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La plupart des élèves adorent les notes; et je pèse mes mots : ils adorent les notes comme le Graal, comme l'outil ultime de compréhension et de classification du Monde... enfin... "du Monde", disons plutôt du petit monde de l'Education Nationale, qui, dans son encadrement au cordeau, a tendance à laisser penser à ses ouailles qu'elle est le seul univers tangible – à tout le moins jusqu'aux examens de fin de cycle.

Les élèves adorent les notes à cause de leurs parents, les parents adorent les notes à cause des professeurs, les professeurs adorent les notes à cause de l'administration, l'administration adore les notes à cause de l'intérêt général, qui commande que chacun soit traité à la même enseigne, pour éviter que quiconque subisse une injustice.

Dans la pratique, on voit bien que les notes sont uniquement sources de discriminations, ce qui peut être utile à la limite pour les encadrants, mais n'a aucun intérêt, est même nuisible au développement des individus, qui apprennent à considérer l'Humanité comme une nature aride, cruelle et injuste, où les plus faibles, à moins de former troupeau, se font manger par les plus forts, qui pour leur part, sont condamnés un jour ou l'autre à mourrir par l'épée de leur descendance.

En taquinant un peu la littérature, j'ai appris que ce n'était pas cela – l'Humanité : la savane susmentionnée est au mieux le monde du travail, au pire une méta-construction sociale résultant de l'industrialisation, qui nonobstant ses nombreuses vertus matérielles, s'est rendue compte qu'il était beaucoup plus efficace d'organiser les hommes comme une vaste chaîne de production, minutés, calibrés, entraînés à faire parfaitement une seule chose à la fois, sans égard pour tous les accidents, toutes les collisions, qui en permanence surviennent au quotidien et forge la richesse et la saveur des personnes.

Travailler comme des automates pour gagner en temps de loisir, d'"épanouissement"...? En vérité, dissocier à ce point les dimensions de l'existence individuelle, c'est un peu comme de demander à un cheval d'être à la fois apte à la course et au labours... Et puis, l'homme est-il un cheval ? – non; l'homme est-il un animal ? – peut-être, mais un animal particulier, le plus particulier, qui se distingue justement, s'est toujours distingué par sa capacité d'expression à la fois individuelle et collective.

La nécessité est moins de supprimer la notation que de changer la manière dont on l'utilise : qu'elle serve non à discriminer mais à cerner, profiler, comprendre. Combien de fois est-on confronté à cette incompréhension des enfants, des parents, face à une note qui tient en deux chiffres, parfois en un seul, et qui ne dit rien, strictement rien, se contente de déterminer la côte du poulain dans le box de la salle de réunion parent-prof ?

Quelle frustration pour le prof de voir à chaque fois les débats polarisés par des dogmes – abolition ou conservation sans nuance de la notation –, cependant qu'il s'accorde à dire qu'il y a effectivement des choses à transformer. Non pas détruire, mais améliorer, adapter. Est-ce si difficile à saisir ?

Tant que les impulsions de transformation viendront du haut, de trop haut, sans égard, notamment matériel, pour le travail et la connaissance de terrain, au jour le jour, on sera condamné au mille-feuille de réformettes, qui alimente la banque de données démagogiques mais à aucun moment ne change les méthodes de compréhension des élèves, devant servir à les aider à se comprendre eux-mêmes et à les orienter au mieux dans le vie, sans partis pris ni jugements de valeurs, seulement efficience – et non rentabilité – professionnelle.

Article initialement publié sur le site : http://leonbellevalle.blog.lemonde.fr/2014/12/13/la-notation-a-la-table-des-negociations-i/

Dernière modification le samedi, 10 janvier 2015
Bellevalle Leon

Professeur d’histoire-géographie au collège depuis cinq ans, je m’occupe de niveau 6e, 5e, 4e, 3e ; je suis prof principal en 5e et coordinateur de l’équipe disciplinaire au sein de l’établissement. Depuis mes débuts, je mets aussi en oeuvre des projets transdisciplinaires, avec des professeurs de mathématique, musique, français, art-plastique, technologie... Passionné par mon métier et mes élèves, je ressens le besoin d’exprimer mes idées sur un système qui me paraît souvent rigide et de moins en moins en phase avec la modernité. En plus d’articles spécialisés, je tiens un blog à vocation littéraire et historique.