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En août 2021, Luis Galindo, Directeur du Laboratoire d’Innovation et de Ressources en Éducation Chercheur associé au Laboratoire TECHNÉ publiait cet article qu'il nous semble intéressant de relire aujourd'hui. Il démontre notamment que les limites ne résident pas uniquement dans les technologies numériques (obtenir un meilleur Internet ou davantage de tablettes ou d'ordinateurs dans les écoles et les centres de formation), mais surtout dans nos pratiques et dans notre capacité à contextualiser le processus d'enseignement et d'apprentissage. Ainsi, " Dans un monde où les frontières des contextes formels, informels et sociaux s'estompent, l'apprentissage hybride ne peut pas être limité par une configuration d'instructions numériques et physiques et devrait évoluer avec les ressources et les technologies qui apparaîtront à l'avenir "

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Inspiré par les théories éducatives de Jerome Bruner et Seymour Papert, Alan kay imaginait en 1972 un artefact appelé « la Dynabook » qui, physiquement, était similaire aux tablettes que nous utilisons aujourd'hui, mais qui, conceptuellement, était complètement différente (une machine pour enseigner comment penser et pas seulement un autre type de télévision).

Cet artefact soutiendrait dans un processus d’enseignement-apprentissage, une participation et une interaction actives avec des simulations dynamiques de systèmes physiques, permettant aux apprenants de partager leurs idées créatives (kay, 1972). Dans les années 1970, les technologies numériques n'étaient pas suffisamment avancées pour développer les idées proposées par Alan Kay, mais cinq décennies plus tard, alors que les technologies numériques sont disponibles, la pandémie de COVID-19 nous a montré que les limites ne résident pas uniquement dans les technologies numériques (obtenir un meilleur Internet ou davantage de tablettes ou d'ordinateurs dans les écoles et les centres de formation), mais surtout dans nos pratiques et dans notre capacité à contextualiser le processus d'enseignement et d'apprentissage.

Si vous venez du monde des sciences de l'information et de la communication, vous connaissez certainement les travaux de Marshall McLuhan. Pour McLuhan, lors de l'apparition de la presse typographique, son appropriation nécessitait un autre niveau de pensée. De même, les technologies numériques avec lesquelles nous interagissons tous les jours nous amènent à un point où nous avons besoin d'un autre niveau de pensée, au-delà de celle qu'il a fallu pour les créer. Comme le disait Alan Kay, nous ne pouvons pas résoudre les problèmes en utilisant le même type de réflexion que lorsque nous les avons créés.

C'est pourquoi nous devons penser différemment lorsque nous réfléchissons aux concepts d'hybridation dans l'apprentissage, dont les origines remontent à il y a plus de 20 ans (Peraya, 2014), et qui n'est pas uniquement la juxtaposition, la succession des mêmes activités d'apprentissage en présentiel et à distance (cours en présentiel un jour, cours à distance le lendemain) (Lebrun, 2021).

Le terme Blended Learning ou Apprentissage Hybride a été utilisé dès 1999 (Friesen, 2012). Driscoll (2002), par exemple, identifiait quatre interprétations de l'apprentissage hybride qui dominaient la littérature à l'époque, qui ont ensuite été simplifiées par Graham (2006) en trois concepts généraux :

1. La combinaison de l'enseignement en ligne et en face à face ;

2. La combinaison des modalités d'enseignement (ou supports de diffusion) ;

3. La combinaison des méthodes d'enseignement.

Graham remarquait à l’époque que les modèles adoptant la première définition sont les plus utilisés, la deuxième définition conservant un certain niveau d’utilisation dans le domaine de la formation professionnelle, et la troisième définition étant rarement utilisée [il faut noter qu'en France, Geneviève Jacquinot a également été une pionnière dans l'exploration de ce sujet il y a plus de 20 ans]. 15 ans plus tard, nous parlons surtout de la classe inversée (Staker et Horn, 2012 ; Graham et al., 2014), qui dans une grande partie des expériences se concentre uniquement sur la première définition que Driscoll (2002) a donnée il y a presque 20 ans. C'est pourquoi le concept d'hybridation est limité à des cours préenregistrés pour une consommation en ligne dans la plupart des cas, et dans le meilleur des cas à des cours préenregistrés pour une consommation en ligne utilisés comme précurseurs d'activités en présence (qui pourraient inclure des discussions et/ou des activités basées sur une pédagogie par projets ou par la résolution de problèmes).

Je pense que la popularité que le terme « Apprentissage hybride » a prise l'année dernière et les différentes expériences qui ont été déployées (malheureusement, avec une mauvaise expérience d'apprentissage dans la plupart des cas), nous donne l'occasion de repenser la façon dont nous employons ce terme au processus d'enseignement-apprentissage d'une manière contextualisée, nous permettant de connecter le terme à deux sujets importants qui concernent le processus d'apprentissage :

1. L'importance de tracer le processus d'apprentissage [la partie « pendant le processus d’apprentissage ou pendant la formation »]

2. La reconnaissance des résultats de l'apprentissage et le suivi de l'application des nouvelles connaissances et compétences dans un contexte spécifique [la partie « après le processus d’apprentissage ou après la formation »].

L'apprentissage est une expérience motivée par les intérêts, socialement intégrée et connectée (Ito et al., 2013) où l'on peut trouver différents types d'hybridations (Driesen, 2016) : enseignant-formateur/élève-apprenant, analogique/numérique, formel/informel, passif/actif, etc. Je ne vais pas entrer dans les détails du rôle de l'hybridation dans le processus d'apprentissage, il y a beaucoup d'auteurs francophones qui ont été des pionniers en travaillant sur le sujet (Geneviève Jacquinot, Viviane Glikman, Daniel Peraya, etc.) et d'autres plus récents (Annie Jezegou, Bernadette Charlier, Josiane Basque, etc.). Mon objectif ici est de connecter le concept d'hybridation dans le processus d'apprentissage avec mon travail autour de la spécification xAPI (voir ci-dessous) pour tracer l'apprentissage, ainsi qu’avec les connecteurs dynamiques (voir cet article pour plus d’information) qui sont des artefacts pour reconnaître nos réalisations d'apprentissage et que nous pourrions utiliser pour tracer comment les apprenants appliquent leurs nouvelles connaissances et compétences dans le monde réel.

Ainsi, le terme « Apprentissage Hybride » devrait se concentrer sur les configurations qui facilitent le plus l'expérience d'apprentissage (Krasnova, 2015) afin de permettre aux processus d’enseignement-apprentissage de s'adapter aux contextes et aux espaces pour bénéficier de l'apprentissage formel, de l'apprentissage informel et des expériences de terrain (ex. professionnelles) (Zitter et Hoeve, 2012). Ainsi, l’apprentissage hybride va nous permettre d'associer les personnes, les espaces, les ressources, les technologies et les processus d'une manière plus contextualisée. Les besoins et les contextes des personnes informent sur l'espace qui sera pertinent pour l'apprentissage, sur les types de ressources qui peuvent être mobilisées et optimisées, et sur les technologies qui peuvent le permettre (Arnab, 2021).

Dans un monde où les frontières des contextes formels, informels et sociaux s'estompent, l'apprentissage hybride ne peut pas être limité par une configuration d'instructions numériques et physiques et devrait évoluer avec les ressources et les technologies qui apparaîtront à l'avenir, donnant aux apprenants plus de liberté pour imaginer, créer et expérimenter, ainsi que plus d'autonomie. Cela pourrait être l'occasion d'utiliser l'apprentissage hybride pour mieux comprendre la conception et le processus d'une expérience d'apprentissage contextualisée, pour tracer l'expérience d'apprentissage, ainsi que la mise en place des connaissances et des compétences sur le terrain ou le « monde réel ».

Nouvelles possibilités pour la spécification xAPI dans un contexte d'apprentissage hybride

Imaginez que vous êtes un enseignant ou un formateur. En tant qu'enseignant ou formateur, vous avez généralement un plan de cours que vous adaptez à la progression de vos apprenants. Vous connaissez le nom de chaque apprenant et vous suivez leurs progrès, en enregistrant, par exemple, la présence des apprenants à vos cours. Vous savez également quand un apprenant a obtenu une note spécifique pour réussir ou échouer à un cours et si l'apprenant a terminé ou non un cours. Pour l'apprenant comme pour l'enseignant ou le formateur, ce processus et ces informations restent les mêmes dans les différents établissements scolaires ou de formation, de sorte que si un apprenant change d'établissement, ces informations seront utiles au nouvel établissement et un autre enseignant ou formateur continuera à suivre la progression de l'apprenant de la même manière.

Dans un contexte d'apprentissage en ligne, nous avions besoin d'un système similaire pour permettre aux apprenants et aux différents systèmes d'apprentissage en ligne (une ENT, un LMS comme Moodle, etc.) de travailler de la même manière. C'est pourquoi la spécification SCORM a vu le jour au début des années 2000. Il s'agit d'une norme pour l'apprentissage en ligne qui permet aux fournisseurs de formations qui ne pouvaient pas partager des cours, de pouvoir communiquer. La spécification SCORM peut indiquer si un apprenant a suivi un cours en ligne, quand il a terminé le cours et sa note pour le cours, mais ne précise pas comment s'est déroulé son apprentissage. La spécification SCORM fonctionne très bien tant que les apprenants sont devant un ordinateur et suivent un cours prédéfini. Mais dans le monde d'aujourd'hui, l'apprentissage a transcendé ces limites et est plus qu'une simple collection de séances d'apprentissage en ligne (ou de séances physiques dans une salle de classe).

Sachant que l'apprentissage peut se faire n'importe quand et n'importe où (une partie de l’hybridation des apprentissages), nous avions besoin d'un cadre flexible capable de prendre en compte toutes les façons différentes dont les apprenants peuvent apprendre (avec un cours en ligne, avec un livre, dans un forum, en regardant des vidéos, dans une salle de classe, dans un Tiers-Lieu, en interagissant avec un mentor, etc.) C'est pourquoi la spécification xAPI a vu le jour, une spécification qui concerne les flux d'activités d'apprentissage, qui décrit toutes les activités en cours et sauvegarde les informations dans une archive à laquelle tous les dispositifs peuvent accéder. Cette archive est connue sous le nom de LRS ou Learning Record Store.

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La spécification xAPI va agréger les différentes activités d'apprentissage (physiques, numériques et sociales), nous permettant de les analyser afin d'améliorer une ou plusieurs expériences d'apprentissage. C'est pourquoi nous voulons tracer les activités d'apprentissage « pendant l’expérience », imaginez par exemple que vous voulez mieux comprendre pourquoi un apprenant n'utilise pas une fonctionnalité spécifique, ou mieux comprendre comment les apprenants utilisent notre proposition de formation et identifier si nous répondons à leurs besoins. Dans ce contexte, et comme je l'ai dit dans d'autres articles, l'analyse quantitative nous permet d'observer le « Quoi », mais nous avons également besoin d'une analyse qualitative pour mieux comprendre le « Pourquoi ».

Par conséquent, si une expérience d'apprentissage hybride nous permet d'apprendre n'importe quand et n'importe où (et pas seulement dans une salle de classe ou sur une plateforme en ligne) et si elle établit une stratégie sur la manière dont les personnes, l'espace, les ressources, la technologie et le processus peuvent interagir de manière plus contextualisée, la spécification xAPI peut nous permettre d'agréger toutes ces informations pour les analyser afin d'améliorer l'expérience d'apprentissage hybride.

La spécification xAPI et la reconnaissance des réalisations issues d’un processus d’apprentissage

Dans la spécification xAPI, chaque flux d'activités d'apprentissage est associé à un verbe (suivre, expérimenter, terminer, répondre, etc.) et à une activité (un cours, un audio, une vidéo, un projet, etc.), par exemple :

-- Luis a suivi le « cours X ».

-- Luis a expérimenté la « construction du projet X ».

-- Luis a répondu correctement le « Quiz X » avec une note de 18/20.

-- Luis a terminé le « parcours X » avec le « mentor Y ».

-- Etc.

Vous pouvez trouver la liste des différents verbes et activités ici (et bien sûr, vous pouvez créer les vôtres en fonction de votre contexte) : https://registry.tincanapi.com/#home/verbs.

La spécification SCORM peut le faire facilement aussi. Mais la spécification SCORM sera limitée au stockage d'informations comme celle-ci : « Luis a suivi un cours sur X avec une note de 18/20 ». La différence est que la spécification xAPI peut enregistrer d'autres détails importants, comme « comment Luis a suivi ce cours », ce qui nous donne plus de flexibilité pour stocker ce type de données provenant de différents contextes hybrides (et pas seulement d'une salle de classe ou d'une plate-forme en ligne). Ainsi, la spécification xAPI nous permet non seulement de stocker des messages du type « quelqu'un a fait quelque chose », mais aussi d'inclure des détails sur le contexte avec les résultats ou les réalisations. Dans une expérience d'apprentissage, le contexte peut ajouter beaucoup de sens aux résultats et aux réalisations.

Comme nous l'avons déjà dit, cette approche peut nous aider à tracer la partie « pendant la formation », elle peut également nous aider à tracer ce qui se passe « après la formation », car elle nous permet également de stocker l’auto-documentation des réalisations des apprenants, de sorte que les apprenants peuvent stocker ces informations dans des artefacts de reconnaissance (comme une micro-certification, un Open Badge, une certification, etc.). Dans un contexte professionnel, les chefs de projet peuvent enregistrer des apprentissages spécifiques et d'autres détails du projet. Dans un contexte plus collaboratif, les membres d’une équipe peuvent enregistrer leurs contributions personnelles. Comme je le disais avant, pour mieux comprendre une expérience d’apprentissage, nous ne pouvons plus nous baser uniquement sur des questionnaires, l'objectif est de collecter des données qui nous permettront d'observer le contexte, les interactions, la fréquence, le processus et l'intentionnalité de l'expérience d'apprentissage.

En d'autres termes, dans un système de reconnaissance, l'objectif n'est pas seulement de s'appuyer sur le QUOI - maîtriser les ressources en obtenant la bonne ou la mauvaise réponse - mais aussi sur le COMMENT - comment l'apprenant comprend le processus et les ressources. Plus important encore, s'il est associé à un artefact de reconnaissance suffisamment flexible (c'est pourquoi je parle de connecteurs dynamiques, car nous voulons qu'un artefact de reconnaissance soit capable de s'adapter à différents contextes), nous pouvons commencer à détecter différentes tendances pour interpréter ce que l'apprenant veut atteindre, et produire une expérience d'apprentissage personnalisée pour l'aider à y parvenir.

L'autre aspect intéressant de l'utilisation de la spécification xAPI avec un artefact de reconnaissance est que le LRS ou Learning Record Store, où sont enregistrées les différentes activités d'apprentissage, pourra alimenter automatiquement l'artefact de reconnaissance de l'apprenant.

Mon prochain objectif est de créer un outil simple qui permettra aux concepteurs d'expériences d’apprentissage, aux enseignants et aux formateurs en général, de concevoir une expérience d'apprentissage hybride à travers la conception d'un système basé sur la spécification xAPI et les connecteurs dynamiques (l’artefact de reconnaissance). Je laisserai la description de cet outil pour un prochain article, mais en attendant, je pense qu'il est important d'intégrer les approches décrites ci-dessus à la plupart des expériences d'apprentissage hybrides.

Luis Galindo - Publié sur LinquedIn août 2021

 

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