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Dans un précédent article, intitulé « De la rénovation de l’Ecole[1] », je décrivais ce qui, selon moi, devrait être les grands chantiers accompagnant la réforme des rythmes scolaires et s’inscrivant dans une refonte global de notre système éducatif. Le troisième point qui y était abordé concernait l’enjeu que représente un changement social majeur autour de l’éducation pré-scolaire de l’enfant. J’aimerais y revenir plus en détail ici[2].
Le constat est simple et facile à effectuer. Il suffit de rester et d’observer toute une matinée dans une classe de petite section de maternelle[3] pour réaliser à quel point des écarts en ce qui concerne le vocabulaire, la prononciation des mots, la formulation de phrases simples, la compréhension, le raisonnement, etc.[4], existent entre les élèves. Plus que cela, il est frappant de constater combien ces écarts peuvent être grands ; tellement importants qu’il est fort compréhensible que cela finisse, à terme, par littéralement étouffer la volonté de réussite d’un enfant[5]. « L’école amplifie les inégalités (sous-entendu sociales) » entend-on souvent dire … On ne peut en effet nier qu’un grand nombre d’élèves entrant à l’école avec un retard, par rapport à la moyenne des petits camarades, ne rattrapera jamais ce différentiel. Cependant, la thèse de la reproduction des inégalités sociales par l’Ecole (cf. Bourdieu) comporte un fatalisme gênant.
 
Il arrive, en effet, que si l’on creuse un peu plus profondément les choses, on s’aperçoit que le diagnostique n’est pas celui que l’on croit et que les réponses à apporter sont, par conséquent, tout autres. Un exemple pourra illustrer clairement les choses. Ma première année d’enseignement m’a amené à exercer dans une petite école rurale, dans laquelle, j’étais en charge d’un cours multiple (Ce1-Ce2-Cm1-Cm2). Dans cette classe, le niveau social moyen était très modeste. Un enfant vivait dans une situation particulièrement précaire vis-à-vis du contexte professionnel de ses parents. Et pourtant, il était de ceux qui avaient la plus grande culture générale. Mieux encore, il écrivait des contes de plusieurs pages (à 10 ans) en manipulant avec aisance le si difficile couple imparfait-passé simple, celui-là même qui fait la régner la terreur dans les rédactions des collégiens. Une première rencontre avec ses parents m’a rapidement fait comprendre le pourquoi du comment. Il bénéficiait tout simplement d’un environnement stimulant : beaucoup de lecture, de grandes balades en forêt à observer les animaux, de grandes parties de jeux de sociétés, etc.
 
Ce cas est loin d’être isolé et il m’est arrivé de découvrir des exemples inverses : enfants issus de familles aisées ayant de grosses lacunes scolaires. Il est donc évident que la difficulté que connait l’Ecole n’est pas celle qui consiste à résorber les inégalités sociales mais de lutter contre des inégalités d’environnement, au sens de milieu stimulant ou non. Il semble donc important de bien distinguer la problématique « enfants issus de milieux socialement favorisés versus enfants issus de milieux socialement défavorisés » du système « enfants issus d’un environnement stimulant versus enfants issus d’un environnement non/peu stimulant ». C’est sur ce dernier point, plus que dans les moyens financiers des parents, que se tapit le véritable problème. Dans ce sens, certes la rénovation de l’Ecole est nécessaire car elle permettra de lutter plus efficacement contre les « maux scolaires » de l’élève mais elle ne pourra pas solutionner à elle seule le problème de l’éducation.
 
L’explication est simple et rationnelle : avant son arrivée à l’école, l’enfant a déjà bâti un socle sur lequel reposera la fondation de ses savoirs. Rien n’est irrémédiable mais le cerveau est ainsi fait que, dans les premières années de sa vie, le jeune aura acquis un certain nombre de dispositions lui permettant d’aborder sereinement ou non sa scolarité. L’enseignement, l’Ecole et le professeur auront, pour ainsi dire, à lutter contre la Nature elle-même. Le rapport de force, même s’il peut quelque fois s’inverser, conduira à ce que l’on pourrait appeler la « reproduction des contextes stimulants-ou-non d’éducation ». L’Ecole n’a donc pas à se « battre » contre les inégalités sociales (c’est un faux problème et pas son rôle). L’Ecole doit contrecarrer une stimulation absente ou très peu présente qui a induit un développement neuronal spécifique entrainant un retard.
 
La réforme de l’Ecole, et plus particulièrement celle des rythmes scolaires, doit donc permettre de repenser les modalités et les enjeux de l’éducation. Le bouleversement, s’il a lieu, du rythme de la journée scolaire doit permettre de s’interroger sur la place accordée à une éducation populaire structurée. En effet, on peut penser que si les communes doivent instaurer des espaces d’accueil pour les enfants dans les temps de la journée où il n’y a pas classe, cela peut être l’occasion de mettre en place de véritables lieux d’éducation populaire ouverts aux parents et à leurs enfants (de tout âge). Il serait également bon de repenser la place du parent dans l’Ecole. Afin d’aider les jeunes parents dans l’éducation de leurs enfants, il pourrait être intéressant d’ouvrir les écoles pour que les jeunes aient accès à un environnement stimulant et que, d’un même coup, les parents se réconcilient avec le monde éducatif (si toutefois il y avait blocage) et trouvent les réponses à leurs questions. En clair, il serait bon « d’outiller les parents pour éveiller les enfants.[6] »
 
En guise de conclusion, j’insisterai simplement sur ce fait : il ne faut pas confondre environnement stimulant (ou non) et milieu favorisé (ou défavorisé). L’accès à la culture (musées gratuits, balades en forêts, jeux de société, lectures, etc.) n’est souvent pas une question d’argent mais de temps à consacrer à ses enfants. Certains parents éprouvant des difficultés d’accès à cette culture doivent être aidés afin que leurs enfants entrent dans leur scolarité dans de bonnes conditions. La refonte de notre Education nationale doit donc se poser également les questions de notre éducation populaire afin qu’avant son entrée à l’école chaque enfant reçoive les mêmes conditions de réussite. C’est donc à la société de stopper la reproduction des inégalités d’environnements peu propices à la stimulation et non seulement à l’Ecole de stopper la reproduction des inégalités sociales. Notons pour finir, que ces propos vont dans le sens d’une scolarisation (obligatoire ?) dès 3 ans … voire 2 et non d’une destruction (qui avait commencé) de l’Ecole maternelle.
 
 

[3]Après les vacances de la Toussaint afin qu’un ensemble de règles et habitudes viennent quelque peu coordonner le groupe.
[4]J’exclue volontairement la motricité de cette liste car elle concerne un problème différent de ce que j’aimerais montrer ici.
[5]Découragé par le chemin qu’il lui reste à parcourir pour seulement rattraper son retard, il est bien souvent plus facile à l’enfant de faire semblant d’avoir choisi l’échec.
Tresse Julien

De formation neuroscientifique, je suis actuellement professeur des écoles sur Varsovie. 
Mes réflexions portent plus particulièrement sur :
- les usages pédagogiques du numérique ;
- la différenciation pédagogique ;
- les apports neuroscientifques à la pédagogique.