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Cet article est le premier d'une série de deux. Le second est sur ce lien

I. Contexte :

J’ai eu l’honneur d’être missionné par l’ESEN-ESR pour organiser une table ronde intitulée « Mettre en œuvre les différentes formes de mobilité dans les apprentissages » au sein du colloque international en E-éducation, du 7 au 10 novembre 2016 à Poitiers. 

Cet article relate les grands traits de cette table ronde, un fragment d’histoire de l’étymologie du terme « mobilité » et une expérimentation originale de télé-présence par robot interposé.

Commençons par planter le décor de cette table ronde.

Savez-vous que depuis le mois dernier, l’internet mobile supplante le fixe ? Tel est le titre de l’article de Libération du 4/11/2016 (1).

mobilevsfixe

En effet, d’après Statcounter (2), l’accès à Internet par appareil mobile a doublé ces 3 dernières années pour devenir majoritaire en octobre dernier.

internet

Il s’agit là d’une moyenne mondiale, alors qu’en est-il de la France ? L’accès par terminaux mobiles représente 29,57% et par terminaux fixes 70,43%. Sans vouloir faire de mauvais jeux de mots, les Français restent attachés à leur ordinateur fixe, ce qui peut s’expliquer en partie par l’usage du poste informatique professionnel. Mais les Français ne sont pas les seuls !

En effet, sur la carte « Europe », nous pouvons constater qu’en dehors de la Turquie, de l’Albanie et de la Pologne, les autres pays sont sur les mêmes tendances (majorité à l’accès à Internet par terminal fixe).

europe

Dans le cadre d’un colloque international France-Québec, il est logique de regarder de près le territoire Canadien et au-delà, nord-américain. Cette carte est uniformément en faveur du « desktop » hormis Haïti.

canada

Ou sont donc les pays qui font basculer la moyenne en faveur du mobile ? Sur cette dernière carte centrée sur le continent Africain, nous pouvons constater la tendance inverse. En effet, les pays aux infrastructures télécoms (réseaux téléphoniques filaires, fibres optiques) moins étendues vont logiquement vers le mobile directement et les liaisons radio pour apporter de la connectivité dans les régions reculées. Cela ne constitue qu’un début d’explication à ce phénomène...

Afrique

Mais la mobilité ne se résume pas au simple terminal servant à accéder à Internet !

II. Un peu d’étymologie

Le terme « mobilité » est polysémique par excellence et peut renvoyer à des concepts très différents. Son histoire étymologique (3) est riche d’enseignements et peut nous y aider. Arrêtons-nous sur quelques-unes de ces étapes.

Cette histoire débute par un écrit du XIIe siècle (les dialogues du Pape Grégoire (4), image source gallica) ou le terme « mobiliteit » véhicule les concepts d’inconstance, instabilité.

dialoge gregoire lo pape

En 1380, Jean Le Fèvre de Ressons, procureur au Parlement de Paris (5) ajoute le caractère de ce qui est mobile évoquant le geste ou le déplacement dans l’espace. Plus proche de nous, Bossuet, homme d’église et écrivain, évoque en 1667 la facilité à passer d’un état psychologique à un autre. Il nomme ainsi l’inconstance de caractère, d’humeur. Dans le champ de la physique, le premier numéro de la revue « le Radium » en 1904 évoque la mobilité de l’ion : déplacement dans l’espace de nouveau, mais déplacement invisible à l’œil nu, la technologie permettant de matérialiser ce phénomène.

Nous voyons apparaitre ici le binôme mobilité-technologie, cette dernière permettant à la mobilité en question d’exister ou de se matérialiser (approche phénoménotechnique), nous y reviendrons.

En 1921, pour Paul Vidal de La Blache, géographe de renom,  la mobilité est le caractère des personnes qui se déplacent souvent. La fréquence de déplacement devient mobilité. La sociologie apporte, en 1957, le concept de mobilité sociale pour qualifier un changement de statut social, mais également de mobilité de la main d’œuvre ou de mobilité professionnelle, mieux connus car souvent à l’origine de tensions familiales.

III. Mobilité et technologie

Comme nous l’avons vu dans le domaine de la physique des particules, la mobilité ne peut s’évoquer sans envisager l’influence majeure de la technologie sur la plupart de ses aspects.

Prenons l’exemple de la mobilité dans l’espace : Grâce à l’aviation, nous nous déplaçons 100 à 200 fois plus rapidement qu’il y a deux siècles. Nous pouvons également éviter de nous déplacer, en nous translatant instantanément par les technologies de communication. Dans le domaine du médical, la technologie permet au patient de retrouver de la mobilité lorsqu’il a perdu l’usage de ses jambes, ou au médecin de se « translater » à l’intérieur du corps du patient pour localiser et traiter la maladie, etc.

Il est à noter que certains aspects de la mobilité n’existeraient tout simplement pas sans la technologie.

De nos jours, selon Joël de Rosnay (6), la société devient « fluide » et fondée sur des rapports de « flux » plutôt que de « force ». L’école doit également passer d’une logique de « stock » du savoir scolaire à cette même logique de « flux » des connaissances qui se manipulent et s’échangent au quotidien, le Numérique aidant. Le « flux » deviendrait-il un synonyme de mobilité dans un écosystème numérique ?

IV. Mobilité et éco-système scolaire

Durant cette table ronde, nous avons abordé différentes significations que peut prendre la mobilité dans cet écosystème qu’est le système scolaire, via la quadrilogie suivante :

  • La mobilité de l’enseignant
  • La mobilité des étudiants
  • La mobilité pédagogique
  • La mobilité et les espaces d’apprentissage

Trois experts des sciences de l’éducation, de l’information et de la communication et des technologies ont abordé ces thématiques en binôme. Il s’agit de Bruno De lièvre, Thierry Koscielniak et Didier Paquelin.

Sur le fond de l’intervention, en attendant que les contributions et vidéos soient disponibles sur le site du colloque, vous trouverez en lien une carte conceptuelle avec pas moins de 62 concepts autour de la mobilité et des apprentissages :

https://www.researchgate.net/publication/309322933_Mindmap_les_differentes_formes_de_mobilite_en_education

Sur la forme, pratiquant assidu des pédagogies actives, j’avais à cœur de faire vivre des expériences (liées à la mobilité en éducation) au public présent à ce colloque et non pas uniquement de transférer des savoirs.

Nous avons donc organisé quatre interactions pour scénariser des formes de mobilités éducatives :

IV.1. Le robot de téléprésence :

Didier Paquelin était présent parmi nous via un robot de téléprésence depuis le Québec (voir photos), illustrant ainsi la mobilité de l’enseignant dans le cadre d’une intermédiation synchrone. L’expérience a été positive avec de bons retours via le fil twitter et durant les échanges informels. Le public a pu découvrir qu’il est possible de remettre de la présence dans une intervention distante, avec une certaine forme de proximité bien supérieure à la visioconférence ou l’écran est « statique ».

interviewrobot

Quelle mise en abyme technologique que de songer qu’une question formulée au Québec (via Twitter ou au micro) nous parvenait en France à Poitiers et lorsqu’elle s’adressait à Didier, repartait au Québec via le robot de téléprésence. La réponse nous parvenait alors par les petits haut-parleurs du robot, retransmise par un micro-cravate scotché au robot pour être diffusée dans l’amphi et repartir au Québec pour le public distant en visioconférence, soit 2 allers-retours en live, une belle prouesse technique !

robotconf

IV.2. La visioconférence :

La table ronde était suivie en visioconférence depuis Québec et l’assemblée présente a pu poser des questions, illustrant ainsi une mobilité d’étudiants distants. La visioconférence convoque aussi les espaces d’apprentissage en assurant une certaine forme de continuité d’action entre 2 espaces connectés.

IV.3. Le quiz et la rétroaction :

Un live-quiz a permis d’organiser une rétroaction entre les intervenants et les participants Français et Québécois, illustrant ainsi une forme de mobilité pédagogique augmentée par le numérique. Avec 105 réponses, ce QCM en ligne nous apporte les informations suivantes :

Les participants ont répondu via un smartphone à 44%, un ordinateur portable à 32% suivi par la tablette à 20%.

Composé à 45% d’enseignants, 16% de personnels de direction et 7 % d’inspecteurs, le public comportait aussi des techniciens ou ingénieurs, d’autres métiers de la fonction publique et quelques étudiants.

Pour l’écrasante majorité, le numérique éducatif est avant tout un « amplificateur d’une bonne pédagogie » à 80%, pour 13% il est « indispensable pour mieux apprendre » mais aussi « perturbateur et distracteur » pour 2%.

L’approche BYOD (Bring Your Own Device) emporte une adhésion massive avec 87% de votants se positionnant pour «  l’utilisation du matériel personnel des étudiants (smartphone, tablette, ordinateur) durant les cours » alors que la part restante est contre car « cela peut créer des inégalités et peu de bénéfices » ou « n’en voit pas l’intérêt ».

A la question « Enseignant(e)s, utilisez-vous le numérique dans vos cours (hors projection de type Powerpoint) ? », 47% disent le faire presque à chaque cours, 15 % environ une fois par semaine et pour la part restante, ils ne sont pas enseignants (26%) ou n’utilisent que très rarement le numérique éducatif.

La question ci-dessous est un révélateur de l’importance (ou pas) des réseaux et medias sociaux dans le développement professionnel de l’enseignant. A la question « Utilisez-vous les réseaux sociaux pour échanger avec d'autres professionnel(le)s et/ou pour faire de la veille sur vos activités? », 49% répondent « Oui, tous les jours » et 19% « oui, une à deux fois par semaine ». Nous constatons donc que les enseignants présents dans la salle travaillent en collectifs et s’informent, voire se forment en ligne pour une part importante.

Nous pondérerons ces résultats à tendance « techno-optimiste » par le phénomène de l’entre soi caractéristique des colloques et conférences. Mais au-delà des résultats (qui ne prétendent aucunement être représentatifs d’un autre échantillon que le public de l’ESEN ce jour-là), nous avons voulu montrer qu’il est aisé de récolter l’avis d’un public, d’organiser une rétroaction sans gros préparatifs, en présence ou en distance. L’amplification de la mobilité pédagogique par le numérique prend ici forme concrète car cette activité a duré 8 mn, sondé 105 personnes et restitué les résultats au public, lui renvoyant à l’écran les statistiques des profils types.

IV.4. Twitter et la rétroaction live :

Via le fil #eeduc16, nous avons incité le public présent et distant à formuler des questions, reprises au micro ensuite pour les intervenants présents et distants. Le phénomène « tweet-live » peut s’expliquer par la facilité de mise en œuvre d’un fil d’informations collaboratif permettant de suivre une conférence à distance (pour la substantifique moelle). Twitter devient donc aussi un outil de rétroaction pédagogique et de rédaction de synthèses collaboratives questionnant les formes de mobilités pédagogiques et étudiantes.

IV.5. Conclusion de cette table ronde :

Ce jour-là, la technologie a suivi (avec une matinée entièrement consacrée aux calages !) mais il aurait pu en être autrement. Il ne faudrait donc pas oublier que la mobilité en éducation nécessite aussi d’aller voir sur place si le matériel fonctionne et se l’approprier, de travailler en milieu techno-sécurisé avec si possible une assistance technique de proximité et de bonnes formations pour les enseignants. Ces derniers doivent donc prendre leurs marques ou repères techno-pédagogiques !

La mobilité en éducation, comme toute forme de mobilité nécessitera de définir le point de départ et d’arrivée, d’envisager la méthode et les outils pour réaliser le trajet, la translation, la mutation, l’adaptation. La technologie pourra être d’un précieux support comme tout autre outil. Gardez en tête qu’une bonne idée ne marche pas à tous les coups, surtout si la technologie n’est pas la bonne : demandez au petit Poucet et aux oiseaux, lorsqu’il a semé des miettes de pains pour retrouver son chemin, si cette technologie a fonctionné…

Pour finir, je remercie toute l’equipe de l’ESEN pour l’aide à l’organisation, les intervenants pour leurs riches apports et Christophe Batier (@batier) pour le prêt du robot de téléprésence.

Et je vous laisse sur l’idée suivante : « Gigoter au tableau, ce n’est pas de la mobilité pédagogique, c’est du théâtre ! »

JF. CECI

Lien vers la carte conceptuelle avec 62 concepts autour de la mobilité et des apprentissages : https://www.researchgate.net/publication/309322933_Mindmap_les_differentes_formes_de_mobilite_en_education

Lien vers la synthèse des résultats du quiz PDF

Télécharger l’article en PDF sur slideshare : http://www.slideshare.net/jf.ceci/table-ronde-mettre-en-uvre-les-diffrentes-formes-de-mobilit-dans-les-apprentissages

Références :

  1. Article Libération : http://www.liberation.fr/futurs/2016/11/04/c-est-officiel-l-internet-mobile-supplante-le-fixe_1526332
  2. Statcounter : http://gs.statcounter.com/#desktop+mobile+tablet-comparison-af-monthly-201610-201610-map
  3. Extrait de CNRTL en ligne, consulté le 15/09/2016 - http://www.cnrtl.fr/etymologie/mobilit%C3%A9
  4. « Li dialoge Gregoire lo Pape » en ligne sur Gallica, consulté le 15/09/2016 - http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k73154b
  5. Jean Le Fèvre de Ressons en ligne sur Arlima, consulté le 15/09/2016 - http://www.arlima.net/il/jean_le_fevre_de_ressons.html
  6. Joël de Rosnay, Surfer la vie : Vers la société fluide (Paris: LES LIENS QUI LIBERENT EDITIONS, 2012).

 

Dernière modification le mercredi, 08 août 2018
Céci Jean-François

Jean-François CECI est enseignant en Humanités et culture numérique à l'UPPA (Université de Pau et des Pays de l'Adour) et responsable pédagogique du DUTM (Diplôme d’Université Techniques Multimedia). Il encadre également une option « Ingénierie de l’éducation et de la formation » en licence 3 professionnelle « Métiers de la Formation des Jeunes et des Adultes ». Au sein de cette licence, il dispense un cours intitulé « enseigner à l’ère du numérique » à de futurs enseignants. Praticien-réflexif, il expérimente les pédagogies actives, l’évaluation par les pairs et l’usage efficient du numérique éducatif.

Il mène des recherches en sociologie du numérique et de l’éducation au sein du laboratoire PASSAGES. Il s’intéresse plus particulièrement à l’hyperconnexion et l’apprentissage, du collège à l’université.

Dans le milieu associatif pour la refondation de l’école, il est administrateur à l'An@e (Association nationale des acteurs de l'école), éditrice du site http://www.educavox.fr

Comme directeur du service numérique, chargé de mission TICE puis conseiller numérique, il a participé à la vision stratégique et au pilotage politique et technique de son université, en matière de numérique éducatif.

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