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L’automne nous apporte, année après année, les résultats de l’enquête dite « Baromètre du numérique 2015 » du Credoc. La presse s’en est fait très largement l’écho et n’a pas manqué l’occasion de repérer les évolutions majeures qui touchent au plus profond les comportements des Français en matière de numérique. Centrée sur les usages — en haut lieu, on considère que chaque Français est un usager consommateur avant d’être un citoyen acteur —, cette nouvelle enquête questionne aussi bien sûr le nombre et la nature des équipements.

Plus d’un Français sur deux possède aujourd’hui un « smartphone »

Credoc équipement des Français

Les données rassemblées ci-dessus montrent bien la tendance très fortement croissante de l’équipement chez soi en « smartphones » et en tablettes numériques, périphériques qui permettent tous les deux d’accéder en ligne à l’information, aux services, à la consommation mais aussi à la culture, aux loisirs, à l’éducation… De manière assez logique, cet accroissement de la mobilité s’accompagne d’une baisse du nombre d’ordinateurs fixes à la maison. Bien entendu, le taux d’équipement en téléphonie mobile est bien plus important, atteignant aujourd’hui 92 %. Ainsi, presque deux téléphones sur trois sont des « smartphones ».

Répartition téléphones

Le Crédoc s’intéresse ensuite logiquement au taux d’équipement en fonction de l’âge. Ainsi, les jeunes, entre 12 et 17 ans, sont massivement équipés de téléphones, pour 93 % d’entre eux, ce taux atteignant 98 % entre 18 et 24 ans. Le nombre de « smartphones » est proportionnellement plus important dans ces catégories d’âge puisqu’il atteint 81 % de 12 à 17 ans et 90 % entre 18 et 24 ans.

Téléphonie Téléphonie smartphones

L’équipement de cette catégorie d’âge, dont il faut rappeler que ce sont, le plus souvent et notamment pour les jeunes d’entre eux, les parents qui en sont à l’initiative, est massif, bien entendu, mais aussi massivement constitué de terminaux autonomes capables d’autoriser toutes sortes de formes de communication nomade et d’échanges de données.

Bien entendu, il suffit d’observer le comportement des jeunes et des élèves dans les transports en commun, aux portes des collèges ou des lycées, dans tous les lieux publics ou à la maison pour ne pas être surpris par ces données. Les observations relatives aux pratiques des jeunes montrent également une augmentation considérable des activités liées à l’accès à l’information, via les tous réseaux sociaux dont ils sont particulièrement participants et contributeurs.

SmartphoneUne chose est certaine : il est vain aujourd’hui de vouloir priver un adolescent de ce prolongement de soi qui contribue très fortement, mais pour sa part, à sa socialisation et à son épanouissement et lui permet d’accéder à toutes les connaissances du monde, comme jamais aucune bibliothèque n’avait pu le faire. On se dit alors qu’il ne manque plus à l’école que de saisir l’opportunité qui se présente et de tout mettre en œuvre pour contribuer à transformer ces connaissances parsemées, confuses, sans contexte, en savoirs pertinents et en compétences adaptées aux besoins de l’école et de la société, telle qu’elle est aujourd’hui.

On se dit que tout est possible, qu’il y a dans les enseignements, les dispositifs, les programmes de quoi saisir cette chance, quitte à ce que l’école fasse l’effort d’atténuer voire de réduire certaines fractures numériques. On se dit qu’ainsi l’école peut entrer mieux et plus vite dans l’ère numérique ! On se le dit puis…

On jette un œil sur les règlements intérieurs des lycées et des collèges

Lycée Jean-Vilar de Meaux (Seine-et-Marne) :

« Aucun objet susceptible de créer du désordre dans l’établissement ne doit y être apporté. Sont donc interdits : les couteaux, autres armes, bombes lacrymogènes et dispositifs à laser…. L’utilisation d’appareils permettant l’émission ou l’enregistrement de sons ou d’images est interdite dans les locaux. Les téléphones portables doivent impérativement y être éteints également. »

Lycée Louis-Modeste-Leroy de Rouen (Seine maritime) :

« L’utilisation du baladeur (audio et/ou vidéo), du téléphone portable et de toute radio-messagerie et télétransmission est strictement interdite dans les locaux du lycée. […] Tous ces appareils doivent être désactivés à l’intérieur des bâtiments. »

Lycée Balzac de Tours (Indre-et-Loire) :

« L’utilisation de téléphone portable, messagerie électronique, « baladeurs » est interdite dans les locaux de l’établissement, car elle constitue une nuisance. »

Défendu

Je vous épargne d’autres extraits encore plus désolants. Les notions de danger, de nuisance, de désordre sont ainsi presque systématiquement associées aux pratiques numériques des élèves. Concernant le droit à l’expression des lycéens, il persiste dans ces règlements intérieurs des mentions contraires à la loi, en ce qu’elles contraignent, par exemple, les jeunes rédacteurs de publications scolaires à soumettre a priori leur travail au proviseur.

Je rappelle que j’ai rédigé, il y a plus d’un an déjà, une petite fiche-projet à l’attention des proviseurs des lycées pour mettre à jour les règlements intérieurs.

On retrouve, de manière plus drastique encore, dans les règlements intérieurs des collèges, des mentions qui montrent que l’école numérique est en marche :

 

Collège Simon-Vinviguerra de Bastia (Haute-Corse) :

« L’usage du téléphone portable est totalement prohibé à l’intérieur du collège y compris dans les lieux non couverts. L’utilisation des appareils permettant d’enregistrer, d’écouter ou de visionner des images ou du son est également prohibée. En conséquence ces appareils devront être éteints dès l’entrée au collège. »

Collège René-Cassin de Cernay (Bas-Rhin) :

« Usage des téléphones portables, baladeurs, appareils photographiques et nouvelles technologie (sic) : l’usage des baladeurs, MP3 et téléphones est interdit en cours et dans l’établissement. Ceux-ci seront systématiquement confisqués en cas d’utilisation ou de sonnerie dans les locaux. Leur restitution se fera par la direction au représentant légal. »

Collège Saint-Joseph de Cognac (Charente) :

« Au collège, l’utilisation du téléphone portable pendant les heures de cours et dans tous les espaces fréquentés par les élèves est interdit à l’intérieur du collège [Rappel à la loi]. Je ne peux donc pas l’utiliser ni en remplacement de ma calculatrice, ni pour consulter (montre, horaire). Je sais que je risque d’être sanctionné en cas d’utilisation (confiscation du téléphone, pendant une durée variable, la restitution sera faite aux parents exclusivement). »

Collège Jean-Moulin de Nogent-le-Roi (Eure) :

« L’utilisation d’un téléphone portable n’est pas admise dans l’enceinte de l’établissement (sauf dans un bureau administratif avec l’autorisation d’un adulte). En cas d’utilisation, celui-ci sera confisqué et ne rendu qu’aux responsables légaux. Le téléphone doit être éteint dès l’entrée dans l’établissement. Les élèves qui auraient besoin de joindre leurs parents ont la possibilité de le faire en demandant à téléphoner du bureau de la vie scolaire. »

La publication des extraits de règlements intérieurs ci-dessus n’a pas pour but de montrer du doigt quiconque. Il s’agit d’exemples trouvés au hasard dans les premières occurrences de ce que me présente mon moteur de recherche. Ils se conforment, à quelques rares exceptions contraires à la loi, dans les lycées notamment, aux consignes données par les services des directions départementales ou du rectorat.

Ils montrent, de manière évidente, la fracture gigantesque qui sépare encore la société et ses jeunes des pratiques scolaires. Comme si elle se repliait sur elle-même pour mieux oublier, l’école a tendance à mettre encore plus de barrières entre elle et la société, montrant ainsi la méfiance qu’elle conçoit à l’encontre de cette dernière. Cette notion, par exemple, de « temps scolaire » qui serait différent d’un temps sociétal ou médiatique est aujourd’hui une grave erreur. Pour entrer vraiment dans l’ère numérique, l’école va devoir le comprendre et changer, pour ce qui concerne la mise en œuvre des terminaux personnels des élèves dans les enseignements, à la fois la loi, pour ce qui concerne les écoles et les collèges, et les règlements intérieurs des collèges et des lycées.

Il faudra changer au fond, autoriser avant d’interdire, négocier les bonnes pratiques avant de réprimer. Il n’y a pas d’autre choix et le plus tôt sera le mieux.

Michel Guillou @michelguillou

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Dernière modification le lundi, 07 décembre 2015
Guillou Michel

Naturaliste tombé dans le numérique et l’éducation aux médias... Observateur du numérique éducatif et des médias numériques. Conférencier, consultant.