manuel scolaire, aussi inutile et démotivant que les autres !! C’est dans du vrai qu’on apprend...
 
L’ordinateur est un objet de lecture, et Internet un objet à lire, parfois trompeur,il est vrai, mais pas plus que les livres ! Il est aussi plus riche et plus complet : en plus il est infiniment plus facile d’accès que la plupart des ouvrages documentaires. Internet est aujourd’hui l’ouvrage documentaire n°1. Et si l’on y trouve tout et son contraire, du sérieux et du n’importe quoi, c’est une raison de plus pour que l’apprentissage de sa lecture devienne essentiel, depuis l’école primaire jusqu’à l’université.

Pour qu’elle soit solide, la pensée doit être nourrie en permanence.
Avoir accès à toutes les formes de documentation, travailler en équipes solidaires et pouvoir le fairetoujours avec documentation, y compris en évaluation, — bien sûr ! — telles sont les conditions premières pour que l’école devienne le lieu où les enfants pourront enfin réellement apprendre ce qu’ils ont à savoir.
Et c’est à cela que devraient servir les fameux moyens réclamés si souvent sur l’air des lampions.
Charmeux Eveline

Ancienne élève de l’ENS, professeur à l’EN d’Amiens, puis au CRCEG de l’EN, entre 1956 et 1971.

Nommée ensuite à l’ENG de Toulouse, puis à l’IUFM de cette ville jusqu’en 1993, date de mon départ en retraite, j’ai parallèlement travaillé à l’INRP, en tant qu’Enseignant chercheur associé, depuis 1966 jusqu’à mon départ en retraite. J’ai publié de nombreux ouvrages sur la pédagogie du français à l’école primaire et au collège.