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Le vocabulaire, on en parle assez peu, si ce n'est pour en déplorer la pauvreté chez les élèves.
Au moment où se discutent les futurs programmes, et avec la sortie du dernier ouvrage en date signé Charmeux  aux éditions Chronique Sociale sous le titre "Enseigner le vocabulaire autrement", il est essentiel de mettre quelques points sur le "i" du mot Vocabulaire. 

 
L'article aborde donc ce sujet trop peu abordé de la refondation des programmes pour le français.

Prenant appui sur l'ouvrage cité, et sur des exemples précis de "leçons", depuis les années 50 jusqu'à aujourd'hui, il dénonce les principales erreurs et ignorances de ces pratiques, ainsi que celles du rapport Bentolila qui les prend à son compte sans les remettre en question, pour les placer telles quelles dans les programmes 2008. Le résultat est que ces erreurs constituent actuellement pour les collègues, la seule "bible" de cet enseignement.
Rappelant l'importance de ce domaine de maîtrise, et le danger d'enseigner des erreurs aux enfants, il précise la place exacte de la maîtrise des mots dans maîtrise de la langue, et ouvre des pistes pour rendre cet enseignement plus rigoureux et plus efficace.

Il est vrai que cette partie de l'enseignement du français, soigneusement isolée dans sa case spécifique est donc bien mal lotie dans les programmes actuels. Pour ceux-ci, en effet, le seul problème à résoudre étant celui de la "pauvreté" du bagage de mots possédés par les élèves, la solution se trouve dans la fameuse "leçon de mots" (un mot par jour) inventée par Alain Bentolila, en même temps que l'eau chaude.

Si l'on peut ainsi brocarder l'invention de monsieur Bentolila, c'est que la leçon de mots a toujours existé, et surtout, toujours sous la même forme, à la fois ignorante des travaux menés sur ce sujet, parfaitement ennuyeuse et inefficace au plus haut point.
Le mieux, pour en fournir la preuve, est de présenter trois exemples de leçons, effectivement menées, une en 1956 (c'était ma première année d'enseignement à l'Ecole Normale d'Amiens), une en 2007, et une que l'on peut trouver actuellement sur Internet.

Leçon de 1956, menée cette année-là dans un un CM1 :
La maîtresse faisait une leçon sur les familles de mots et avait choisi de travailler sur le mot « inquiétude », qu'elle opposait au mot « quiétude », parfaitement inconnu des enfants, et qui fut donc présenté comme le contraire du précédent, grâce au préfixe « in », marquant le contraire.
N'importe quel sujet parlant français voit ici immédiatement ce qui « cloche » dans ce choix. L'inquiétude ne peut être considérée comme le contraire de la quiétude : les deux mots ne fonctionnent pas dans la même zone de sens. On peut très bien vivre dans la quiétude et se trouver momentanément « inquiet » du retard d'un proche. Et comme les enfants, de toute évidence, ne maîtrisaient pas le fonctionnement de « quiétude », peu courant dans la conversation familière, on leur enseignait ainsi une erreur...
Une autre leçon, qui portait cette fois sur le verbe « cheminer », fut aussi pour moi l'occasion de découvertes pédagogiques importantes. La leçon, qui commença par la définition donnée par la maîtresse : « marcher lentement et à petits pas », donna lieu à un grand moment comique — mais qui ne fit rire que moi — lorsque la tradition scolaire demanda aux enfants de « faire de belles phrase » avec ce verbe. D'étonnantes propositions fusèrent alors de la bouche des « bons » élèves, aux doigts levés « je chemine dans mon jardin », « il chemine dans sa chambre », « nous cheminons dans la cour », pour la plus grande satisfaction de la maîtresse.
Or, pas une de ces phrases n'est conforme à l'emploi en français de ce mot et je me disais que l'on enseignait un langue plutôt bizarre à l'école.

Second exemple de 2007 :
On a sans doute oublié le reportage proposé cette année-là par France 2, pour illustrer le rapport Bentolila récemment publié : elle présentait une leçon sur le verbe "tambouriner", qui était le mot de ce jour-là dans une classe maternelle, docile aux conseils officiels. Comme l'auteur du rapport le préconisait, l'institutrice avait organisé son travail autour de la définition du verbe en question : "Tambouriner, signifie frapper très fort sur un objet et souvent une porte".

Si l'on examine cette définition, on se rend très vite compte qu'elle est loin de couvrir l'essentiel du fonctionnement de ce mot :
1- Les policiers qui viennent arrêter un dangereux terroriste à 6h du matin frappent très fort à la porte de celui-ci... Dirait-on qu'ils « tambourinent » ?
2- Le père, très inquiet de voir que son fils s'est enfermé dans sa chambre et qui craint le pire, « tambourine-t-il » à sa porte ?
3- La jeune fille poursuivie par un sinistre individu qui hurle qu'on lui ouvre la porte pour lui échapper, « tambourine-t-elle » sur cet huis ?
On voit bien que ce verbe ne convient en rien à ces situations, même si les coups frappés y sont violents et répétés.
Mais pourquoi ?

C'est que ce verbe, dont l'étymologie n'est pas, comme on le penserait, le mot « tambour », mais le « tambourin », petit tambour souvent utilisé comme jouet, a pris de cette origine une valeur ludique, presque enfantine. En fait il renvoie plutôt (même si ce n'est pas exactement conforme à l'histoire de ce mot), au bruit que fait un tambour-jouet qu'au son d'un instruments à percussions d'orchestre.
Le mot tambouriner, évoque essentiellement le vacarme que fait un petit avec son tambour.
D'où l'effet surprenant qu'il produit dès qu'il est utilisé en situation sérieuse ou grave. Quand on lit la phrase suivante : « A six heures ce matin, j'ai été réveillé par les policiers qui tambourinaient à ma porte pour m'arrêter », c'est plutôt l'impression d'un récit humoristique que l'on a immédiatement, et pas du tout celle d'un récit à suspense.

Troisième exemple : la leçon proposée actuellement sur Internet : elle porte sur les synonymes.
Elle commence par la définition : Les synonymes sont des mots qui ont le même sens ou un sens proche.
Ce début est doublement discutable : outre qu'il n'y a aucune raison de croire cette définition qui prend le dictionnaire pour les tables de la loi (ce qu'il n'est en rien), elle est si vague qu'on a du mal à voir en quoi elle peut aider à comprendre la notion.

Ensuite on propose un exemple, nullement commenté, comme si rien n'avait changé entre les deux formulations :
Exemple : dissimulé / caché Mon petit frère s'est caché, il s'est dissimulé dans un placard.

Puis, on évoque leur rôle : Ils permettent d'éviter les répétitions ou d'être plus précis.
C'est justement un rôle qu'ils n'ont absolument pas : dès qu'on remplace un mot par un synonyme, on modifie le sens et/ou l'effet produit. Pour éviter les répétitions sans changer le sens, c'est la pronominalisation qu'il faut utiliser !
Et on donne des exemples, toujours dépourvus du moindre commentaire : où les enfants vont-ils apprendre quelque chose et surtout qu'est-ce qu'ils pourraient bien apprendre là ?
maison / demeure : Cette maison est une très belle demeure.
magnifique / beau : un beau paysage / un paysage magnifique

Sont abordées alors des caractéristiques importantes aux yeux de l'auteur... On se demande bien en quoi : Les synonymes doivent être de même nature : un nom est synonyme d'un nom, un adjectif est synonyme d'un adjectif...

Puis deux rajouts inattendus, une remarque, présentée comme telle, donc relativement secondaire — alors qu'elle est, et de loin, l'essentiel ! —
1- Pour remplacer un mot par un synonyme :
* Il faut être attentif au contexte : Un petit moment = un moment bref ; Un petit chemin = un chemin étroit.
Aucune précision sur ce que signifie ici l'adjectif "attentif", ni en quoi consiste cette attention.

* Il faut aussi tenir compte du registre de langue : Déguster / manger / bouffer.
Problème : la notion de "registre de langue" est abandonnée depuis quarante ans par tous les spécialistes, comme non scientifique et totalement erronée.

2- IMPORTANT : L'abréviation du dictionnaire syn. signale le ou les synonymes du mot. Il existe beaucoup de synonymes du verbe FAIRE qu'il serait bon d'employer !
faire des photos —> prendre des photos
faire cent kilos —> peser cent kilos

Comme d'habitude, cette remarque ultra traditionnelle, qui n'est que de la surnorme ignorante du fonctionnement social de la langue, traduit en termes de convenance parfaitement arbitraire ce qui ne peut être analysé qu'en relation avec les données de la communication.

On le voit, depuis des lustres, les "leçons de vocabulaire" n'ont pas changé : conformes aux préconisations des programmes, elles reposent toutes (ou presque) sur les mêmes erreurs pourtant dénoncées depuis des décennies :

* Première erreur.
On oublie que les mots sont utilisés EN SITUATION DE COMMUNICATION et D'EXPRESSION, et que leur usage dépend des enjeux de ces situations. Or, le choix des mots dans une situation de communication dépend plus du projet de communication (à qui l'on s'adresse et ce qu'on attend de la communication), que du sens précis de ce qui en est l'objet. On les choisit, non pas en fonction de ce qu'on veut dire mais en fonction de ce qu'on attend de l'interlocuteur : on ne communique jamais pour « dire » simplement, mais toujours, consciemment ou non, pour agir sur ceux avec qui on communique. Ceci est totalement absent des leçons traditionnelles : en quoi peuvent -elles conduire à une maîtrise de la langue ?
Cette notion d'enjeux, c'est en lecture qu'elle va apparaître — à condition, bien sûr, qu'on lise des textes qui en ont ! Et surtout pas des extes inventés pour apprendr eà lire ou apprendre des "mots nouveaux"

* Seconde erreur :
La notion même de « pauvreté » du vocabulaire, contestée dans les années soixante aux Etats-Unis, reste contestable aujourd'hui, chez nous aussi : ce n'est pas vraiment un vocabulaire « pauvre » que nos élèves possèdent : le leur est riche, et en constant renouvellement. Le problème, c'est que ce n'est pas celui que l'école attend, et qu'en plus, il est refusé par elle, alors qu'i devrait être pris en compte; analysé et étudié d'un point de vue social, en terme d'adaptation ou non aux enjeux des situations et surtout, sans aucun jugement de valeur. Le problème ne consisterait donc pas à remplir des vides, mais à FAIRE ÉVOLUER leur bagage, en travaillant sur la variation langagière et en leur faisant découvrir que la liberté de parole passe par la maîtrise des choix (et non elle d'une prétendue "bonne langue").
Pour s'y pendre autrement, il faut donc travailler sur TOUTES LES FORMULATIONS par un travail de coMparaison, non point en termes de "convenance" ou "d'élégance", mais en termes d'ADÉQUATION aux enjeux de la SITUATION;

* Troisième erreur.
Contrairement à ce qu'on a cru longtemps, les travaux des chercheurs ont mis en lumière, depuis une trentaine d'années au moins, que la maîtrise de la langue n'a rien à voir avec un dictionnaire : les mots ne s'empilent pas dans notre mémoire, au fur et à mesure que nous les rencontrons, et celle-ci ne contient aucune liste de mots. Les mots, nous les dégageons de tous les textes oraux et écrits que nous avons entendus et lus. En fait, notre « réservoir langagier » est constitué, non de mots accompagnés de leur définition, mais de « bouts de textes », des morceaux appris par cœur, ou retenus, où l'on peut trouver pêle-mêle, des proverbes, des citations latines ou étrangères, des formules familiales, des mots d'enfants, des poèmes, des passages de romans, des publicités, des extraits de discours actuels ou anciens, des paroles de chansons, etc. etc. Notre capital langagier n'est pas un dictionnaire Ce ne sont donc pas des « leçons de mots » qui peuvent enrichir le vocabulaire des enfants, mais des lectures, nombreuses et aussi diverses que possible, des échanges avec des personnes différentes, des observations réfléchies de productions langagières orales ou écrites (la fameuse ORL, jetée à la poubelle par nos ministres !)...

* Quatrième erreur.
Toutes ces leçons oublient également l'essentiel du fonctionnement des mots en français. Tout linguiste sait qu'une des premières caractéristiques du lexique français, qui le distingue de celui des autres langues, c'est que les mots ne sont pas les mêmes à l'oral et à l'écrit. A l'oral, ceux que nous appelons les « mots » ne sont pas repérables, par suite du fonctionnement très original de l'accent tonique en français. Rappelons en effet que, contrairement à ce qui se passe en anglais ou en espagnol, cet accent tonique concerne l'ensemble des mots prononcés d'une seule émission d'air (ce que les spécialistes appellent « le groupe phonique »), dont il frappe la dernière syllabe à voyelle prononcée (excluant donc l'e dit muet). En fait, on peut dire, qu'en français, les mots n'existent, sous la forme connue, qu'à l'écrit : un mot, c'est un paquet de lettres, séparé des autres par un espace. Et donc, le capital à construire dès l'école maternelle n'est pas un capital de mots, mais un capital de textes, d'où ils conserveront les « bouts » qui les ont marqués.

* Cinquième erreur.
Une autre caractéristique du vocabulaire français, étonnamment oubliée, c'est que les mots n'y ont ni un sens — propre ou non ! — ni une nature. On trouve le même mot « porte » dans « la porte est fermée » et dans « c'est moi qui porte la valise », et le même ensemble « les avions » dans « nous avons regardé les avions » et dans « nous les avions observés ». Si bien qu'il est absolument impossible— et franchement aberrant — d'apprendre des mots isolément et de les noter dans un « cahier de mots », selon une formule affreusement scolaire au mauvais sens de cet adjectif.
Quant aux notions de « sens propre » et « sens figuré », elles sont obsolètes depuis des lustres : la polysémie caractéristique du vocabulaire français leur ôte toute signification.
Travailler en vocabulaire, c'est dont travailler sur les exemples qui remettent en question ces idées reçues.

* Sixième erreur :
Elles oublient surtout des données assez élémentaires sur l'apprentissage. Depuis pas mal de temps, il est démontré qu'apprendre ne se fait nullement par empilement, mais par mise en relation. Lorsque l'on apprend un mot nouveau — et cela ne peut se produire que dans une situation langagière, signifiante, orale ou écrite, le plus souvent en lecture, jamais dans une leçon — ce mot ne s'ajoute jamais à ceux que l'on connaît déjà : il réorganise le champ sémantique de ce mot et déplace nécessairement ceux que l'on possédait auparavant. Pour le vocabulaire, comme pour tout autre apprentissage, apprendre, transforme les savoirs-déjà-là, et n'ajoute aucun élément à aucune liste.
C'est donc sur le smots connus, mais mal maîtrisés que l'on organisera des séances de travail en vocabulaire. le smot sinconnus, c'est en lecture qu'ilsdeviendront connus, mais de façon passive. Il faut travailler à rendre "active" la connaissance des mots, c'est-à-dire apprendre comment on s'en sert (et non quel sens ils ont : objectif à la fois flou — c'est quoi, le sens ? — et largement erroné.)

* Septième erreur :
Toutes ignorent qu'il est impossible d'étudier l'emploi des mots indépendamment de la syntaxe où ils s'insèrent : si je remplace le verbe "annoncer" par "avertir" , la construction syntaxique ne sera pas la même. Et les exemples de ce type sont innombrables.

Alors, si l'on persiste dans ce cloisonnement imbécile que les programmes actuels ont rétabli, si toutes ces données incontestables qui doivent définir l'enseignement de la langue ne sont pas réinsérées dans les programmes à venir et si l'on se borne à rafistoler ceux de 2008, on continuera d'enseigner des définitions comme des théorèmes — par un amalgame avec les mathématiques, très dangereux et pourtant constant dans les pratiques scolaires.
Quant à la notion de refondation de l'école, elle sera définitivement enterrée.

Dernière modification le lundi, 05 janvier 2015
Charmeux Eveline

Ancienne élève de l’ENS, professeur à l’EN d’Amiens, puis au CRCEG de l’EN, entre 1956 et 1971.

Nommée ensuite à l’ENG de Toulouse, puis à l’IUFM de cette ville jusqu’en 1993, date de mon départ en retraite, j’ai parallèlement travaillé à l’INRP, en tant qu’Enseignant chercheur associé, depuis 1966 jusqu’à mon départ en retraite. J’ai publié de nombreux ouvrages sur la pédagogie du français à l’école primaire et au collège.