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Photo Credit : Biblioteca de Arte-Fundação Calouste Gulbenkian via Compfight cc
Nous autres Français ne trouvons pas moyen de parler de l’école sans nous laisser tout aussitôt happer par une question plus vaste, héritée du dix-neuvième siècle, devenue anachronique, qui est celle d’un système éducatif étroitement unifié.
Beaucoup de jeunes souffrent dans les établissements scolaires qu’ils fréquentent. Les professeurs de même. Leur malaise présente des causes diverses. Mais il en est une qui tient à l’entrelacs d’obligations qui forment le cadre des apprentissages scolaires. Des contraintes pointilleuses, qui concernent les contenus de l’enseignement aussi bien que son organisation. On se rend bien compte de quel poids elles pèsent, quelles entraves elles constituent. Et l’on s’étonne du refus de nos responsables politiques à tailler dans leur masse.
 
Les élèves des collèges et des lycées français ont des programmes beaucoup plus chargés que ceux d’aucun autre pays de l’OCDE. Et, quand il s’agit de corriger le bac, les professeurs se plaignent de la médiocrité du niveau atteint dans la plupart des matières, même les plus importantes. Mais aucun ministre ne se décide à réduire significativement le nombre des disciplines obligatoires, pour permettre aux élèves d’en choisir, année après année, un petit nombre d’autres, comme cela se fait ailleurs et paraît naturel. La raison en est que cette liberté de choix remettrait en cause l’unité du système et, par suite, le principe d’égalité qui constitue la valeur de base de la République, à laquelle tout le monde se déclare passionnément attaché. Car, cette liberté une fois admise, tous les élèves ne seraient plus engagés à acquérir les mêmes savoirs, et certaines matières, moins populaires que d’autres, ne pourraient bientôt plus être proposées dans tous les établissements.
 
Tout se passe comme si les Français préféraient l’unité du système éducatif, et l’égalité qu’elle fonde, ou qu’elle symbolise à leurs yeux, à une réforme qui le rendrait plus efficace. Une préférence qu’on jugerait respectable, admirable même, si l’égalité en question n’était pas largement illusoire. Car toutes les études, depuis bien des années, confirment ce que le vécu des familles suffit à attester. À savoir que l’école n’offre pas le même environnement d’apprentissage, n’emploie pas des enseignants de même niveau d’expérience et de salaire, et par suite n’offre pas les mêmes chances, selon qu’elle se trouve implantée dans un quartier riche ou dans une banlieue déshéritée. Ce qui a pour conséquence qu’elle creuse les inégalités sociales plutôt qu’elle ne les comble.
 
Surtout, enfin, elle favorise à outrance les élèves moyens, capables de se soumettre à des consignes impersonnelles, à un ordre uniforme et aveugle, tandis que les autres, plus brillants ou timides, moins conformes mais plus inventifs quelquefois, sont inéluctablement condamnés à l’échec.
 
Les Français sont tellement attachés à la valeur républicaine d’égalité qu’ils se dispensent de considérer comment celle-ci se traduit dans les pratiques sociales. Leur goût légendaire pour la littérature, et plus encore pour le débat politique, les conduit à s’aveugler sur la réalité des choses. En fait de valeur, ils préfèrent les symboles. Des images, des mots.
 
Christian Jacomino
An@é

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