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«L’École éduque à la Liberté : la liberté de conscience, d’expression et de choix du sens que chacun donne à sa vie ; l’ouverture aux autres et la tolérance réciproque. » puis, dans la même lettre aux enseignants « Je vous invite à répondre favorablement aux besoins ou demandes d’expression qui pourraient avoir lieu dans les classes… », c’est ainsi que s’exprime la ministre de l’Éducation Najat Vallaud-Belkacem le 7 janvier dernier, après les événements que vous savez. Dans la foulée de ce discours important, le ministère annonce sur son site, deux jours plus tard, pour défendre la liberté de conscience et la liberté d’expression, la mise à disposition de quelques outils pédagogiques pour réfléchir et débattre avec les élèves.

Chiche !

Il ne suffit pas de proposer ces outils aux professeurs, de les inciter à s’en servir en instillant dans le socle commun et l’ensemble des disciplines le champ transversal de l’éducation aux médias, de dire partout que cette dernière est fondamentale — enfin ! — et de l’appuyer d’un enseignement moral et civique très complémentaire. Il ne suffit pas non plus de dire partout que « la liberté d’expression est au fondement de toutes les libertés ; [que] la liberté de conscience et le respect des opinions individuelles sont les principes qui nous permettent de vivre ensemble », il faut mettre en œuvre maintenant. Vraiment.

La France est championne du monde du blogging, disait-on il y a quelques années, au moment des « Skyblogs » dont j’ai déjà tant parlé. Rendez-vous compte, c’était en 2009 et, s’il faut en croire Wikipédia :

« Le 22 novembre 2009, il y avait 28 416 340 blogs accessibles via Skyrock.com, et 18 879 590 profils. Ces blogs regroupaient plus de 650 millions d’articles qui ont reçu plus de 3,919 milliards de commentaires »

On sait ce qu’il est advenu de cette plateforme maintenant délaissée. On sait aussi où sont passées les productions des jeunes et des adolescents dont l’appétit pour écrire, pour s’exprimer, maintenant sur les réseaux sociaux, n’a pas faibli. On sait aussi comment l’école a ignoré d’abord puis réprimé et enfin honni cette libération débridée et parfois perturbante de l’expression sur cette plateforme commerciale. J’ai déjà évoqué ce mois de septembre sans fin… (1)

Alors que faire ? Rien de mieux pour éduquer aux médias que d’en produire un soi-même, comme le suggérait d’ailleurs la ministre en demandant que chaque collège ou lycée en soit pourvu :

Faire vivre la culture de la presse : au sein de chaque collège, lycée, un média, journal, radio, web ... sera créé.

Faire vivre la culture de la presse : au sein de chaque collège, lycée, un média, journal, radio, web ... sera créé.


Najat Belkacem sur Twitter 'Faire vivre la culture de la presse au sein de chaque collège, lycée, un média, journal, radio, web ... sera créé.
Parfait ! Mais quel terrible manque d’ambition ! Et de vision à long terme. Ce n’est pas d’un média par établissement dont l’école a besoin pour remplir sa tâche et accompagner l’expression des élèves, c’est de plusieurs, un par classe pour commencer — l’académie de Versailles propose ce service depuis de longues années déjà sans problèmes majeurs —, puis, progressivement, un par lycéen puis un par collégien, enfin un par écolier dès qu’il sait écrire.

Et quoi de mieux pour permettre une production diverse et complexe qui pourrait mêler du texte, des vidéos, des images et serait pourvu des fonctionnalités proches de celles d’un réseau social, que de fournir un blogue à chaque élève ?

Oui, un blogue, un vrai, un à soi, à son nom, public, débarrassé au contraire des plateformes commerciales de toute publicité, dont il faudrait que l’école et ses professeurs s’emparent avec le lycéen ou le collégien pour accompagner l’exercice de sa liberté d’expression, au service des activités pédagogiques comme au service d’une expression publique personnelle ! Aucun autre moyen n’est a priori meilleur pour apprendre au fond les conventions et règles de la publication, apprendre aussi ce qu’il convient de dire ou ce qu’il vaut mieux taire, ce que la loi autorise ou réprime, apprendre l’autonomie et la responsabilité, évoquer les difficultés de la confrontation de cette nouvelle liberté à d’autres droits relatifs à l’image ou aux auteurs des œuvres culturelles, apprendre enfin les problématiques de licences, par exemple encore…

Voilà qui serait une vraie ambition pour l’école et son engagement à défendre et renforcer les valeurs de la République ! Voilà qui serait un pari un peu fou mais tellement passionnant pour éduquer aux médias !

Pour terminer ce billet et ne pas laisser le ministère se débrouiller tout seul, il vaut mieux prévoir, sans trop rentrer dans les détails :

  • un déploiement en trois étapes, les lycéens d’abord (plus de 2 millions), puis les collégiens (au nombre de plus de 3,3 millions), enfin les écoliers (5 millions peut-être au maximum, l’estimation est difficile car il n’est peut-être pas utile d’en fournir aux élèves les plus jeunes, en maternelle ou à l’école du premier degré) ;
  • une plateforme unique voire multiple et décentralisée en ligne solide utilisant un moteur libre standard, du type Dotclear ou WordPress, par exemple, disposant au choix d’un affichage public ou privé, dont les fonctionnalités et la sécurité sont fréquemment mises à jour, muni enfin de quelques maquettes permettant de personnaliser son blogue et des extensions les plus robustes et fonctionnelles ;
  • une charte d’utilisation construite et négociée avec les élus de la vie lycéenne qui responsabiliserait les jeunes propriétaires sans gommer la responsabilité propre aux écoles et établissements d’une part, aux parents d’autre part — c’est, cela va de soi, la partie la plus délicate du projet, mais aussi la plus intéressante et la plus passionnante ;
  • l’animation de la communauté des jeunes blogueuses et blogueurs par la valorisation et la republication des meilleures productions.

Plus de 12 millions de blogueuses et de blogueurs à l’école, ce serait un drôle de challenge pour demain ! En tout cas un vrai service à offrir aux élèves et à leurs enseignants, beaucoup moins coûteux que les projets ou services du ministère en cours et surtout beaucoup plus prometteur…

Et quel exercice en vraie grandeur de l’apprentissage de la citoyenneté numérique ! D’autres apprentissages aussi…

Michel Guillou @michelguillou

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Image par Cortega9 (Own work) [CC BY-SA 3.0], via Wikimedia Commons

1. Il y a 20 ans, ils appelaient ça « septembre sans fin »… http://www.culture-numerique.fr/?p=2506

Dernière modification le jeudi, 23 avril 2015
Guillou Michel

Naturaliste tombé dans le numérique et l’éducation aux médias... Observateur du numérique éducatif et des médias numériques. Conférencier, consultant.