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Pour une université en phase avec son temps et ses valeurs - La transition numérique modifie l’université de manière plus profonde qu’il n’y parait. Aborder cette transition par le prisme de la contribution permet d’avoir une vision émancipatrice du numérique. Nous allons considérer ici les changements déjà en cours sur le terrain pour montrer qu’ils prennent sens en les articulant au travers de la notion d’université contributive.

« Une université est un établissement qui fédère en son sein la production, la conservation et la transmission de différents domaines de la connaissance » (Wikipedia). L’article cite ensuite Peirce, un philosophe américain, qui a défini en 1891 l’université comme « une association d’hommes […] dotée et privilégiée par l’État, en sorte que le peuple puisse recevoir une formation [guidance] intellectuelle et que les problèmes théoriques qui surgissent au cours du développement de la civilisation puissent être résolus ».

Le numérique transforme profondément la manière dont on produit, conserve et transmet la connaissance, c’est à dire le cycle complet de la vie de la connaissance. L’abondance des informations, leur diffusion ouverte, le partage et la collaboration deviennent la règle.

La transition numérique transforme la société et a donc un impact sur l’université.

Sur le question de l’évolution de l’université, les rapports (StranesEurope) se suivent mais n’interpellent pas directement les acteurs, que ce soient les étudiants, les enseignants chercheurs ou les autres acteurs de l’université. Et pourtant sur le terrain les choses bougent, la manière d’aborder la recherche, l’enseignement, l’organisation des espaces se modifient en phase avec les attentes des uns et les valeurs portées par les autres. En quoi ces évolutions dessinent elles une université contributive ? C’est ce que nous allons essayer d’esquisser ici.

Pour définir “Université contributive”, il n’est pas possible de s’appuyer sur Wikipedia (l’article “Université contributive” reste à créer à l’heure où j’écris ces lignes), ni sur quelque moteur de recherche que ce soit, c’est donc clairement un néologisme qui est proposé dans le cadre du MOOC Enseigner et Former dans le Supérieur.

C’est Bernard Stiegler qui va nous permettre de démarrer au travers de ce qu’il appelle l’économie de la contribution et sa réflexion sur le travail contributif. Un autre point d’entrée théorique pourrait alors être le travail de Michel Bauwens (voir par exemple son livre Sauver le Monde, ou un interview « Le « peer to peer » induit que la production émane de la société civile »). Le principe est que tous les acteurs peuvent contribuer, dans notre cas donc étudiants, enseignants chercheurs, mais également tout le personnel des universités, aux différentes facettes de la vie de la connaissance.

Nous allons essayer de cerner la notion au travers de courants qui existent aujourd’hui. Au delà de la théorie, la contribution prend corps à partir du terrain. Tout comme le web est défini par le flux, sans action point de contribution. Dressons donc un panorama partiel des courants et des actions qui relèvent de cette université contributive.

Au niveau recherche tout d’abord, différents mouvements, comme les Humanités numériques, la science 2.0, qui promeuvent de nouvelles approches pour faire de la recherche, en permettant à tous de s’associer à un travail de recherche, en publiant non seulement les résultats, mais en partageant également les données utilisées et le protocole expérimental retenu. Le processus de recherche devient ainsi communautaire.

Parmi d’autres, le projet Cesgo, issu du domaine de la biologie, propose une infrastructure de recherche complète (un environnement virtuel de recherche) permettant un travail collaboratif entre chercheurs en mettant à disposition moyens techniques et humains pour conduire un telle démarche contributive.

Ces différents mouvements et initiatives promeuvent une approche ouverte pour les données et les publications, considérant que la connaissance, produite par les universités, est à verser dans le domaine des biens communs. La connaissance doit être disponible pour tous, et est gérée par la communauté.

Au delà du cercle des chercheurs, les démarches de science ouverte proposent d’associer les citoyens à la recherche. Des initiatives en cours de construction comme ”65 millions d’observateurs” visent à permettre à chacun de contribuer. Les chercheurs anglais en éducation qui publient chaque année depuis 2012 un dossier prospectif sur les grandes tendances pédagogiques, ont parfaitement intégré cette dimension dans leur cadre d’analyse. Le rapport “Innovating Pedagogy” de 2013 mettait ainsi en avant la “Citizen Inquiry” au coté de la “Maker Culture”, du “CrowdLearning” et des MOOC (résumé en français ici).

Entre recherche et pédagogie, François Taddei milite pour le développement dedémarches collaboratives dans l’éducation, basées sur la démarche scientifique et ouvertes sur le monde.

Coté enseignement l’université contributive va au delà de la simple ouverture de ressource. En termes de pédagogie, elle passe par un accompagnement de la construction de la connaissance par les apprenants, en phase avec les compétences définies par la littératie numérique. Par exemple, certains proposent une co-écriture avec les étudiants des ressources d’un cours. Une telle démarche contributive entre dans le cadre des ressources éducatives libres (REL ou OER en anglais, libre car quel autre statut donner à une telle oeuvre collective). Il devient possible de proposer un cours basé sur les contributions des étudiants.

Dans un certain nombre d’institutions et dans un cadre défini, les étudiants peuvent également proposer leurs sujets de projet ou de recherche. Les productions issues de ces travaux sont d’ailleurs des contributions à la connaissance.

L’évaluation et l’apprentissage par les pairs permettent aux étudiants de contribuer à leur formation. L’évaluation par les pairs a notamment connu un regain d’intérêt dans les évaluations dans les MOOC.

L’étudiant devient ici contributeur de sa formation et de celle de ses pairs. L’enseignant est accompagnateur, garant du processus de construction. Et on le voit ces contributions peuvent porter aussi bien sur le contenu, que sur les sujets d’études ou même l’évaluation.

L’université est également un lieu de vie. Là aussi la logique de contribution transforme les espaces et permet de repenser les événements. Le Fablabs qui développent la culture du faire et de l’auto-organisation fleurissent dans les universités. La conception des espaces est repensée pour intégrer le numérique, encourager les échanges, et mieux accueillir les étudiants.

Un lieu de vie est un espace d’accueil d’événements. Les approches contributives ont depuis longtemps pris conscience de l’importance de rencontres physiques, d’événements qui donnent à voir, et qui amplifient la logique de contribution. Nombre de conférences informelles, d’échanges, de débats se déroulent sur les campus. Citons deux exemples parmi d’autres qui démontrent de nouvelles formes d’échanges sur des sujets trop peu mis au débat.

Le premier exemple est le MOOCamp day, événement national organisé sur 7 sites simultanément, durant lequel la proposition était 1) de proposer des sujets de MOOC, 2) de construire ensemble les scénarios des MOOC retenus, 3) de voter pour son MOOC préféré. La contribution de tous porte bien ici de sur des sujets de cours, de leurs organisations et de leurs contenus.

Le deuxième exemple est la journée Hack’apprendre “2035 idées pour construire l’université en 2035” de l’université de Louvain La Neuve durant laquelle chacun était invité à contribuer en apportant ses idées sur l’université de demain.

Et en parlant du renouvellement des espaces et de l’organisation des événements, nous venons implicitement de parler des espaces de conservation de la connaissance, tant les bibliothèques ont été les premiers espaces à se repenser en tant qu’espace de ressources, de travail en groupe, et d’événements, souvent en se rebaptisant learning centers. Les personnels de ces espaces ont d’ailleurs vu leur métier évoluer. Certains se constituent en communauté ouverte pour contribuer à l’évolution de leur métier, comme par exemple au sein de doc@Brest.

On le voit, de nombreux éléments existants contribuent à dessiner l’université contributive. L’acception de cette notion permet de donner corps et cohérence à de nombreuses initiatives qui dessinent une véritable évolution de l’université. En associant tous les acteurs, et toutes les facettes, elle implique une approche holistique de l’évolution de l’université.

Cette évolution permet de réaffirmer la place de l’université au sein de la cité. Elle modifie nos métiers (d’étudiants, d’enseignants chercheurs, mais aussi on l’a vu au travers de l’exemple des bibliothécaires de tous les autres personnels de l’université). En revisitant la notion de pairs, elle fluidifie les relations. En donnant un pouvoir d’agir à tous les acteurs, elle est plus intégrative. En ne s’interdisant pas de sujet a priori elle permet d’évoluer et d’être en prise avec la société. Et nous pouvons tous y contribuer. 

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Postface : beaucoup d’autres exemples pourraient compléter ce panorama, n’hésitez pas à me les faire connaître. Et puisque ce billet est écrit dans le cadre d’un débat proposé par le MOOC Enseigner et Former dans le Supérieur, n’hésitez pas à réagir.

http://www.innovation-pedagogique.fr/article543.html

Jean-Marie Gilliot

 

Dernière modification le jeudi, 12 mai 2016
Gilliot Jean-Marie

Enseignant chercheur au département informatique de Télécom Bretagne
Persuadé que le futur de l’école est numérique, je publie sur mon blogTechniques Innovantes pour l’Enseignement Supérieur. Vous pouvez également me retrouver sur Tiwtter : @jmgilliot
Thot Cursus a publié un interview "l’apprentissage passe par la réutilisation" qui me parait assez juste.