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Comment lier jeux et apprentissages ? Quel lien de causalité existe-t-il entre la pratique ludique dans le contexte d’un jeu particulier et le transfert des compétences acquises dans un autre contexte ? Ces questions ont été souvent posées aussi bien d’un point de vue théorique (Berry, 2011 ; Brougère, 2024) qu’à l’occasion d’observation de pratiques de terrain (Auriol et al., 2019 ; Guigon et al., 2017) et rejoignent même des questionnements sur les formations professionnelles par simulation (Horcik, 2014 ; Dubois et al., 2024).

Entre ludification et jeux sérieux, il existe une grande variété d’approches, mais les objectifs communs reposent sur la mise en place de nouveaux leviers pour développer la motivation et l’engagement des apprenants dans leurs apprentissages. Après avoir positionné les escape games dans l’univers des jeux sérieux, l’article présentera les ingrédients clés de ce type de jeu. Pour finir, le jeu « Camille2.4.0 » nous permettra de mieux comprendre les enjeux au travers d’une expérimentation réelle.

Ludification, gamification, escape game, de quoi parle-t-on ? Quelles démarches pédagogiques sous-jacentes ?

Différentes démarches lient la pédagogie et les jeux : la ludification (ou gamification), les jeux sérieux (serious game) dont les jeux d’évasion (escape game).

Chacune de ces démarches envisage le jeu comme une modalité pédagogique de formation et d’enseignement pouvant contribuer à améliorer la motivation, favoriser l’apprentissage par essais et erreurs, stimuler les interactions pédagogiques entre apprenants et offrir des représentations plus concrètes des concepts et/ou des compétences à acquérir (Alvarez, 2018). La mise en situation des apprenants a aussi pour objectif d’améliorer leur engagement (Romero, 2016). L’introduction d’un jeu en classe par un maître de jeu, chargé d’animer et de rythmer les différentes séquences, ainsi que la constitution de l’équipe vont aussi influencer la façon dont l’apprenant va s’approprier le jeu et s’engager dans une partie (Sanchez, 2023), en particulier si le maître de jeu est l’enseignant habituel de la classe.

La ludification consiste à ajouter des éléments de design de jeu dans des contextes de non-jeu, par exemple des scores dans une leçon, des classements entre apprenants, ou des badges de compétences.

Dans LudiMoodle (Lavoué & Serna, 2021), l’apprentissage de l’algèbre pour des élèves de 4e est ainsi réalisé sur une plateforme Moodle où sont ajoutés des éléments ludiques adaptés à chacun. Le modèle Octalysis (Chou, 2016), pionnier de la gamification, repose sur la définition de huit facteurs de motivation intrinsèques et extrinsèques des individus, qui les poussent à prendre des décisions et à être actifs. Il s’agit notamment d’une recherche de sens dans leur contribution, d’accomplissement (réussite et progrès), du sentiment de contrôle (possibilité de choix des actions) mais aussi de la possibilité d’interagir avec les autres (compétition ou collaboration) et d’anticiper (attrait des défis à venir).

À ces facteurs de motivations, les escape games ajoutent une dimension immersive (Cruz, 2019). Les escapegames sont souvent utilisés dans les contextes pédagogiques (Fenaert, 2017). Les joueurs participant au jeu doivent s’échapper d’une ou plusieurs pièces, réelles ou numériques, dans un temps limité. Pour cela, ils doivent rechercher des indices et des objets, résoudre des énigmes, afin de progresser dans le scénario.

Quels sont les ingrédients d’un serious escape game ?

Une session d’escape game sérieux se décompose en trois phases (Makriet al., 2021 ; Horcik, 2014) :

  • le briefing : le maître du jeu commence par présenter le scénario de la mission, les informations sur les personnages incarnés par les joueurs ainsi que les règles du jeu ;
  • le jeu : il comporte une ou des phases de fouilles et de résolution des énigmes et nécessite généralement un travail d’équipe et une bonne communication ;
  • le débriefing : à la fin, le maître du jeu félicite ou « libère » les joueurs et discute avec eux des réalisations de l’équipe. Cette phase d’institutionnalisation permet l’identification des savoirs et l’approfondissement de nouvelles connaissances.

À ces caractéristiques s’ajoutent celles propres aux escape games :

  1. un lieu constitué d’une ou plusieurs salles contenant des objets ;
  2. une durée limitée ;
  3. une enquête à mener ;
  4. des énigmes ;
  5. des indices présents dans la salle ou énoncés par le maître du jeu ;
  6. des actions cognitives mais aussi physiques, incluant des déplacements et des manipulations d’objets ;
  7. un travail collaboratif conduisant chacune des équipes à partager non seulement les solutions mais aussi la manière de résoudre les énigmes ;
  8. un processus d’apprentissage se focalisant sur la résolution de situations problèmes.

Nous allons illustrer la mise en œuvre de ces différents ingrédients à travers un exemple d’une séance du jeu « Camille2.4.0 ». Une importance particulière sera donnée à la phase de débriefing.

Comment favoriser l’apprentissage dans les escape games ? Un exemple d’expérimentation

Le projet « Camille2.4.0 : tes réseaux, ton empreinte numérique » (Renault & Séjourné, 2024) repose sur la conception d’un escape game permettant aux jeunes adolescents et à leur famille de s’interroger sur des traces laissées dans leurs environnements numériques, en particulier sur leurs réseaux sociaux.

Ce jeu a été proposé lors d’ateliers grand public aux journées « 2+4h kids » pour des groupes d’environ 8 à 10 personnes. La phase de briefing par le maître du jeu a lieu avant l’entrée dans la salle. Celui-ci remet aux joueurs, qui incarnent des inspecteurs, un dossier d’enquête permettant de les aiguiller dans leurs recherches. Dès qu’ils commencent le jeu, ils se retrouvent immergés dans l’appartement d’un suspect [caractéristique 1 : lieu] et disposent d’une heure [caractéristique 2 : durée] pour trouver, dans l’appartement et sur l’ordinateur du suspect, les indices nécessaires pour déjouer un cambriolage, avant que la garde à vue de ce dernier ne se termine [caractéristique 3 : enquête à mener].

Les notions abordées sont extraites du cadre de référence des compétences numériques de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL). Les participants reconstruisent l’empreinte numérique du personnage à partir de traces volontaires et involontaires laissées sur l’ordinateur, notamment sur les réseaux sociaux.

Le droit à l’image, les conditions générales d’utilisation (CGU), le Règlement général de protection des données (RGPD), la maîtrise des publications sont aussi des concepts abordés. Afin de favoriser la compréhension de ces concepts parfois abstraits, la mécanique du jeu repose sur des allers-retours permanents entre des indices réels disposés dans la pièce et un équivalent numérique.

Ainsi les traces numériques du suspect sont matérialisées par un épais dossier papier que les joueurs doivent manipuler pour trouver des indices.

Par exemple, la géolocalisation du lieu prévu pour le cambriolage [caractéristique 4 : une des énigmes] devient possible en croisant l’historique de navigation de Maps avec des métadonnées de photographies disponibles sur l’ordinateur, des traces de géolocalisation d’adresses IP disponibles sur le dossier papier et des post-it disposés sur de vraies cartes IGN [caractéristique 5 : ensemble d’indices pour une même énigme]. Les joueurs doivent donc se déplacer dans l’appartement [caractéristique 6 : actions physiques] et échanger entre eux pour réunir les différents indices [caractéristique 7 : travail collaboratif], appréhender et réunir les informations disponibles sur les cartes papiers et les données numériques [caractéristique 6 : actions cognitives].

Deux hypothèses portent ainsi le jeu :

  • l’obligation de partager des informations de natures différentes pour avancer dans l’enquête conduit les joueurs à collaborer et à expliciter les informations en leur possession ;
  • les allers-retours entre indices concrets et indices numériques favorisent l’appropriation des différentes notions [caractéristique 8 : résolution de problèmes et apprentissage].

Tout de suite après le jeu commence l’étape de débriefing, chaque équipe d’« inspecteurs » (adolescents et parents) est invitée à venir échanger avec le maître du jeu.

Camille2.4.0 étant réalisé lors d’une journée grand public, seule une ou deux notions abordées sont discutées. Les joueurs sont invités à choisir une ou deux cartes correspondant à une notion rencontrée au cours du jeu : sécurité des mots de passe, empreinte numérique, géolocalisation, etc. Ces notions sont alors rediscutées à partir des différents indices trouvés mais aussi de l’expérience de chacun [caractéristique 8 : discussion autour des stratégies et des apprentissages]. Par exemple, les discussions sur la sécurité des mots de passe ont souvent révélé des adolescents mieux informés que les parents !

L’étape de débriefing, souvent rapide dans les escape games grand public, devient indispensable dans les jeux sérieux pour capitaliser les apprentissages réalisés (Habgood, 2007). Les joueurs étant centrés sur la résolution de leur énigme, ils ne sont souvent pas conscients de leur apprentissage (Brougère, 2024). Cette étape s’articule ainsi en trois moments clés (Horcik, 2014 ; Gardner, 2013 ; Flandin et al., 2024). Tout d’abord, l’expression du ressenti permet aux joueurs de savoir s’ils ont réussi à résoudre l’ensemble des énigmes mais aussi de libérer leurs émotions. La seconde étape permet de discuter des stratégies mises en œuvre. Enfin, la synthèse des points clés permet de discuter des apprentissages réalisés lors du jeu. Le maître du jeu devient alors indispensable pour que les joueurs prennent conscience des connaissances acquises.

Conclusion

Les escape games immergent les apprenants afin qu’ils fassent leurs propres expériences. La posture du maître du jeu est une des clés de la réussite du passage de « simple jeu » à « jeu sérieux ». Son habileté à intervenir (ni trop tôt, ni trop tard, ni trop, ni pas assez) pour accompagner les joueurs durant la phase de jeu permet à ces derniers de garder leur motivation et leur engagement tout au long du jeu. Mais c’est surtout son habileté à observer la séquence puis à débriefer en tenant compte de ses observations, sans émettre de jugement (ce qui est dans le jeu reste dans le jeu), qui permet aux apprenants de transformer l’expérience de jeu en une séquence d’acquisition de nouvelles compétences. Le maître du jeu, via le débriefing, permet de passer du « joueur » à l’« apprenant » en transformant l’expérience en apprentissage.

Valérie Renault, Maître de conférences en informatique, Centre de recherche en éducation de Nantes-Le Mans Université

Recommandations

La conception et la mise en œuvre d’un serious escape game peut rapidement devenir chronophage et nécessite donc de s’interroger en amont sur différents points. Voici quelques recommandations issues de la synthèse bibliographique ci-dessous.

Quelques questions à se poser lors de la démarche de conception d’un escape game pédagogique :

  • quels sont les objectifs pédagogiques et quelles compétences doivent être mises en œuvre ? Quelques sources d’inspiration : https://ikigai.gameshttps://scape.enepe.fr/
  • quelles sont les contraintes techniques (matériels, disponibilité de la salle, décors…) ?
  • quelle est la structure générale du scénario et comment s’enchaînent les énigmes (exemple avec le modèle Segam [Guigon, 2019]) ?
  • quels sont les éléments ludiques et les mécaniques de jeux qui peuvent être mis en place ? Cadenas, outils numériques ou non, fouille, etc.
  • est-ce que mon scénario est réalisable ? Prévoir une phase de test avec un petit groupe d’apprenants ou de collègues afin de mesurer la formulation et les difficultés des énigmes, et de tester la temporalité.

Lors de la phase de jeu :

  • quelle sera la posture de l’enseignant lors du jeu ? Est-il lui-même le maître du jeu, ou ce rôle est-il tenu par un animateur extérieur ? Quel est son niveau d’intervention dans le jeu ?

Lors de la phase de débriefing :

  • prévoir un vrai temps de débriefing juste après la séance de jeu ;
  • permettre aux apprenants de libérer leurs émotions et leurs ressentis ;
  • discuter et faire discuter des choix et des stratégies mis en œuvre lors du jeu ;
  • prévoir une dernière étape de synthèse des compétences et des notions à retenir, par exemple en créant une carte mentale avec les apprenants.

Voir aussi

Bibliographie

  • Auriol, G., et al. (2019, mai). Activité pédagogique sur la création d’un jeu d’évasion [Communication dans un colloque]. 6e colloque Pédagogie & formation – groupe INSA, Bourges. Hal-02307883
  • Berry, V. (2011). Jouer pour apprendre : est-ce bien sérieux ? Réflexions théoriques sur les relations entre jeu (vidéo) et apprentissage.La Revue canadienne de l’apprentissage et de la technologie37(2).
  • Bronzoms, G. (2020). Escape games et apprentissage. Drane Occitanie.
  • Brougère, G. (2024). Peut-on se prendre au jeu ?. Revue de la petite enfance,145, 45-56. Hal-04761183
  • Chou, Y.-K. (2016). Actionable gamification: Beyond points, badges, and leaderboards. Octalysis Media.
  • Cruz, M. (2019). ‘Escapando de la clase tradicional’: the escape rooms methodology within the spanish as foreign language classroom. Revista Lusófona de Educação46, 117-137. 10.24140/issn.1645-7250.rle46.08
  • Dubois, L.-A., et al. (2024). Les débriefings post-simulation dans les formations aux métiers de la santé, de la sécurité et de l’urgence. Éducation & Formatione-322.
  • Fenaert, M. (2017). Escape game ou pas ?. S’cape.
  • Flandin, S., et al. (2024). De quoi le débriefing est-il le nom ? Propositions de formation alternatives au débriefing post-simulation. Éducation & Formatione-322.
  • Gardner, R. (2013). Introduction to debriefing. Seminars in perinatology37(3), 166-174. 10.1053/j.semperi.2013.02.008
  • Guigon, G., et al. (2017, juin). Escape classroom : un escape game pour l’enseignement [Communication dans un colloque]. 9e colloque Questions de pédagogie dans l’enseignement supérieur, Grenoble. Hal-01503763
  • Habgood, J. (2007). The effective integration of digital games and learning content [Thèse de doctorat, University of Nottingham].
  • Hodent, C. (2020). Dans le cerveau du gamer. Neurosciences et UX dans la conception de jeux vidéo. Dunod.
  • Horcik, Z. (2014). Former des professionnels via la simulation : confrontation des principes pédagogiques issus de la littérature et des pratiques de terrain. Activités11(2). http://journals.openedition.org/activites/963
  • Lavoué, E., & Serna, A. (2021). Vers une ludification adaptative expressive des environnements numériques d’apprentissage. Sciences et technologies de l’information et de la communication pour l’éducation et la formation28(2), 153-176. Hal-04372299
  • Makri, A., Vlachopoulos, D., & Martina, R. A. (2021). Digital escape rooms as innovative pedagogical tools in education: A systematic literature review. Sustainability13, 4587. https://doi.org/10.3390/su13084587
  • Marescot, V., Guigon, G., & Vermeulen, M. (2019, juin). Inside Memory : un serious escape game pour apprendre à apprendre [Communication dans un colloque]. 11e colloque Questions de pédagogie dans l’enseignement supérieur, Brest. Hal-02284009
  • Renault, V., & Séjourné, A. (2024). Camille2.4.0, conception et expérimentation d’un escape game pour mieux comprendre l’empreinte numérique. Dans C. Petr & O. Segard (dir.), Le droit à la vie privée : l’urgence de l’hygiène numérique. Presses universitaires de Rennes.
  • Romero, M. (2016). Jeux numériques et apprentissages. Éditions JFD.
  • Sanchez, E. (2023). Enseigner et former avec le jeu. Développer l’autonomie, la confiance et la créativité avec des pratiques pédagogiques innovantes. ESF sciences humaines.

Article publié sur le site : Les escape games sont-ils des moteurs d’apprentissage ? - Réseau Canopé

Dernière modification le dimanche, 11 mai 2025
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Les usages du numérique éducatif : L'Agence nationale des usages du numérique éducatif est un site web de référence qui vise la compréhension des enjeux liés à l’évolution des pratiques professionnelles des enseignants dans un contexte numérique. Cette publication présente une veille sur les outils, ressources, services pédagogiques numériques pour l’Éducation, des résultats de la recherche internationale, des expériences d’utilisateurs dans la conduite des actions d’enseignement et d’apprentissage et une observation en continue des processus « usages » mis en œuvre dans le cycle de vie des projets technico-pédagogiques.

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