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À l’origine, un questionnement : Il y a quatre ans, après cinq années d’enseignement (essentiellement en cycle 3), j’ai fait le constat qu’une nécessaire remise en question de ma posture professionnelle devait s’effectuer.

En effet, dans les conditions où j’exerçais, ma pratique devenait quelque chose de « plat » et n’avait plus rien à voir avec l’image que je m’étais faite du métier d’enseignant.Je n’éprouvais plus les mêmes sensations, n’y trouvais plus de goût et d’envie. L’ennui. Horrible. Inconcevable.  Mes élèves ne devaient plus avoir à souffrir de cet état-là et de cette situation.

Même si je fonctionnais en pédagogie active et de projets, il manquait quelque chose.

Il manquait le liant qui ajouterait une dimension « extra » ordinaire à la pratique quotidienne.

Je me suis alors documenté. J’ai beaucoup lu. J’ai voyagé sur le réseau Twitter, fait des découvertes, enrichi ma vision du métier au travers de ressources et d’activités. Lentement, j’ai inversé ma classe. Lentement, j’ai lâché prise. Lentement, je me suis mis en position de danger en modifiant complètement le schéma d’apprentissage de mes élèves. Ils sont passés d’un modèle de consommateurs de contenus et de savoirs à celui d’acteurs et de producteurs de ressources. Pour moi, c’est devenu une conception essentielle de ma pédagogie.

En parallèle, j’ai expérimenté plusieurs agencements de la classe.

Parfois allant même, dans la même semaine, à faire évoluer la place des tables des élèves. Il a fallu beaucoup de temps avant de trouver la modélisation spatiale qui me permettrait de pouvoir exploiter tout le potentiel pédagogique de cette nouvelle démarche d’apprentissage. Car l’important est ici : se questionner sur sa pratique est une chose mais pouvoir mettre, de façon pragmatique, en application cette démarche dans la classe, et ce dans ses aspects purement matériels, en est une autre. Le fait d’impulser une réflexion sur les espaces doit venir en aval de ce changement de paradigme professionnel. C’est une évidence. Une évidence qui donnera aussi toute la puissance au « modèle » que l’on souhaite poser et qui permettra à chaque individu de la classe de se positionner en tant qu’acteur de ce « modèle ».

Lieu, espaces, mobilités et circulations

Dès le départ de la réflexion, j’ai décidé d’aménager le lieu classe en « coins »,  à l’image de ceux que l’on peut trouver en cycle 1, mais de les adapter aux activités d’élèves de cycle 3.

On peut donc trouver un espace dédié au bricolage, un autre à l’expérimentation technologique, un autre encore à la mutualisation de savoirs co-construits. Disséminés dans la classe, ils ont, chacun, un usage particulier et présentent la particularité d’être « mono-tâches ». Mais ce sont avant tout des espaces qui permettent de pouvoir agir sur les sens des élèves et de pouvoir construire, de façon agile, des savoirs pour eux et pour le collectif. Facilement lisibles et identifiables par les élèves, ils constituent une étape dans leurs parcours d’apprentissages. Leurs fréquentations fait partie intégrante du processus d’acquisition des savoirs. Reste « encore » des tables, disposées en îlots, pour construire, favoriser ou consolider les savoirs co-produits. Ces îlots, de tailles différentes donnent du sens à la coopération et facilitent les échanges et les transferts de connaissances et de compétences. Ils participent ainsi à la mise en action d’une économie de la connaissance.

Penser un lieu « classe » est devenu au fil des années un lieu commun du métier d’enseignant. Un lieu commun afin d’instituer une dynamique et un consensus forts entre « sa » pédagogie et « sa » mise en pratique sur le terrain.

La singularité du projet Ecol@b vient du fait que la réflexion est collective.

En effet, en juin dernier, l’équipe pédagogique a décidé de laisser les élèves s’exprimer en concevant l’aménagement des espaces. Sur le plan des deux classes de l’étage, à l’échelle, les élèves ont donc imaginé le lieu dans lequel ils travailleraient l’année suivante. Ils se sont projetés dans l’environnement de travail dans lequel ils souhaiteraient évoluer et dans lequel ils se sentiraient « bien ». Des indications et des informations relatives aux mesures de sécurité, aux usages de certains lieux et au matériel avaient été données. Ce « hackathon », qui s’est déroulé sur une demi-journée, en petits groupes d’élèves, a permis de fédérer tout un groupe et de créer une dynamique commune de réflexion, afin de donner sens à l’environnement et au parcours de réussite de chacun des acteurs de la classe.

À mesure que le projet s’est construit, il a été mis en surbrillance l’existence de « tiers-lieux » d’apprentissages. Un « tiers-lieu » entendu ici au sens d’un espace a priori « pauvre » pédagogiquement mais qui peut faire valoir des capacités à devenir un lieu « riche » favorisant l’acquisition de compétences. Un lieu qui bénéficie de potentialités de part son emplacement, sa nature, ses aspects purement informels (couleur, disposition, etc.).

Ainsi, très vite, les escaliers de l’école et le palier ont été investis par les élèves comme des espaces de travail. De part leurs initiatives, ont objectivé la nécessité de réfléchir sur ces espaces peu exploités à des fins d’apprentissages.

Plus surprenant, les toilettes de l’école, dont les murs sont peints en vert, ont été utilisées par les élèves dans le but de réaliser des capsules vidéos nécessitant des incrustations. Ces initiatives personnelles ou de groupes nous ont poussé à formaliser les espaces afin de pouvoir « autoriser » ces démarches de travail « hors les murs » physiques de la classe. Un canapé (offert par les parents de l’école) a été installé sur le palier afin de mettre un peu plus de confort dans ce lieu. Un tapis et une table basse figurent aussi parmi le mobilier.

D’un espace de passage et de circulation, les initiatives collectives ont permis de « construire » un nouvel espace de travail.

 Pour quels effets ?

Générer des situations de réflexions, mises en œuvre au sein des classes, doit, de facto, servir de base à l’évaluation des pratiques pédagogiques.

Les évaluer, c’est en extraire des variables afin de justifier de leur validité dans l’écosystème espéré. Ces scénarios (entendus dans leurs assertions les plus larges) participent à la construction plus globale de la réussite éducative. À ce titre, des observables sont nécessaires pour pouvoir justifier de la réussite du modèle. Pendant deux ans, j’ai observé à la fois les comportements sociaux des élèves ainsi que les compétences pédagogiques acquises. Se dégagent trois grands domaines de réussite :

- sur le plan de la pédagogie, les élèves ont acquis un degré élevé d’expertise en termes d’autonomie, de persévérance face à la tâche et d’engagement dans le processus de construction des savoirs. Ces sous-catégories ont largement contribué à l’acquisition des compétences du socle.

- sur le plan des acquisitions transversales, des signes forts et prégnants se sont développés dans les démarches coopératives, le tutorat ou encore l’entraide. Ces facilitateurs d’expériences scolaires positives sont à mettre en avant car elles performent à la fois la réussite mais aussi la construction de cette dernière. Ainsi, dans une certaine mesure, une sociabilité pédagogique a pu se construire et devenir pérenne dans la classe.

- sur le plan social, les notions de bien-être, de bienveillance inter apprenants ont été catalysées et mises sur le même niveau que celui des apprentissages plus formels.

Les trois domaines ne sont pas à prendre de façon indépendante mais plutôt comme trois axes forts liés entre eux par la volonté d’apprendre, de réussir et celle de reconsidérer à la fois le corps mais aussi la place des élèves dans leur environnement scolaire. Ces variables strictement informelles interagissent avec les savoirs formels et définissent la vision des enseignants de l’école.

Le projet EcoL@b

Le projet est une réflexion sur la notion d’espace-s et d’architecture de la classe.

Il s’agit de prendre en compte certains éléments qui constituent des marqueurs sensibles pour l’ensemble des acteurs du terrain : choix du mobilier (forme, couleur, taille, matière), réflexion sur l’aménagement de l’espace classe (disposition des tables, matérialisation de lieux dédiés à des activités « types » (remédiation, expérimentation, création, etc.)), la mise en attractivité des éléments matériels (lumières, couleurs, ...), harmonisation des pratiques de classe et le développement de compétences liées au numériques (utilisation de tablettes, projets numériques, ...). L’objectif du projet est de créer un lieu unique de travail : il s’agit, finalement, de « briser » les murs physiques des deux classes actuelles et de construire un vaste espace dans lequel les élèves (et les enseignants) circuleraient afin de pouvoir réaliser certaines tâches, dans les espaces définis au préalable. Cette contribution fait écho à des expérimentations effectuées en cycle 1 et cycle 4 et participe à ce que l’on appelle plus généralement la « forme scolaire ».

Récemment, en septembre dernier, l’établissement a reçu le label Future Classroom Lab de l’European Schoolnet et est le seul établissement du premier degré en France à faire partie d’un groupe de recherche sur les laboratoires pédagogiques.

Innover en mode « rural » : vers un champ des possibles

La réussite de ce projet passe par sa dimension co-éducative.

L’école se situe en milieu rural, à une quinzaine de kilomètre de Tours, et a bénéficié il y a quelques années du plan Ecole Numérique Rural. Plan qui avait été souhaité par la municipalité et qui a permis l’achat d’une classe mobile et d’un TNI.  Un autre appel a été accordé pour cette nouvelle année scolaire. La municipalité, de part sa volonté d’investir durablement dans l’école produit un effet positif sur le local. Ceci se répercute sur l’équipe enseignante qui y voit (et surtout ressent) un contrat de confiance et la mise en œuvre d’un travail mutuel à destination des élèves de l’établissement. Les échanges avec la municipalité permettent de cibler au plus près les besoins de l’école en matière d’investissements matériels et numériques. Cette implication partagée et mutualisée contribue à créer un climat de travail serein.

Il s’agit, dans un même temps, de pouvoir créer ou consolider des liens sociaux et humains à l’échelle locale. Ces liens passent, entre autres, par la communication aux familles et l’ouverture de l’école et de la classe aux parents lors d’activités diverses. Elles peuvent être pédagogiques comme la participation à des « concours de calcul mental » ou des « twictées » entre parents et élèves mais également culturels comme la présentation de projets numériques et d’activités innovantes. Ce maillage de liens humains à l’échelle locale (parents-élèves-municipalité-enseignants) permet de passer du « complexe scolaire » à « l’assurance scolaire » entre les différents partenaires de cette co-éducation. Cette dernière est une condition à l’émergence d’un environnement - à la fois matériel mais également immatériel - favorisant la réussite de chaque élève.

Penser la globalité

Le projet EcoL@b est avant tout un projet global qui prend en compte un nombre important de variables mais qui les exploitent et les met à la disposition des partenaires de l’école afin d’en construire une identité forte. On pourrait finalement qualifier ce projet comme un écosystème pédagogique.

 

Dernière modification le mardi, 15 mai 2018
Hitier Eric

Enseignant du premier degré dans une école rurale en proche périphérie de Tours depuis 8 ans, titulaire d’un Master Recherche en Esthétique, arts et industries culturelles, (Doctorat en Sociologie de la Culture) Egalement certifié en cinéma et audiovisuel et expert auprès de la Commission Européenne pour le programme Media, de l’agence Education Audiovisuel and Culture Executive Agency.