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Dans un article récent diffusé sur le site Educavox  (« Quel avenir pour les classes préparatoires aux grandes écoles ? » https://www.educavox.fr/quel-avenir-pour-les-classes-preparatoires-aux-grandes-ecoles ), nous évoquions les raisons pour  lesquelles, selon nous, une réforme profonde et globale des CPGE est nécessaire : « Si elles veulent survivre, il faudra bien que leurs soutiens acceptent d’en voir diminuer le nombre, reconnaissent la nécessité d’en remodeler les programmes en y renforçant la dimension pré professionnelle, et amplifient significativement leurs efforts en vue d’une nette amélioration de l’ « ouverture sociale », et surtout, parviennent à lever la contradiction qui oppose de plus en plus les « petites » CPGE (dites « prépas de proximité ») aux « grandes ».

Or, en lieu et place d’une telle réforme globale des CPGE, peu après la rentrée de septembre 2022, le ministère a laissé filtrer une information selon laquelle on aurait décidé d’ouvrir le chantier d’une réforme des seules classes préparatoires aux grandes écoles économiques et commerciales (les « CPGE EC »), au motif principal qu’ au cours des quatre dernières années, on y constate une baisse tendancielle  des demandes d’admission exprimées par les lycéens (près de moins 5% depuis 2018), les CPGE scientifiques ne subissant qu’une très faible diminution (- 2% sur la même période), tandis que les littéraires sont dans une situation inverse (+ 1% sur la même période). 

Très vite, on a assisté à une importante levée de boucliers émanant aussi bien des diverses associations de professeurs de CPGE, que d’une large majorité des syndicats d’enseignants, de l’association des proviseurs de lycées ayant des classes préparatoires, de la plupart des responsables de grandes écoles, de la Conférence des grandes écoles et de son « Chapitre des grandes écoles de management », de la Société des agrégés, de la plupart des organes de représentation du patronat …

Comme c’était très prévisible, le front des « touche pas à ma prépa » s’est très vite et efficacement constitué, conduisant le ministère à annoncer récemment l’enterrement de ce projet de réforme… avant même d’en avoir ouvert la phase des négociations, certains responsables ministériels  allant jusqu’à prétendre qu’un tel projet n’aurait jamais existé. Grande hypocrisie dont il faut en grande partie trouver la source dans le fait qu’il règne en ce moment en France un « climat social » pour le moins tendu, consécutif au projet de réforme des retraites et aux grèves qui en accompagnent le débat parlementaire. Sans doute est-il apparu à certains que ce n’était pas le  bon moment pour débattre d’un autre projet de réforme susceptible de venir alimenter le feu qui couve par ailleurs.

Dont acte ! Mais n’y a-t-il pas là une « victoire à la Pyrrus » ?

Rappelons que le roi Pyrrus 1er, farouche adversaire des romains qui menaçaient de s’emparer de son territoire, les vainquit lors des batailles d’Héraclée (en 280 av. JC) et Ausculum (279 av. JC), mais en épuisant tellement ses forces que, quelques temps après, il fut aisément vaincu par ces mêmes romains qui avaient su sauvegarder une grande partie de leurs forces. Comme pour le roi Pyrrus 1er, Il nous semble que la « victoire » dont se réjouissent aujourd’hui les nombreux opposants au projet de réforme des CPGE EC pourrait n’être que provisoire. 

Notons d’abord le fait que le retrait de ce projet de réforme ne résoudra évidemment pas les diverses questions qui se posent aujourd’hui aux CPGE en général (et pas uniquement à celles du réseau « EC : économique et commercial »), questions auxquelles il faudra bien trouver réponse… sauf à jouer la carte du « pourrissement » qu’on laisserait s’installer assez longuement pour que les fruits devenus incomestibles tombent d’eux-mêmes de leur arbre. Les opposants à toute réforme en profondeur des CPGE sont-ils conscients de ce risque ?

En outre, jusqu’où le front actuellement majoritairement uni des professeurs de CPGE le restera-t-il ? On assiste depuis quelques temps à une sorte de division croissante entre les « grandes » et « petites » prépas. Force est de constater que le « désamour » dont souffrent plus ou moins fortement les CPGE EC (surtout) et scientifiques (dans une moindre mesure), concerne principalement les « petites prépas», celles dites « de proximité », pour la plupart installées dans des lycées de zones rurales et/ou faiblement urbanisées.

Ce sont ces dernières qui subissent le plus le phénomène de diminution de l’attractivité des CPGE, et sont de ce fait, pour certaines, menacées de fermeture, un phénomène qui ne concerne pas ou peu les autres prépas, qui continuent de n’avoir aucun mal à pourvoir toutes leurs places avec des étudiants qui continuent d’être parmi les meilleurs des classes terminales, pour lesquels les professeurs qui enseignent dans ce type de CPGE continuent de faire le sport scolaire de haut niveau qui les caractérise. Peu importe aux yeux de certains d’entre eux que ce clivage s’installe, et que les « petites prépas » soient appelées à payer le prix le plus fort par des fermetures chaque année de plus en plus nombreuses. C’est ainsi que s’installe progressivement une division entre les protecteurs des « petites prépas », dont le souci majeur devient progressivement celui de leur sauvegarde, et ceux des « grandes prépas », qui se battent pour maintenir, dans des CPGE dont l’existence n’est pas menacée, le haut niveau d’exigence académique qui les caractérise depuis leur origine. A cet égard, le message du ministère qui a accompagné l’annonce officielle du retrait de ce projet de réforme est sans équivoque : « A court et moyens termes, et en attendant que redeviennent pertinentes  et possibles des discussions apaisées, nous évaluerons et fixerons les conséquences des situations des classes préparatoires au cas par cas, au regard de leurs effectifs et des besoins de l’enseignement scolaire sur le budget duquel elles sont financées, conformément au principe d’équité qui doit prévaloir dans l’ensemble du système éducatif ».

Même tendance à la césure des grandes écoles elles-mêmes. D’un côté les plus grandes des grandes écoles, qui n’ont aucun mal à recruter leurs élèves parmi les meilleurs des CPGE, et continuent d’en appeler en amont au maintien de celles de ces formations préparatoires qui forment au plus haut niveau académique. Mais aussi d’autres grandes écoles, dites « de second rang », qui ne jouent  pas dans cette « Cour des très  grandes », et ont besoin, pour assurer leurs recrutements, d’un vivier de candidats présentant des profils plus diversifiés. Ainsi s’explique l’apparente contradiction de certains responsables d’une majorité de grandes écoles qui participent à l’opposition contre le projet de réforme des CPGE, mais se montrent par ailleurs soucieux d’accroître la diversification des viviers  de recrutement de leurs élèves, en s’ouvrant de plus en plus aux diverses possibilités qu’offrent les procédures d’admission dites « parallèles » (post IUT, bachelors, licences, bts…).

Comme l’écrit Marie-Christine CORBIER, dans un article paru dans le quotidien Les Echos du 10 mars 2023, « attention à ne pas se réjouir trop vite de l’abandon du projet de réforme, au risque de pleurer demain ».

Bruno MAGLIULO
Inspecteur d’académie honoraire
Docteur en sociologie de l’éducation
Ancien professeur de CPGE
Auteur, aux éditions FABERT, de « Les grandes écoles : une fabrique des meilleurs, mode d’emploi pour y accéder » (www.fabert.com)

 

Dernière modification le jeudi, 16 mars 2023
Magliulo Bruno

Inspecteur d’académie honoraire -Agrégé de sciences économiques et sociales - Docteur en sociologie de l’éducation - Formateur/conférencier -

(brunomagliulo@gmail.com)

Auteur, dans la collection L’Etudiant (diffusion par les éditions de l’Opportun : www.editionsopportun.com ) :

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  • SOS Le nouveau lycée (avec en particulier toute une partie consacrée aux liens entre les choix d’enseignements de spécialité et d’option facultative, et le règles de passage dans le supérieur)
  • Aux éditions Fabert : Les grandes écoles : une fabrique des meilleurs, mode d’emploi pour y accéder

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