Acculturation, pour comprendre comment fonctionne cette intelligence qui n’en est pas une. Savoir qu’elle « hallucine » souvent, parce qu’elle n’invente rien : elle calcule des probabilités à partir de masses de données de qualité inégale.
Formation, pour apprendre à prompter, à garder l’esprit critique, à recouper les sources, à ne pas s’aventurer sur des terrains qu’on ne comprend pas.
Réseaux d’entraide, car tout va vite, et personne ne peut apprendre seul. C’est en mutualisant nos découvertes, nos doutes et nos usages que nous progressons vraiment.
Mais cela ne suffit pas.
Car derrière la question technique — « Comment maîtriser l’IA ? » — se cache une autre, bien plus décisive : que faisons-nous du temps gagné ?
C’est là que tout se joue.
Si nous nous contentons de produire plus vite, de répondre plus tôt, de publier davantage, nous passerons à côté de l’essentiel. Le temps que l’IA nous libère n’a de valeur que s’il sert à penser autrement, à nous nourrir autrement.
Edgar Morin nous a appris à penser la complexité. Il faut aujourd’hui réhabiliter cette pensée complexe dans nos pratiques numériques. Le véritable enjeu n’est pas d’aller plus vite, mais d’aller plus loin : en cultivant nos curiosités, en croisant les disciplines, en retrouvant le goût du savoir vivant, celui qui relie plutôt qu’il n’isole.
Ce temps rendu disponible devrait devenir un temps d’enrichissement rétroactif : lire, écouter, rencontrer, débattre, se former autrement. Aller chercher l’altérité — celle des autres, des cultures, des idées, des métiers — pour renforcer ce que nous avons d’irréductiblement humain.
Si nous utilisons ce temps pour le futile, si nous nous contentons d’un confort immédiat, alors la machine, patiemment, nous chevauchera.
Non pas parce qu’elle est plus intelligente, mais parce qu’elle sera devenue le miroir de notre paresse intellectuelle.
L’enjeu n’est donc pas seulement d’apprendre à manier l’IA, mais de savoir à quoi nous voulons consacrer ce qu’elle nous rend. C’est une responsabilité collective, culturelle et morale.
À défaut, ce n’est pas nous qui maîtriserons la bête, mais elle qui finira par nous dompter.