Schéma avec les 3 périodes de l’informatique [1], devenu numérique, a été enrichi d’une 4e période qui est celle de l’IA générative. Les dates de transition sont charnières comme dans l’histoire.
L’informatique a décollé pendant la Seconde guerre mondiale avec le décryptage des messages codés allemands et avec les outils de calcul de trajectoire balistique.
La valeur ajoutée, qui était essentiellement dans le matériel, s’est d’abord déplacée dans le logiciel.
Ceci s’explique par deux facteurs concomitants, la baisse du prix et de la taille des ordinateurs d’une part dans des proportions gigantesques et la crise du logiciel et sa complexification même si des nouveaux langages de programmation sont apparus au fil des années. La date clef est 1985, lancement de Windows, largement inspiré du système d’exploitation du Macintosh sorti un an plus tôt. Notons 1995 qui est l’année du décollage d’Internet dans les pays occidentaux avec Explorer livré directement installé sur les PC et des lancements des géants d’Internet de la première vague en 1994-1995 (Amazon, Yahoo, eBay par exemple) alors que les navigateurs Mosaic puis Netscape étaient réservés aux geeks. 2005 est l’année de l’essor du Web 2.0 qui se traduit par l’exploitation des données personnelles par les applications qui, pour certaines, deviennent plateformes et attirent tout un écosystème autour d’elles.
Ceci est expliqué dans le livre d’analyse et de culture numérique Web 2.0 15 ans déjà et après ? [2]. Contre l’échange de la gratuité d’un service, vos données personnelles sont exploitées même s’il existe des formules premium par ailleurs. Nous vivons dans cette période où les plateformes notamment les GAFAM sont rois. L’IA générative, apparue auprès du grand public en novembre 2022 avec le phénomène ChatGPT, aura une maturité des usages notamment en entreprise l’année prochaine, date à laquelle la nouvelle période commencera réellement. Cette IA générative s’appuie sur des quantités colossales de données.
Même si la valeur ajoutée glisse progressivement du matériel au logiciel puis aux données et enfin à l’IA générative, il est stratégique pour les acteurs de contrôler l’ensemble de la chaîne de valeur. C’est Apple qui le réalise le mieux avec son produit phare, l’iPhone côté matériel et son système d’exploitation, iOS. L’App Store permet d’héberger des applications conçues pour la plupart par des acteurs partenaires de la firme de Cupertino. Une triple dime (30 %) est reversée par les applications sélectionnées à Apple pour être hébergée dans l’App Store, ce qui est particulièrement juteux, façon Booking ou Uber. Il existe aussi une commission réduite de 10 % et de 17 % pour les transactions de biens et services numériques. Les données sont contrôlées par Apple et même les autorités américaines ont des difficultés à les obtenir.
Les projets de développement côté IA sont nombreux même si Apple prône en interne la culture du secret. Siri fut l’un des pionniers. En bas de l’échelle, Apple cherche à se dévulnérabiliser. Les iPhone, assemblés à Shenzhen en Chine par le fabricant Foxconn, le sont à présent également en Inde.
Il s’agit d’anticiper le conflit potentiel entre Etats-Unis et Chine notamment par rapport à la question de Taiwan.
En matière de systèmes d’exploitation et de logiciels, il existe des risques comme les portes dérobées qui sont un moyen de s’infiltrer dans un système, d’où la nécessité d’avoir des systèmes d’exploitation souverains. Une bonne initiative réside dans SecDroid, développé par la Gendarmerie nationale. Il s’agit d’un Android décompilé et réécrit de façon sécurisée. Il gagnerait à être utilisée par d’autres acteurs étatiques, industriels mais aussi par d’autres nations européennes pour avoir une taille critique.
Le schéma suivant, au-delà des 4 couches de valeur ajoutée pour le numérique, a de façon orthogonale la question de l’énergie qui est nécessaire pour faire fonctionner les équipements et participent à la chaîne de valeur. Les énergies fossiles, en particulier le charbon, étant très polluantes, il est important de rappeler que la Chine intervenait en 2022 pour 29,2 % dans les émissions de gaz à effet de serre alors que sa population n’est que de 17,5 % de la planète.
Sa consommation de charbon va encore augmenter rendant ridicules les efforts consentis par l’Union européenne. Le nucléaire est le moins émetteur de CO2 contribuant au réchauffement climatique et la fusion nucléaire sera dans quelques années hautement nobélisable car n’émettant pas de déchets radioactifs. La question des déchets numériques et de la pollution induite avec en corollaire la sobriété numérique est clef.
Pour les données, il convient de distinguer pour la consommation énergétique, le transport et le stockage. Pour le transport, les câbles sous-marins représentent près de 99 % du transport de données entre les continents et toute coupure de câble (accidentelle ou malveillante) peut mettre à mal un pays. Sans Internet, point de salut ! Pour le stockage, la moitié de l’énergie consommée par les datacenters est consacrée à l’administration du datacenter lui-même et réguler sa température. C’est un peu à l’image du ratio des dépenses publiques de l’Etat – du moins en France – rapporté à son PIB.
En dessous de ces 4 couches numériques se situent les micro-processeurs qui équipent les matériels, PC, smartphones, tablettes et autres équipements électroniques qui sont embarqués dans les voitures, les appareils électroménagers, les machines industrielles, etc.
Les acteurs se nomment principalement Intel, Nvidia qui connaît une croissance fulgurante avec l’IA, AMD, Qualcomm, Samsung et le leader taiwanais TSMC dont les puces équipent les smartphones, les automobiles mais aussi les missiles. Il convient de garder à l’esprit que la majorité des micro-processeurs mondiaux sont fabriqués par TSMC à Taiwan. Nous avons plus de dépendance à Taiwan qu’à l’Ukraine car d’un point de vue agricole et malgré les contraintes infligées à nos agriculteurs nous restons pour l’heure souverains dans ce domaine alors que d’un point de vue micro-processeurs, nous demeurons d’une fragilité extrême. Nous avons certes en Europe STMicroelectronics mais il fait figure de nain à côté, un peu comme OVH par rapport à AWS, Google Cloud ou Microsoft Azure dans le cloud et le stockage des données.
Les matières premières pour fabriquer les ordinateurs, les smartphones sont stratégiques. Outre les micro-processeurs, nous avons les batteries, l’électronique, l’écran.
Les métaux, l’eau et les terres rares sont des éléments essentiels pour toute l’industrie numérique au niveau du « sous-sol » numérique.
Ainsi les matières premières suivantes ont des utilisations essentielles dans l’électronique :
- Antimoine : alliages pour durcir des métaux, pour les semi-conducteurs et les smartphones
- Béryllium : dans des circuits intégrés avec des propriétés chimiques intéressantes, plus grande légèreté que l’aluminium, plus rigide que l’acier, fours à micro-ondes
- Cobalt : batteries d’ordinateurs et de smartphones
- Gallium : panneaux solaires et circuits intégrés, consoles de jeux vidéos
- Germanium : pour les LED et les écrans plat de téléviseurs
- Indium : écrans plats
- Niobium : appareils photos numériques
- Platine : surface des disques durs notamment des ordinateurs
- Tantale : pour les ordinateurs, smartphones, consoles de jeux vidéos et appareils photos, lave-linges, appareils de laboratoire pour résister à la corrosion et en particulier les condensateurs au tantale pour des utilisations dans l’industrie médicale, aérospatiale et militaire
Les terres rares sont utiles par exemple pour la fabrication d’aimants (pour les éoliennes même si leur rendement est extrêmement faible, aléatoire et induit d’autres pollutions notamment pour les oiseaux et le paysage), la miniaturisation des composants de nos smartphones alliés à l‘augmentation de leur puissance de calcul, les batteries de voitures électriques contrairement aux voitures thermiques, les LED, la robotique, le matériel pour le secteur de la défense. Elles sont essentielles pour accélérer la transition énergétique. L’extraction des terres rares nécessite des quantités astronomiques d’eau et génère des pollutions avec des rejets dans l’environnement de métaux lourds, d’acide sulfurique et parfois de l’uranium.
Nous en dénombrons 17 (15 dans la famille des lanthanides ainsi que l’yttrium et le scandium) comme illustré dans ce schéma issu d’une requête au moteur de recherche sémantique Wolfram Alpha.
Les terres rares sont présentes sur l’ensemble du globe mais en très faible quantité contrairement aux métaux où l’on a des gisements avec de fortes concentration lesquels permettent des exploitations, du reste pas toujours dans les conditions environnementales et humaines requises.
En 2021, la Chine disposait pour sa part de 37 % des réserves mondiales des terres rares et exploitait 60 % de la production mondiale suivie par les États-Unis avec 15 % puis par l’Australie. Le combat pour la géopolitique du numérique entre les Etats-Unis et la Chine se joue à tous les niveaux, tant au niveau de l’IA et de la course aux brevets déposés, qu’au niveau des plateformes (GAFAM vs BATHX ou Baidu Alibaba Tencent Huawei Xiaomi) qu’au niveau des micro-processeurs et des éléments chimiques.
Notons que la République Démocratique du Congo produisait en 2022 plus de 70 % de la production mondiale du Cobalt. Elle est leader pour l’extraction du coltan. La production du graphite pour sa part est effectuée à 70 % par la Chine. Suivent le Mozambique et Madagascar. Le cuivre est produit principalement au Chili, au Pérou et au Congo. Le nickel, même si la France en dispose un peu via la Nouvelle-Calédonie, est produit à près de 50 % en Indonésie puis aux Philippines et en Russie. L’uranium, nécessaire à la production d’énergie nucléaire, est extrait dans 15 pays, le Kazakhstan à la frontière avec la Russie et la Chine entrant pour 45 % de la production mondiale devant l’Australie, la Namibie et le Canada puis l’Ouzbékistan et la Russie.
Dans ce contexte, il est nécessaire de développer la R&D pour trouver des matériaux de substitution à moindre coût économique et écologique. Nous l’avons vécu pour la micro-informatique au début des années 1970 avec le passage des transistors au silicium.
Il est important de développer le recyclage des appareils afin de récupérer les matières et d’en extraire les terres rares. Enfin, il conviendrait de nouer des stratégies à la fois d’influence mais aussi de coopération avec les pays producteurs pour sécuriser nos approvisionnements.
La prise de conscience stratégique est timide mais elle existe. Il reste à la mettre concrètement en application en réallouant les priorités budgétaires et en remettant à plat la gabegie étatique pour retrouver des marges de manœuvre pour construire et ne pas subir l’avenir. Il est en effet triste de constater que la pression fiscale et la dette augmentent alors même que les services publics se dégradent et que les fonctions régaliennes (sécurité, défense, justice) sont assurées de façon « perfectible ».
La France n’a pas d’ennemis – pour l’heure – mais que des intérêts. Il reste à trouver l’équation gagnante entre économie, éthique et écologie.
[1] Décrit dans Géopolitique d’Internet – Qui gouverne le monde ?, Economica, 2013 [* avec ère des données, depuis 2005]
[2] Web 2.0 15 ans déjà et après ? – 7 pistes pour réenchanterInternet, Kawa, 2020 (collectif de 56 pionniers du Web 2.0 francophone, coordonné par Fadhila Brahimi et David Fayon)
Dernière modification le samedi, 06 avril 2024