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Comme tout prof d'histoire qui se respecte, je sais que la défense des droits de l'homme se joue d'abord sur les champs de bataille, qu'ils soient à l’intérieur ou à l’extérieur des frontières, conventionnels ou non-conventionnels, j'en passe...

Les amateurs de Total War et les généraux de tout bord, depuis l'état-major jusqu'à la brigade, savent pour leur part, que la bataille se joue vraiment avant le choc – au moment de disposer ses troupes, en essayant de mesurer le degré de rouerie de l'ennemi et en répartissant de la manière la moins innocente possible ses différentes unités sur le front de l'attaque.

Tout le problème réside dans le fait qu'on ne connaît pas vraiment la tactique de l'adversaire, et que d'ailleurs, ce qu'il essaye de vous faire croire et que vous appliquez en conséquence à l’organisation de vos troupes, n'est peut-être qu’une ruse qui, grâce à la réelle disposition de ses troupes, lui permettra de vous étriller. Bref, à la guerre comme à la guerre.

J’ai déjà écrit, par-ci, par-là, qu’un cours pouvait s’assimiler à une sorte de combat – où les pertes ne sont pas humaines mais attentionnelles et les gains pas territoriaux mais comptables, en prévision des moyennes de fin de trimestre. Il n’en reste pas moins que profs et élèves peuvent croiser le fer à plusieurs reprises pendant une heure – je sais de quoi je parle, je l’ai fait étant élève et je continue de le faire en étant prof.

Ce qu’il y a de paradoxal, dans ce « combat », c’est que d’un côté on trouve un corps d’armée, certes d’élite, mais composé d’une seule unité, alors que la troupe qui lui fait face est composée de vingt à vingt-cinq unités, pas encore de niveau commando, par manque d’entraînement et d’expérience, mais excellant déjà dans des méthodes de harcèlement ingérables par les moyens balistiques traditionnels.

Plus étrange encore – et c’est sans doute de « bonne guerre », pour compenser la maigreur de l’effectif enseignant, il n’y a qu’un des deux camps qui peut décider – en principe – de la disposition du champs de bataille, qu’il en aille de ses effectifs ou de ceux de son adversaire, et ce par l’entremise du fameux « plan de classe ». Vous autres, enfants de France, Navarre et Outre-mer, vous l'avez tous subis, cet inquiétant plan de classe, et encore, je suppose, plusieurs fois dans votre existence – en particulier cette année mémorable, où vous vous souvenez avoir rigolé comme jamais avec des camarades d’excellentes compositions, confrontés à un prof mi-hystérique, mi-hagard.

N’est-ce pas un sacré avantage, quasiment inexplicable, comme ces usages aberrants qu’on ne remet plus en question depuis des siècles, n’est-ce pas un sacré avantage d’avoir le droit de disposer le champ de bataille de son adversaire ? Vous avez sans doute tous imaginé le prof se frottant les mains derrière son bureau, qui au milieu de petits rires narquois, pour ne pas dire sadiques, compose son plan de classe en jouant d’un trait de plume sur l’ambiance de vie trimestrielle d’une foule d’individus épris de liberté. Mais vous vous trompez – en tout cas je parle pour moi : c’est amusant la première fois, pénible la seconde, je vous épargne les sarcasmes pour la suite de la série. Non ce n’est pas vrai, tout le monde ne fait pas non plus systématiquement des plans de classe – mais il arrive toujours un moment, un évènement  une classe, parfois seulement deux ou trois libertaires, qui vous y contraindront.

Il n’en reste pas moins qu’à présent, vous vous trouvez dans la nécessité de faire un plan de classe : alors, vous placez la puissance de feu verbal de votre ennemi soit hors de portée de vos considérations tactiques, soit à une telle proximité de vos lignes que leurs traits ne peuvent plus être d’aucune efficacité, manquant de recul pour ajuster leurs coups. Vous dispersez les éléments prompts à la répartie un peu partout sur le champs de bataille, qu’ils ne bénéficient pas de la puissance de leur cohésion, cependant que vous laissez le gros de la troupe à découvert, au milieu de la classe – en associant des unités mal assorties à cet âge, par exemple fille et garçon, mais qui par là-même apprendront à se connaître. Prenez y garde toutefois, car elles gagneront en expérience pour leurs prochains engagements, à défaut de participer présentement à la mêlée de la participation non-conformiste.

Mais aussi, peut-être que par ce procédé, vous les amènerez sur les voies de la raison et de la paix, grâce à l’amour qui commencera de poindre au bout de leur viseur adolescent, encore embué d’illusions conquérantes.

Dernière modification le jeudi, 12 février 2015
Bellevalle Leon

Professeur d’histoire-géographie au collège depuis cinq ans, je m’occupe de niveau 6e, 5e, 4e, 3e ; je suis prof principal en 5e et coordinateur de l’équipe disciplinaire au sein de l’établissement. Depuis mes débuts, je mets aussi en oeuvre des projets transdisciplinaires, avec des professeurs de mathématique, musique, français, art-plastique, technologie... Passionné par mon métier et mes élèves, je ressens le besoin d’exprimer mes idées sur un système qui me paraît souvent rigide et de moins en moins en phase avec la modernité. En plus d’articles spécialisés, je tiens un blog à vocation littéraire et historique.