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Le déconfinement n'a pas encore démarré mais déjà se posent de nombreuses questions sur la suite et notamment la conduite à tenir en cas d'ateliers, diverses structures et municipalités me demandant si je peux organiser des activtés pour occuper les enfants et venir en aide aux enseignants. J'avoue très sincérement que ma première pensée fut un "Gloups ! Comment vais-je faire ?" avant d'examiner le problème sous tous ses angles et proposer des solutions.

Je suis loin d'être le seul dans ce cas et les enseignants sont en première ligne. Force est de constater à la lecture des différents guides émis pour les conduites à tenir en période de confinement que cela ne va pas être simple et que la moindre action, le moindre geste devient vite un casse-tête.

Avant tout va se poser la question de la responsabilité.

Si un enfant ou plusieurs enfants sont infectés bien que nous ayons pris toutes les mesures de prévention possibles, que va-t-il se passer ? Certes des dispositions visent à atténuer quelque peu ce risque, hormis entre autres en cas de mise en danger d'autrui, de négligence ou d'imprudence, mais cela reste à l'appréciation du juge.

En temps normal, il est déjà difficile voire impossible de gérer un groupe d'enfants avec un taux de réussite de 100% alors je doute que la peur du virus annihile complètement des gestes familiers, habituels. Même nous, adultes, sommes susceptibles de faire nombre d'erreurs tout simplement machinalement. Sera ensuite jugé ce qui relève de la néglicence ou de l'imprudence, voire souvent de "la faute à pas de chance", mais je doute que ce dernier concept ait une quelconque possibilité d'existence en matière de justice. On se souvient tristement de "l'affaire de la frite de 2008" où une cliente a attaqué un fast-food pour avoir glissé sur une frite. Certes, l'établissement a depuis été reconnu non coupable mais je doute que qui ce soit actuellement ait envie de se retrouver au coeur d'un procès pour mise en danger de la vie d'autrui, quand bien même toutes les précautions auraient été prises...

Bref, la simple lecture du dispositif à mettre en place pour les récréations à l'école m'a fait penser à un de ces algorithmes que l'on pond après des heures de réflexion en se disant que l'on tient la "solution" avant de se replonger dedans et de laisser tomber. Nul doute qu'il est carré, pensé mais qu'il ne se confronte pas à la variable principale constituée par les enfants. Je ne prétends donc pas pour ma part apporter de solutions miracles mais donner quelques pistes dans un univers où le risque aura faibli et en tablant sur le fait que les enfants (et les adultes) sauront le respecter. Ils en sont capables mais tout comme nous ils sont faillibles.

Je vous propose donc ici ce qui sera ma feuille de route qui mérite certes d'être améliorée au fil du temps et des expériences.

Primo, adoptez le mode "sécurité - parano" ! Il ne s'agit pas d'être pessimiste mais de questionner sans cesse vos décisions. Mon leitmotiv sera la célèbre question "et si ?". Je compte tout planifier au maximum mais le "et si ?" me permettra d'envisager tous les cas de figure possibles et les attitudes à adopter.

Ensuite, pour l'accueil, pas de bonjour à la cantonnade : j'adopte le salut japonais pour donner un semblant de rituel au démarrage. Cela permettra d'initier les enfants à cette méthode pour se dire bonjour et ainsi faciliter la distanciation sociale. Au sol, le chatterton sera mon ami pour réaliser des zones distinctes et établir des parcours dans la salle. Chacun aura en effet son espace privilégié afin de faire respecter la distanciation. Et vous l'aurez deviné : un ordinateur = un enfant.

Ensuite, adoption d'un système tout bête, un peu contraignant au début, mais qui finit par devenir machinal par la suite dans la manipulation des objets : avec ou sans gants (histoire que cela devienne une habitude), la main utilisée habituellement le plus courrament devient la main "saine" et l'autre la main qui peut "prendre des risques". Je l'ai expérimenté durant le confinement. Cela permet d'avoir sans cesse une main apte à ouvrir une porte, prendre une bouteille de gel hydroalcoolique... Le fait de devoir surveiller la main la plus utilisée habituellement selon que l'on est droitier ou gaucher permet de garder le cerveau en alerte et d'éviter des gestes trop machinaux.

Sur le plan du contenu, n'envisagez que des activités simples à gérer et que vous connaissez quasiment par coeur, ceci afin d'éliminer tous les problèmes techniques pouvant survenir et que l'on peut se permettre en temps normal. Cela évite de se retrouver dans des situations inconnues et de faire des erreurs. N'hésitez pas à mâcher quelque peu le travail, idem de manière à éviter des situations complexes à gérer.

De même, ne prévoyez l'utilisation que de ressources faciles à obtenir et ne posant pas de problèmes de sécurité. Adieu la pâte à modeler par exemple car il n'est pas question qu'elle passe de mains en mains... J'ai vu suffisamment de batailles de pâte à modeler pour pouvoir évaluer le risque que cette matière peut faire courir. Et puis une boule de pâte qui traîne, c'est tellement tentant... Que celui ou celle qui a levé la main dans le fond de la salle et m'a rétorqué "Oui, mais avec de la discipline on peut toujours..." veuille bien me dire depuis quand il ou elle n'a pas travaillé avec des enfants. :-)

Mais nous ferons des merveilles avec du papier et du scotch d'aluminium, du carton, du bois de récupération... Pour le reste, ce n'est pas le moment de devoir chercher un plan B, improviser parce que vous n'avez pas tel ou tel produit sous la main. Idem en ce qui concerne les lieux d'accueil : je compte m'informer au maximum de ce dont je dispose sur place sur le plan informatique, mais aussi sur le plan du mobilier, des connexions électriques, de la disposition de la salle, de la présence ou non de lavabos dans la salle ou juste à coté... Je prévois de plus le double de temps d'installation avant que les enfants arrivent et il y aura un maximum de matériel dans mon coffre afin d'être tout à fait autonome.

Prévoyez dans tous les cas et c'est un impératif indispensable un temps de rangement et de décontamination entre chaque groupe si vous accueillez plusieurs groupes à la suite. Comptez large. S'il vous faut 1/4h habituellement, comptez une demi-heure voire plus.

Les règles au niveau des écoles sont strictes : pas plus de 15 enfants par classe.

Pour ma part, je ne prévois pas plus de 10 enfants par atelier afin de ne pas dépasser mes capacités en matériel et en gestion. En temps normal, je revendique un record de 38 enfants gérés seul sans animateur durant toute une après-midi et habituellement une moyenne générale de 15 enfants par atelier mais les circonstances demandent à ce que l'on puisse être dans un cadre très strict facile à gérer. Dix enfants me semblent donc être mon maximum.

Attention ! Quand j'écris "cadre strict", je ne parle que de règles de sécurité. L'objectif de l'atelier reste bien évidemment d'être ludique, créatif, enrichissant et surtout joyeux.

Fini cependant "l'open bar" et la possibilité d'aller chercher soi-même son matériel. Je compte préparer des kits par enfant avec tous les outils et ressources nécessaires. Quant au contenant, j'hésite entre le sac en tissu (mort du virus au bout de 24h sur textile, mais peut être difficile de saisir le matériel à l'intérieur), la boîte en plastique (virus plus tenace sur ce support, mais facilement désinfectable avec un produit), boîtes en carton (virus HS au bout de 24h mais pas désinfectable avec un produit). Je peux difficilement me positionner pour l'instant ne sachant pas comment seront organisés les ateliers, ni quelle sera leur durée. En fonction de ces éléments, je verrai au mieux pour m'organiser. Dans tous les cas, je garde comme impératif de désinfecter les outils utilisés entre chaque atelier, ainsi que les contenants voire de changer les contenants si j'en prévois plusieurs jeux. Chaque outil devra bien évidemment être désinfecté avant toute nouvelle utilisation.

J'évoquais les durées de survie du COVID-19 sur les supports. Voici un petit résumé de ce que j'ai pu glaner au fil de ces dernières semaines :

  • Plastique : 72h
  • Céramique et verre : 5 jours
  • Papier et carton : 24h
  • Cuivre : 4h
  • Acier inoxydable : 72h
  • Alu : 8h

Attendre 72h entre chaque utilisation d'ordinateur ? Difficile... Mais du film plastique à usage unique sur les claviers fera une bonne protection. Cela restreint un peu l'usage du pad mais des souris seront disponibles et systématiquement désinfectées, voire carrément mises sous plastique tout au moins pour le dessus. Idem pour les tablettes si j'en utilise (mais je pense les éviter). Pour la désinfection, la plupart des sites conseillent l'utilisation de produits à base d'alcool pur et de lingettes à usage unique pour leur redonner une virginité.

Des bouteilles de gel hydroalcoolique seront à disposition et, encore mieux, si des lavabos sont proches, nous ne ferons pas l'impasse sur l'utilisation du savon de Marseille à grande échelle. Quid des serviettes pour se sécher les mains ? Sopalin si besoin car je compte sur le beau temps et les températures pour se sécher les mains à l'air libre. Cela m'a toujours fait sourire (mais attristé vis-à-vis de la pollution) quand je vois en été des individus se servir avec une grande énergie de séche-mains ou de serviettes dans les toilettes publiques alors que 30 secondes à l'extérieur suffisent à avoir les mains sèches.

Afin de dédramatiser tout cela, je compte rédiger de manière ludique une mini-charte de conseils pour l'atelier placée à coté de chaque ordinateur. Il y aura aussi des fiches récapitulatives afin de favoriser l'autonomie de l'enfant et de limiter les interactions parce que l'on n'a pas compris ceci ou cela, bien que j'anime l'ensemble de l'atelier et suis à leur entière disposition.

Quid des masques et des gants ? À gérer au cas par cas en fonction de ce qui aura été prévu par les lieux d'accueil. Cela reste la grande inconnue.

Tout cela ne constitue que quelques pistes de base à modifier en fonction des activités, des publics, des lieux d'accueil et de l'évolution de la situation sanitaire. J'en viens même à réfléchir à des activités numériques ou dites déconnectées, pouvant se dérouler en extérieur afin de favoriser la distanciation et de faciliter la gestion des aspects matériels. Cela reste cependant difficile à mettre en place si l'on ne dispose pas d'un véritable espace vert non loin du lieu d'accueil.

Pour finir, on n'oublie pas de décorer pour camoufler le caractère austère de tout cela, ni pourquoi pas de mettre un fond musical pour se détendre. J'ai très souvent constaté que la musique ambient ou celle des jeux vidéo avait un effet apaisant sur les enfants. Et surtout, surtout, j'insiste... On arbore son plus beau sourire car un atelier reste une fête. À circonstances exceptionnelles, procédés exceptionnels mais sourire exceptionnel !

[Article initialement publié sur Upcycle Commons]

Dernière modification le lundi, 06 juillet 2020
Cauche Jean-François

Docteur en Histoire Médiévale et Sciences de l’Information. Consultant-formateur-animateur en usages innovants. Membre du Conseil d'Administration de l'An@é.