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Le président de la célèbre Université Stanford, John L. Hennessy, prédisait récemment rien de moins que la mort éventuelle des salles de classe (1), faisant en fait l’apologie des TICÉ et de la formation à distance enrichie par les dispositifs de la baladodiffusion.
(2) Il se dit convaincu que des étudiants se sentent très bien servis en consultant par eux-mêmes des vidéos en ligne, même par le biais d’un iPhone, sans vraiment établir de contact avec un professeur ou un assistant de cours. Il reconnaît néanmoins que l’usage du web pose d’importants défis en termes d’accès à des informations de qualité dans la mesure où les auteurs possèdent des compétences de niveau variable. Malgré cela, il perçoit peu l’utilité du cours magistral et croit ferme au rôle éducatif des technologies (3).
 
Cette vision de l’avenir plaît sans aucun doute à de nombreux pédagogues et technopédagogues intéressés à l’intégration éducative des TIC (4) ; mais je me demande dans quelle mesure cet élan d’enthousiasme ne dissimule pas une expansion plus vaste des technologies dans l’ensemble de la réalité scolaire. Par analogie, les bureaux maintenant munis d’ordinateurs et de systèmes de visioconférence n’ont été que partiellement remplacés par le télétravail.
 
1) Le mouvement du pendule et des médias sociaux : du distanciel au présentiel 
L’abolition des salles de classe ; ou, dit plus pédagogiquement, le développement de la formation à distance gagne certainement ses lettres de noblesse, compte tenu de la popularité grandissante des formations en ligne. Les contenus développés s’apparentent à des cahiers d’exercices électroniques, remplacent dans une large mesure les tâches d’enseignement magistral et font souvent peu appel au travail collaboratif. Si ce type de services répond bien aux besoins d’un étudiant totalement autonome, la FAD se présente aussi sous des modes diversifiés visant à rejoindre des clientèles différentes. Certaines formules ont recours à un encadrement avec tutorat relativement intense. (5)
Malgré cela, force est de constater que le présentiel est loin de céder sa place au distanciel en milieu scolaire. On pense ici au tableau blanc numérique employé en appui à des présentations ou à des explosés en classe ou encore à l’usage de labos nomades composés de tablettes numériques et de ressources en ligne sous forme d’exercices ou de jeux, qui viennent diversifier les modes de transmission des savoirs en institution. Des pans entiers de projets collaboratifs de jumelage de classes exploitent les médias sociaux, devenus pour plusieurs des outils ordinaires. Cette exploitation du Web 2.0 s’exerce aussi bien en contexte de laboratoire informatique qu’à la maison pour faciliter l’organisation des devoirs en équipe. (6)
Entre la formation à distance et la salle de classe, des modules d’apprentissage en autoformation forment aussi des composantes de formule hybride, ayant le mérite de bien soupeser les besoins de démarches individuelles à ceux de rapports sociaux et de développement de relations interpersonnelles dans un contexte de proximité physique.
De fait, la relation interpersonnelle en éducation est à ce point importante que même l’avenir technologique propose au distanciel l’ajout de murs de téléprésence ou des rencontres à distance par hologrammes. (7) Au présentiel, des malades en convalescence pourront être remplacés en classe par des robots téléguidés à partir du domicile, en attendant de retourner auprès de leurs copains à l’école. (8 et 9)

2) Des tendances associées : jeu, RA et inclusion sociale

Les TIC transforment le monde de l’éducation par une diversification des modes de transmission ou d’acquisition des savoirs aussi bien dans une approche distancielle que présentielle ou qu’en formule hybride, (10) et encore par l’enrichissement des outils d’expression personnelle et de projets socioconstructivistes. (11 et 12) Cette diversification des moyens n’est pas neutre ; au contraire, elle consacre l’autoformation et la collaboration comme valeurs éducatives essentielles (13) et propose des teintes particulières : le plaisir dans l’apprentissage et le renforcement de l’expérience réelle. Je note, et me réjouis également, d’une tendance vers une école mieux outillée pour desservir les personnes handicapées, malades ou en convalescence.
- Le jeu sérieux et le plaisir en éducation
À tort ou à raison, les programmes de formation misent beaucoup sur le fonctionnalisme ou l’utilité des contenus sans donner l’impression de trop questionner la notion de plaisir associé à l’apprentissage. Il s’agit là d’une brèche importante qui favorise l’ajout de méthodes axées sur le jeu sérieux. Par exemple, SpeakyPlanet est un site éducatif qui (14) comprend des puzzles, des jeux de mémoire et d’arcades, etc. sur des thèmes de la vie courante, destinés à l’apprentissage de l’anglais.
En dépit de la croissance fulgurante des consoles de jeux sur le marché, nous percevons aussi un relent de nostalgie pour les films interactifs de la fin du vingtième siècle et début des années 2000, comme Les Chevaliers de Baphomet mettant en vedette des personnages colorés comme George Stobbart et Nicole Collard.
M. Patrick Mpondo Dicka (15) semble croire à une valeur ludique intrinsèque rattachée à des interfaces conçues de manière attrayante et agréable. Même si, à mon avis, le plaisir d’apprendre transcende le simple usage du jeu électronique, l’intérêt porté à cette technologie constitue la pointe d’un iceberg qui ramène la question ludique au coeur de nos approches éducatives.

- Le monde virtuel et la réalité augmentée (RA)

Curieusement, les accessoires de réalité augmentée, RA (16) que l’on voyait avec admiration dans Star Trek ou dans La machine à voyager dans le temps nous semblent quasi ordinaires dans Les Avengers et nous encouragent à attendre dans un avenir rapproché la commercialisation des lunettes RA (17) de Google. En contexte ludoéducatif, des expériences avec la RA (18) ont été menées avec succès pour aider des enfants à comprendre le fonctionnement du cycle de l’eau ou celui du corps humain.
Au congrès TEDx de l’UdeM le 11 mars dernier, M. Luc Courchesne (sur la photo) de la Société des arts technologiques (SAT) de Montréal, et récipiendaire de plusieurs prix dans le domaine des arts médiatiques et numériques nous a présenté un étonnant environnement virtuel immersif de RA (19), devant rétablir chez les participants réunis les dimensions du non verbal, qui échappent aux autres médias, notamment au cours de déplacements. Un tel univers ouvre la voie de l’avenir à d’innombrables applications pédagogiques. Pensons à l’exploration de mondes microscopiques, de l’univers, des villes précolombiennes, ou tout simplement de vacances à la mer, etc.

- Pédagogie de l’inclusion sociale

L’usage des TIC ne règle pas en soi les problèmes d’intimidation, de taxage, (20) de drogue, de dysthymie (21), de décrochage, etc. vécus par les jeunes à l’école, ou des pénibles doutes propres à l’adolescence. Toutefois, des projets de vidéoclips du genre Clip ton 514 (22) donnent la parole aux ados, génère de nouvelles formes d’entraide et constituent de puissants organes de sensibilisation publique et d’enseignement stratégique au service d’une école plus inclusive. Sur le plan préventif, la Fondation Lory (23) œuvre dans le développement de la télé éducative visant à cultiver des attitudes positives dès le jeune âge. Je vous en reparlerai dans un autre article.
De grands efforts d’inclusion sociale par le biais de technologies sont aussi destinés aux personnes handicapées ou aux personnes malades. Par exemple, des règles techniques sont de plus en plus appliquées en vue d’améliorer l’accès au Web (24) pour les personnes malvoyantes. D’autres outils, comme une licorne relie des personnes tétraplégiques au reste de la planète. Des malades établissent des ponts et se font davantage connaître par le biais de blogues ou de communautés, comme l’Association des amis de Coralie, une jeune fille atteinte d’une grave maladie appelée le syndrôme DiGeorge. (25)
Mais les progrès techniques ne s’arrêtent pas là. Au TEDx de l’UdeM le 11 mars dernier, des étudiants de la polytechnique présentaient leurs efforts de conception d’un gant sensoriel (26) qui permettrait l’automatisation d’une transcription écrite simultanée du langage des signes employé par les personnes sourdes. On rêve de jumeler ces transcriptions à des traducteurs électroniques… Le langage des signes deviendrait-il la nouvelle langue universelle ? Il ne s’agirait pas de la première révolution provenant des personnes handicapées. (26)
Conclusion
Les salles de classe sont-elles vouées à la mort, comme le croit le président de l’Université Stanford ? Il est vrai que la FAD sous ses diverses formes contribue à répondre aux besoins d’une clientèle variée de mieux en mieux définie. Mais les changements imposés au monde de l’éducation sont multiples à l’intérieur même des modèles pédagogiques institutionnels. En clair, nous disposons d’une batterie de moyens nous permettant de mettre à profit une véritable pédagogie différenciée (28) et inclusive ; à la condition de se rappeler que les TIC sont des outils et non une fin en soi.
Reprenant la vision des années 1980 de John Naisbitt, je conclurai en affirmant que nous nous situons actuellement à la croisée des chemins du High Tech High Touch (29), et je souhaite que l’avenir se poursuive sur cette voie de recherche d’une harmonie dans le respect de la diversité, la collaboration et la mise en commun des talents individuels.
Texte : Luc Renaud, M.A. Sciences de l’éducation
Références 
  1. Deglise, F. (2012) Éducation : le président de l’Université Stanford prédit la mort des salles de classe, dans Le Devoir
  2. Renaud, L. (2012) Vers une intégration éducative efficace de la baladodiffusion, dans EducaVox
  3. John L. Hennessy : Risk Taker, dans Ieee Spectrum, 2012
  4. Renaud, L. (2012) Le triomphe de l’apprentissage expérientiel à l’ère du numériquedans EducaVox
  5. Site du REFAD : http://www.refad.ca/
  6. Renaud, L. (2012) Des idées pour une formation en ligne d’une communauté apprenantedans EducaVox
  7. Renaud, L. (2011) Le monde virtuel ou réel de la présence et de la téléprésence, dans Le blogue de Luc R
  8. Vidéo sur un robot téléguidé par un élève en convalescence, sur Youtube
  9. Renaud, L. (2011) Le réseautage social : un besoin de communiquer en pleine expansion dans Le blogue de Luc R
  10. L’enseignement en ligne : un complément efficace à l’éducation traditionnelle, dans Aprelia, 2012
  11. Chaptal, A. (2012) Situation des TICE et quelques tendances internationales d’évolution, dans Aprelia
  12. Chaptal, A. (2012) Mémoire sur la situation des TICE et quelques tendances internationales d’évolution, dans Aprelia
  13. Renaud, L. (2012) Pédagogie ouverte : autoformation et collaboration, dans EducaVox
  14. Site : SpeakyPlanet
  15. A., J. (2012) Le numérique pour les apprenants : une approche centrée sur l’envie et le plaisir ?, dans Ludovia
  16. Renaud, L. (2012) La valeur ajoutée de la réalité augmentée (RA) en éducation, dans EducaVox
  17. Pierrot, V, (2012) Project Glass : les lunettes à réalité augmentée de Google, dans ZDnet.fr
  18. Laurent (2012) Réalité augmentée : Découvrir le cycle de l’eau en jouant, dans Callipédie
  19. Renaud, L. (2012) TEDx-UdeM : l’art de communiquer à la planète, dans Le blogue de Luc R
  20. Renaud L (2011) L’éradication de l’intimidation en milieu scolaire, dans Le blogue de Luc R
  21. Renaud, L. (2012) Se former pour aider les ados dysthymiques, dans Le blogue de Luc R
  22. Renaud, L. (2012) Le gala Clip ton 514 démontre que la relève du 7e art se porte bien, dans Le blogue de Luc R
  23. Fondation Lory
  24. L’accessibilité du web, définition de Wikipédia
  25. Association Les amis de Coralie, sur Overblog
  26. Renaud, L. (2012) TEDx de l’UdeM- Pour la communication humaine et le développement technologique
  27. Renaud L (2011) La force de vivre et l’expression de mille talents, dans Le blogue de Luc R
  28. La différenciation pédagogiquesur Consultations antonissimo, 2007
  29. Renaud, L. (2011) Du High Tech au High Touch et John Naisbitt, dans Le blogue de Luc R
Dernière modification le mardi, 18 novembre 2014
Renaud Luc

Luc Renaud est spécialisé en technologie éducationnelle et enseigne le français langue seconde depuis plusieurs années auprès d’une clientèle adulte immigrante. Détenteur d’une maitrise en éducation, il a aussi été chargé de cours à l’Université de Montréal dans le domaine de l’intégration pédagogique des TIC, et a participé à des projets de recherche portant sur la formule hybride et le socioconstructivisme. Il possède également une solide expertise en développement et expérimentation de formations en ligne et s’intéresse vivement à la collaboration internationale. 
Mal à l’aise dans le milieu scolaire, il croit à une remise en question continuelle de l’école ; il tient d’ailleurs un blogue, L’éduc-acteur, le Blogue de Luc Renaud, sur des thèmes variés, qui mettent de l’avant l’importance de l’autoformation.
Il est aussi entrepreneur, ayant démarré récemment une entreprise de consultant en technologie éducationnelle, La boîte à idées E.T.L.R. Ideas Boxdans la région de Montréal.


Montréal, Québec (Canada)