Imprimer cette page

La permanence de RIASEC (Test d'aptitude et compétences en ligne) et ADV(Activation du Développement Vocationnel et Personnel) dans l’orientation numérique : enquête sur une persistance surprenante : L’examen des principales plateformes numériques d’orientation révèle une réalité étonnante : des modèles théoriques élaborés entre 1959 et 1974 continuent de structurer massivement les outils contemporains. Une occasion d’examiner les ressorts de cette permanence et ses implications[1].

L’omniprésence discrète : un constat empirique

Dans les plateformes institutionnelles

L’Emploi Store, plateforme centrale de France Travail, intègre le modèle RIASEC dans plusieurs de ses outils principaux. Le « Test d’intérêts professionnels » propose aux utilisateurs de découvrir leur « profil Holland » selon les six types : Réaliste, Investigateur, Artistique, Social, Entreprenant, Conventionnel. Les parcours d’accompagnement s’inspirent directement de la méthode ADVP avec ses quatre étapes caractéristiques : « Explorer ses intérêts », « Cristalliser ses choix », « Spécifier son projet », « Réaliser ses démarches ».

Parcoursup, consulté par 945 500 candidats en 2024 (Ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, 2024), oriente les futurs étudiants vers des questionnaires d’auto-évaluation largement inspirés du RIASEC. Les « attendus » de nombreuses formations reprennent explicitement cette typologie.

Dans l’écosystème privé et associatif

L’analyse de l’écosystème des plateformes d’orientation révèle une standardisation remarquable. Studyrama, l’Etudiant, Imagine ton futur proposent toutes des tests basés sur le modèle Holland, souvent sans le mentionner explicitement. L’observation des pratiques professionnelles suggère une utilisation massive de ces modèles par les conseillers d’orientation, qui structurent fréquemment leurs entretiens selon la méthode ADVP.

Il faut remarquer d’emblée que cette omniprésence contraste avec l’évolution des recherches en psychologie de l’orientation, qui ont largement dépassé ces approches depuis les années 1990.

L’intégration dans les nouveaux dispositifs

L’Accompagnement Intensif des Jeunes (AIJ), qui concerne 154 000 bénéficiaires depuis 2014 (France Travail, 2025), structure ses protocoles selon la méthode ADVP. Les plateformes d’intelligence artificielle récemment développées semblent reproduire ces schémas dans leurs algorithmes, suggérant que les variables utilisées pour les recommandations correspondent largement aux critères RIASEC.

Cette persistance s’observe même dans les dispositifs les plus innovants, preuve que la numérisation ne renouvelle pas nécessairement les approches théoriques.

Les ressorts d’une permanence : explications convergentes

La contrainte technique comme facteur décisif

L’analyse des dispositifs informatiques révèle un élément crucial : RIASEC et ADVP offrent exactement ce que demandent les systèmes numériques. Le modèle Holland propose six catégories discrètes, facilement codables en variables booléennes. La méthode ADVP fournit un processus séquentiel parfaitement compatible avec l’architecture informatique en étapes successives.

Cette facilité d’implémentation explique pourquoi les innovations numériques reconduisent des modèles anciens plutôt que d’explorer des approches plus récentes. L’observation des développements technologiques confirme cette logique : créer un algorithme sur la base de RIASEC s’avère techniquement plus simple qu’intégrer des approches narratives ou constructivistes.

L’inertie institutionnelle et la formation des professionnels

L’examen des programmes de formation révèle une reproduction systémique. Les principales universités maintiennent RIASEC et ADVP au cœur de leurs cursus de psychologie de l’orientation. Cette formation initiale se prolonge par un écosystème commercial puissant : les éditeurs spécialisés publient massivement des ouvrages pratiques basés sur ces approches.

Cette inertie se renforce avec l’arrivée du numérique. Les professionnels formés sur ces modèles trouvent dans les outils numériques une validation de leurs pratiques, créant un cercle auto-entretenu.

L’illusion de scientificité et la demande sociale

RIASEC bénéficie d’un prestige particulier lié à son origine américaine et à ses prétentions psychométriques. Les décennies de recherches qui l’ont accompagné créent une impression de validation scientifique, même si les études récentes nuancent fortement sa pertinence (Nauta, 2010).

Cette légitimité supposée répond à une demande sociale forte : celle de la simplification. Face à la complexité croissante des parcours professionnels, RIASEC offre une grille de lecture rassurante par son caractère définitif. L’observation des usages révèle cette attente : les utilisateurs semblent préférer des résultats « clairs et précis » à des analyses « nuancées mais complexes ».

Les limites révélées par l’usage numérique

Des signaux d’inadéquation

L’examen des pratiques d’usage révèle des failles importantes. L’observation informelle suggère que de nombreux utilisateurs abandonnent les tests RIASEC avant leur finalisation. Plus révélateur encore : parmi ceux qui terminent, une proportion limitée semble consulter effectivement les métiers recommandés.

Ces observations contrastent avec les statistiques de fréquentation globale et suggèrent un décalage entre l’offre technique et les attentes réelles des usagers. Les retours qualitatifs confirment cette hypothèse avec des commentaires récurrents : « Le test ne correspond pas à ma situation », « Les résultats sont trop généraux ».

L’inadéquation aux parcours contemporains

L’analyse des trajectoires professionnelles contemporaines révèle l’obsolescence croissante de ces modèles. Les observations suggèrent qu’une part importante des personnes exercent des métiers qui ne correspondent pas à leur profil RIASEC initial. Cette inadéquation s’accentue avec la multiplication des métiers hybrides et des carrières non-linéaires.

Les nouvelles formes de travail échappent largement à ces catégorisations traditionnelles. Les travailleurs indépendants représentent désormais 12,9% des actifs selon l’INSEE (INSEE, 2024), incluant notamment les « slasheurs » – ces professionnels qui assument simultanément plusieurs métiers. Ces profils questionnent la pertinence de modèles conçus pour des carrières uniques et linéaires.

Malgré ces limites, les outils numériques maintiennent ces références, créant un décalage croissant entre les modèles proposés et les réalités vécues.

Les tentatives d’innovation et leurs obstacles

Les approches alternatives marginalisées

Plusieurs initiatives tentent de dépasser ces modèles historiques. DiagOriente propose une approche par compétences qui s’affranchit partiellement de RIASEC. JobIRL privilégie l’immersion et les témoignages plutôt que les tests de personnalité.

Cependant, ces alternatives peinent à s’imposer face à l’écosystème dominant. Leur audience reste confidentielle comparée aux plateformes institutionnelles. Les financements publics semblent privilégier les solutions « éprouvées » plutôt que les innovations pédagogiques.

Les résistances structurelles

L’analyse des appels d’offres publics révèle des spécifications techniques qui reconduisent implicitement les modèles existants. « Proposer un test de personnalité professionnel », « Structurer un parcours d’orientation en étapes » : autant de formulations qui orientent vers RIASEC et ADVP.

Les institutions de formation résistent également au changement. L’intégration de nouvelles approches nécessiterait de revoir les programmes, former les formateurs, réécrire les manuels. Cette inertie structurelle favorise le maintien des modèles établis.

Face à cette réalité, les innovations se développent plutôt dans des niches sans transformer l’écosystème général.

Vers une coexistence pragmatique

L’examen factuel révèle que la persistance de RIASEC et ADVP ne résulte pas seulement d’un conservatisme intellectuel, mais répond à des contraintes pratiques réelles. Ces modèles offrent un cadre opérationnel pour des professionnels confrontés à des flux massifs d’usagers et des contraintes techniques fortes.

La question n’est peut-être pas de les éliminer mais de les contextualiser et de les compléter. L’émergence d’approches hybrides, qui combinent typologie initiale et approfondissement personnalisé, suggère des voies d’évolution pragmatiques.

L’enjeu porte davantage sur la formation critique des professionnels que sur le remplacement radical des outils. Savoir utiliser RIASEC comme point de départ d’une réflexion plutôt que comme verdict définitif constitue probablement la voie la plus réaliste.

Les observations d’usage montrent que les usagers eux-mêmes développent des stratégies de détournement créatif : utilisation partielle des tests, croisement de plusieurs sources, relativisation des résultats. Cette appropriation critique par les utilisateurs ouvre peut-être la voie à une évolution progressive plutôt qu’à une rupture brutale.

Conclusion

L’investigation révèle que la permanence de RIASEC et ADVP dans l’orientation numérique résulte d’une convergence de facteurs : facilité technique, inertie institutionnelle, demande sociale de simplification. Cette persistance ne constitue ni un complot conservateur ni un hasard, mais l’effet de logiques systémiques identifiables.

Face à cette réalité, deux attitudes s’offrent aux acteurs de l’orientation. La première consiste à dénoncer cette permanence comme archaïsme à combattre. La seconde, plus pragmatique, vise à transformer ces outils en points d’appui pour des démarches plus complexes et personnalisées.

L’analyse des usages suggère que la seconde voie pourrait s’avérer plus féconde. Plutôt que d’opposer ancien et nouveau, il s’agirait de développer une approche critique qui utilise ces modèles sans s’y enfermer. Cette évolution suppose une formation des professionnels qui leur permette de naviguer entre standardisation nécessaire et personnalisation souhaitable.

L’avenir de l’orientation numérique se joue probablement moins dans le remplacement des modèles existants que dans leur dépassement créatif par des praticiens formés à leurs limites autant qu’à leurs apports.

Qu’en pensez-vous ? Vos commentaires sont attendus : https://blog.educpros.fr/bernard-desclaux/2025/07/01/la-permanence-de-riasec-et-advp-dans-lorientation-numerique-enquete-sur-une-persistance-surprenante/

Bernard Desclaux

Références

France Travail. (2025, janvier). Statistiques trimestrielles. https://statistiques.francetravail.org/stmt

Holland, J. L. (1959). A theory of vocational choice. Journal of Counseling Psychology, 6(1), 35-45. https://doi.org/10.1037/h0040767

INSEE. (2024). Une photographie du marché du travail en 2023. Insee Première n°1987. https://www.insee.fr/fr/statistiques/7936590

Ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche. (2024). Bilan Parcoursup 2024. https://www.enseignementsup-recherche.gouv.fr/fr/bilan-parcoursup-2024-des-ameliorations-concretes-qui-

Dernière modification le lundi, 07 juillet 2025
Desclaux Bernard

Conseiller d’orientation depuis 1978 (académie de Créteil puis de Versailles), directeur de CIO à partir de 90, je me suis très vite intéressé à la formation des personnels de l’Education nationale. A partir de la page de mon site ( http://bdesclaux.jimdo.com/qui-suis-je/ ) vous trouverez une bio détaillée ainsi que la liste de mes publications.
J’ai réalisé et organisé de nombreuses formations dans le cadre de la formation continue pour les COP, , les professeurs principaux, les professeurs documentalistes, les chefs d’établissement, ainsi que des formations de formateurs et des formations sur site. Dans le cadre de la formation initiale, depuis la création des IUFM j’ai organisé la formation à l’orientation pour les enseignants dans l’académie de Versailles. Mes supports de formation sont installés sur mon site.
Au début des années 2000 j’ai participé à l’organisation de deux colloques :
  • le colloque de l’AIOSP (association internationale de l’orientation scolaire et professionnelle) en septembre 2001. Edition des actes sous la forme d’un cd-rom.
  • les 75 ans de l’INETOP (Institut national d’étude du travail et d’orientation professionnelle). Edition des actes avec Remy Guerrier n° Hors-série de l’Orientation scolaire et professionnelle, juillet 2005/vol. 34, Actes du colloque : Orientation, passé, présent, avenir, INETOP-CNAM, Paris, 18-20 décembre 2003. Publication dans ce numéro de « Commentaires aux articles extraits des revues BINOP et OSP » pp. 467-490 et les articles sélectionnés, pp. 491-673
Retraité depuis 2008, je poursuis ma collaboration de formateur à l’ESEN (Ecole supérieure de l’éducation nationale) pour la formation des directeurs de CIO, ainsi que ma réflexion sur l’organisation de l’orientation, du système éducatif et des méthodes de formation. Ce blog me permettra de partager ces réflexions à un moment où se préparent de profonds changements dans le domaine de l’orientation en France.
Après avoir vécu et travaillé en région parisienne, je me trouve auprès de ma femme installée depuis plusieurs années près d’Avignon. J’y ai repris une ancienne activité, le sumi-e. J’ai installé mes dernières peintures sur Flikcr à l’adresse suivante : http://www.flickr.com/photos/bdesclaux/ .