Imprimer cette page

D'année en année, la liste des établissements d'enseignement supérieur qui recrutent leurs étudiants désireux d'entrer en première année post bac sur concours se réduit, au profit de procédures de sélection sur dossier, tout particulièrement du dossier Parcoursup. L'année dernière, ce fut par exemple le cas pour l'ensemble des Instituts de formation aux soins infirmiers (IFSI) et nombre d'autres formations aux diplômes paramédicaux et sociaux.

Dernier exemple en date de ce phénomène : la direction de la très prestigieuse Ecole des Sciences politiques de Paris ("Sciences po'") a annoncé le 25 juin 2019 une vaste réforme de sa procédure d'admission en première année, principalement marquée par la suppression du concours à partir de 2021, et son remplacement par un système de sélection sur dossier (Attention : il y aura cette année une double démarche à accomplir pour les candidats à l'IEP de Paris qui devront d'abord faire connaitre leur candidature directement auprès de cet établissement entre le 24 octobre 2029 et le 5 janvier 2020, et procéder de même sur Parcoursup entre mi janvier et fin mars 2020), tenant fortement compte du bilan scolaire et personnel tel qu'il apparait sur les bulletins scolaires des années lycée et des notes obtenues lors des épreuves du baccalauréat, complété par un entretien et par une forte augmentation de la part des places réservées aux candidats boursiers (qui passe de 15 à 30 %).

L'Institut d'études politiques de Bordeaux a annoncé réfléchir à un mode de recrutement de ses étudiants de première année proche de celui que vient d'instaurer Scienecs Po' Paris. Les autres pourraient faire de même mais a un horizon plus lointain. Plusieurs autres formations supérieures sélectives, recrutant traditionnellement leurs étudiants de première année par concours, ont d'ores et déjà pris une décision identique, ou se préparent à le faire. Cela donne le spectacle d'une disparition progressive du mode de sélection sur concours au profit d'un système de tri des candidats sur dossier, a l'instar de ce qui existe très majoritairement dans les pays anglo-saxons. On observe cependant que très fréquemment, les établissements supérieurs qui renoncent à leur concours maintiennent ou ajoutent une épreuve d'entretien.

1. Le concours : une tradition fortement ancrée en France, issue du modèle méritocratique né de la Révolution de 1789.

Jusqu'à la Révolution de 1789, l'accès aux places et emplois publics, et notamment aux "dignités" (les postes hiérarchiquement les plus élevés tels les grands corps d'Etat, civils ou militaires) était essentiellement le fruit de l'appartenance à la noblesse de sang ou de "robe", autrement dit, nettement plus fonction des origines sociales que des capacités individuelles.

En renversant l'ordre ancien, les révolutionnaires eurent immédiatement à coeur de bâtir une nouvelle société au sein de laquelle la distribution des postes (notamment des emplois publics), se ferait non plus selon cette logique de classe, mais en fonction du mérite comparé des prétendants. C'est ainsi que furent inscrits dans la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen publiée le 26 août 1789 deux articles fondamentaux posant le principe méritocratique :

  • Article premier : "Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits. Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l'utilité commune.
  • Article six : "(..) Tous les citoyens étant égaux sont également admissibles à toutes dignités, places et emplois publics, selon leur capacité, et sans autre distinction que celles de leurs vertus et de leurs talents".

Ainsi naquit le modèle méritocratique, qui se voulait être le principe de fonctionnement d'une nouvelle société au sein de laquelle l'accès des citoyens aux études (écoles, grandes écoles, universités ...), ainsi qu'aux divers corps sociaux (institutions civiles ou militaires, entreprises, professions libérales...), ne devait dépendre que du mérite respectif de chacun, évaluable par la capacité à accéder à des diplômes de plus ou moins haut niveau et/ou de réussir divers concours dits "administratifs".

Cet idéal méritocratique s'est alors progressivement imposé, reposant fondamentalement sur deux principes : la mise en place d'un système d'études primaires, secondaires et universitaires gratuites, ainsi que le principe de recrutement par concours à l'entrée des écoles supérieures et universités, ainsi que pour le recrutement des fonctionnaires.

Pourquoi le concours ? Parceque ce système de régulation des flux d'entrée dans l'enseignement supérieur et dans les carrières publiques fut alors considéré comme étant le plus juste, notamment par le fait que chaque candidat y bénéficie d'une garantite d'anonymat, et d'épreuves et règles de classement qui sont strictement les mêmes pour tous.

2. L'émergence du débat sur la justice sociale dans le système éducatif français :

C'est durant les années 1970/1990 que diverses études vinrent mettre en cause les vertus du modèle méritocratique. Nombre de sociologues de l'éducation (Boudon, Baudelot, Establet, Bourdieu ...) firent alors la démonstration que loin d'atteindre ses objectifs d'égalité et de justice, le système scolaire français, malgré ses importantes vertus, ne parvient que très insuffisamment à compenser les écarts dûs aux différences d'origine sociale des élèves et étudiants, voire contribue à amplifier certaines inégalités de départ. A ces études d'origine ont succédé de nombreuses autres plus contemporaines (celles de Agnès Van-Zanten, Marie Dubru-Bellat, Stéphane Béaud...), ainsi que diverses études comparatives internationales (en particulier les périodiques et célèbres enquêtes PISA) qui toutes convergent pour constater que le système éducatif français qui ne parvient pas à compenser globalement les inégalités d'origine, voire  les amplifie.

Sur ce point, nous invitons les lecteurs de cet article à lire un autre article que nous avons mis en ligne sur Linkedin : "Une sociologue dénonce le fait qu'en France, l'orientation scolaire renforcerait les inégalités".

Soucieux de réduire ce phénomène, les Gouvernements français successifs se sont mis à prôner une politique de "discrimination positive" en fixant, pour le passage en première année de l'enseignement supérieur, des "quotas de places réservées" au profit de certaines catégories de lycéens issus de milieux sociaux défavorisés : candidats boursiers, bacheliers professionnels demandeurs d'une admission en filière BTS, bacheliers technologiques candidats à l'admission en IUT, dispositif "meilleurs bacheliers", etc.

Cette façon de procéder a été consacrée par l'introduction des portails APB (admission post bac) et surtout Parcoursup (qui a remplacé APB en 2018), dont les algorithmes respectifs fixant les modalités et critères de classement des candidats à l'entrée dans l'enseignement supérieur ont intégré cette logique des quotas de places réservées à certaines catégories de candidats appartenant à des catégories sociales défavorisées. Le lecteur intéressé par ce thème pourra trouver de très intéressants développements dans un ouvrage écrit par Eric Keslassy ("De la discrimination positive", éditions Bréal, 2016).

3. La mise en cause du système de sélection par concours :

Voulant aller plus loin, certains posèrent la question des modalités mêmes du recrutement des élèves dans les formations sélectives. La sélection sur concours - largement dominante à l'entrée des écoles (de niveau bac + 2/3/4) et grandes écoles (de niveau bac + 5 et plus) à recrutement niveau baccalauréat, ainsi que pour les recrutements d'agents publics - ne serait-elle pas porteuse d'une part de responsabilité du fait que cela revient à classer les candidats en fonction de compétences qui valorisent le "capital culturel" dont sont porteurs les élèves qui appartiennent aux catégories sociales les plus favorisées ?

Rappelons qu'il existe deux grands systèmes de "régulation des flux à l'entrée" de l'enseignement supérieur : celui qui procède sur dossier (donc privilégie l'analyse comparative des parcours scolaires secondaires et des profils personnels de chacun), et celui qui procède sur concours (donc classe les candidats principalement en fonction des résultats obtenus à l'issue d'une série d'épreuves écrites et parfois orales se déroulant en quelques jours en fin de parcours). Comme nous l'avons vu, la croyance "méritocratique" héritée de la Révolution de 1789 porte à considérer que le système de sélection par concours est le plus "juste" puisque garantissant l'anonymat de chaque candidat, et le plaçant en situation d'égalité concernant les épreuves écrites et orales à subir (elles sont les mêmes pour tous les candidats à un concours, ont lieu à un même moment, portent chacune sur un même programme...), et l'évaluation des candidats (par un même jury composé de membres externes par rapport au lycée fréquenté, donc composé de membres qui n'ont préalablement eu aucune relation personnelle avec les prétendants).

Dès le XVIIème siècle, en France, le concours s'installa comme mode largement dominant de recrutement , aussi bien pour les recrutements post baccalauréat à l'entrée des écoles supérieures, ainsi que pour le recrutement dans la fonction publique (les célèbres concours administratifs). Force est de constater que, malgré les fortes critiques que nous avons évoquées dans les lignes précédentes, exprimées principalement à compter des années 1970, ce mode de recrutement perdure largement. Cependant, dans un contexte de forte volonté de réaliser l'idéal d' "égalité des chances" (ou plutôt, pour être quelque peu réaliste, d' égalisation des chances"), des voix de plus en plus nombreuses dénoncent ce système de sélection, le considérant comme étant moins juste qu'il ne paraît, voire lui reprochant d'aggraver les inégalités d'origine.

Les critiques adressées au système de sélection sur concours sont de plusieurs ordres :

  • On lui reproche de comporter comme épreuve(s) principale(s) le délicat exercice de la dissertation, considéré par beaucoup comme favorisant fortement les candidats issus des filières générales de l'enseignement secondaire, appartenant en plus grande proportion à des milieux favorisés, bénéficiant plus que d'autres de ce que le sociologue Bourdieu appelait "le capital culturel" qui donne une plus grande aptitude à réussir ce genre d'exercice.
  • On ajoute le fait qu'il repose sur une série d'épreuves qui se déroulent sur une courte période (le plus souvent en deux à quatre jours), à l'issue d'un long parcours d'enseignement secondaire qui n'est pas ou trop peu pris en compte (sauf  quelques cas exceptionnels qui mixtent sélection sur dossier et sur concours). Aux yeux de certains, cette analyse comparative des candidats à très court terme prive les jurys de la possibilité de le faire dans la durée, donc de façon plus significative, moins soumise aux aléas d'un risque de mauvais état de santé le jour des épreuves, d'un sujet qui favoriserait certains candidats du fait qu'ils l'auraient travaillé à fond quelques jours auparavant, d'une situation émotionnelle qui est susceptible de réduire le potentiel de certains candidats...

4. Pour accroitre la diversité sociale des étudiants recrutés, de plus en plus d'établissements d'enseignement supérieur renoncent au concours ... mais pas à la sélection :

Il y aurait erreur de croire que ces évolutions pourraient conduire à remettre en cause le principe de sélection à l'entrée de certaines formations supérieures. On ne fera jamais entrer 300 candidats dans une formation qui n'offre que cent places ! Ce dont il est question c'est de modifier les modalités de la sélection dans le but de tendre vers une plus grande "égalité des chances". Autrement dit, on vise à améliorer la probabilité de réussite des candidats issus de catégories sociales défavorisées, et non à supprimer le principe de la sélection ! Ainsi, pour reprendre l'exemple de Sciences po' Paris, force est de constater que, malgré les réformes des modalités d'accès introduites il y a quelques années dans le but d'accroître la part des admis issus des CSP (catégories socio-professionnelles) défavorisées, les modalités actuelles de sélection à l'entrée de la première année de cette grande école conduisent à ce que 70% des admis soient des élèves appartenant à des CSP dites "supérieures", alors que ces dernières ne représentent que 18% de la population entière. Il a donc été convenu qu'il fallait aller plus loin et pour cela, il a été décidé de mettre en place, à compter de 2021, un nouveau système de sélection fondé d'une part sur une analyse fine du parcours d'études secondaires de chaque candidat à l'admission dans cette grande école (observé sur trois ans : seconde/première et terminale), mais aussi les résultats obtenus au baccalauréat, la rédaction d'un "essai personnel" (sorte de lettre de motivation enrichie par une présentation de soi), tous critères qui serviront de premier tri. Les admissibles seront ensuite soumis à un oral au cours duquel chaque candidat présentera sa motivation et devra avoir un échange oral avec les membres du jury en se fondant sur un document qui lui aura préalablement présenté.

D'un mode de sélection principalement basé sur le concours, on passe à des modalités de tri des candidats principalement fondées sur l'analyse du contenu d'un dossier. C'est le chemin qu'ont choisi ou se préparent à choisir d'emprunter un nombre croissant d' établissements d'enseignements supérieurs sélectifs qui sélectionnaient ou sélectionnent sur concours. Ils y sont d'autant plus incités que les textes règlementaires en vigueur obligent tous les établissements d'enseignement supérieur à recrutement post baccalauréat de statut public ou reconnus par l'Etat à rejoindre la vaste famille des établissements qui organisent leurs recrutement via la plateforme Parcoursup, par laquelle les classements des candidats à l'admission se font le plus souvent par analyse comparative des dossiers et non sur concours.

5. La sélection sur dossier est-elle réellement plus "juste" ?

Les évolutions que nous venons de présenter se basent sur une forte croyance en la vertu du mode de sélection sur dossier, réputé plus apte à obtenir une importante égalisation des chances au profit des candidats issus des catégories socio-professionnelles les moins favorisées. Force est de constater que cela n'est pas garanti. Nombreux sont ceux qui font observer qu'on peut considérer que la ou les épreuves orales qui composeront le nouveau dispositif de sélection sera (seront) également plus favorable(s) aux candidats issus des milieux sociaux les plus favorisés, l'art du "bien parler" y étant nettement plus répandu.

En d'autres termes, les épreuves orales sont elles aussi porteuses de biais sociaux et donc discriminantes. Prenons cependant en compte le fait que dans la réforme du lycée et du baccalauréat apparaît une formation conduisant à une épreuve nouvelle dite de "grand oral", qui devrait en partie compenser ces écarts d'origine sociale. En outre, la où les épreuves orales ne pèseront le plus souvent que minoritairement par rapport à l'analyse comparative des dossiers des candidats, donc de leur bilan scolaire et personnel évalué dans la durée. Et surtout, la sélection sur dossier présente l'avantage de sélectionner les candidats en se fondant beaucoup moins sur le mérite académique (qui est fortement fonction du niveau socio-économique de la famille), au profit d'une plus grande prise en compte des éléments composants de la personnalité de chaque candidat et tout ce qui est de l'ordre de son développement personnel.

6. Quel avenir pour les concours de niveaux bac + 2/3 et les classes préparatoires ?

  • Les concours de niveau "bac + 2/3" subiront-ils le même sort ?

Sauf exception, cette évolution ne concerne que les procédures de sélection post classe terminale de l'enseignement secondaire. Les concours de niveau "bac + 2/3", ceux qui permettent de réguler les flux d'entrée dans un grand nombre de grandes écoles de deuxième cycle, ne semblent pour le moment pas être menacés d'être à leur tour remplacés par un mode de sélection sur dossier. Mais il est permis de s'interroger sur l'avenir de ce système de sélection à ce niveau d'études supérieures.

Notons d'abord que dans les universités, les admissions dans diverses formations sélectives de deuxième cycle se font non sur concours mais sur dossier. C'est également le cas pour une minorité de grandes écoles. De plus, en se fondant sur les mêmes arguments que ceux qui ont conduit au remplacement de la sélection sur concours par un mode de tri des candidats sur dossier pour le niveau "post bac ", il est désormais connu que plusieurs grandes écoles s'interrogent. Certaines d'entre elles se préparent à un tel changement. Cependant, ces dernières sont pour le moment très minoritaires.

  • Quel avenir pour les classes préparatoires ?

Il nous semble nécessaire de bien distinguer deux types de classes préparatoires : celles qui conduisent aux concours de niveau "bac + 2", et celles qui sont centrées sur les concours "post bac". Les premières ne sont pour le moment pas menacées puisque les concours demeurent très majoritairement à ce niveau d'études. Des évolutions sont certes attendues, notamment en vue d'améliorer la part des admis issus de CSP modestes, mais il n'y a pour le moment pas de menace majeure les concernant. Il en va tout autrement pour les "prépas aux concours post bac" : du fait de l'effacement progressif des concours, beaucoup ont d'ores de déjà disparu où se préparent a le faire. Quelques-unes s'efforcent de perdurer en se transformant profondément : la sélection sur dossier comporte une ou plusieurs épreuves orales qui peuvent faire l'objet d'une préparation spécifique. Rien cependant de comparable aux besoins des candidats à des concours traditionnels.

7. Vers un plus grand encadrement des évaluations des élèves dans les établissements secondaires

Une des conséquences de cette évolution est que de plus en plus nombreux sont ceux qui s'interrogent sur la liberté d'évaluation des élèves par les enseignants. Comme chacun sait ou peut le constater, les pratiques évaluatives ne sont pas les mêmes d'un lycée à un autre : certains d'entre eux sont connus pour se montrer plus ou moins fortement sévères (les lycées qualifiés de "sélectifs"), quand d'autres ont une politique d'évaluation des élèves plus encourageante, voire laxiste (les lycées dits "accompagnateurs"). Nombre d'entre eux sont dans une position intermédiaire entre ces deux positions extrêmes. Chacun sait qu'une moyenne de 8/20 obtenue dans tel établissement peut correspondre à un 13/20 dans tel autre. Tant que la sélection à l'entrée de l'enseignement supérieur se faisait principalement sur concours, ces écarts n'avaient guère d'importance, les compteurs étant en quelque sorte "remis à zéro". Mais dès lors que les modalités de sélection sur concours s'effacent au profit du tri des candidats sur dossier, ces écarts introduisent un biais que de plus en plus nombreuses personnes dénoncent.

La sélection sur dossier repose en effet très fortement sur les bulletins de notes et appréciations qualitatives obtenues par chaque élève au sein de son lycée. De plus, la réforme du baccalauréat augmente le poids des notes obtenues lors de cet examen dans la mesure où les deux épreuves écrites correspondant aux deux enseignements de spécialité se dérouleront au printemps et non en juin et pourront donc probablement figurer dans le dossier Parcoursup, mais aussi du fait qu'il sera désormais possible de prendre en compte une importante partie des notes et appréciations obtenues dans le cadre du contrôle en cours de formation qui représentera désormais 40% de l'évaluation globale. Concrètement, cela signifie qu'en remplaçant progressivement la sélection par concours par celle qui procède sur dossier, le poids de l'évaluation interne aux établissements devient prééminent, suscitant chez beaucoup - en particulier les familles dont les enfants sont scolarisés dans des établissements "sélectifs", dont les pratiques d'évaluation peuvent être qualifiées de "sévères" - un sentiment d'inégalité de situation.

Nul doute que cela conduise un nombre croissant d'acteurs du système éducatif à s'interroger sur la nécessité de plus encadrer les pratiques d'évaluation des élèves au sein des établissements. Pour avoir l'occasion de visiter plusieurs dizaines de lycées chaque année, je ne puis que témoigner d'une volonté croissante des équipes de direction de mettre en œuvre une véritable politique en ce domaine. C'est cependant un sujet très sensible, une large majorité d'enseignants considérant que leurs pratiques d'évaluation interne des élèves constituent une de leurs dernières "libertés". Ils sont largement majoritaires à ne pas souhaiter qu'on les soumette à un plus grand contrôle, et encore moins qu'on les encadre par des pratiques d'harmonisation. C'est donc un sujet très sensible, véritable "patate chaude" qui ne sera pas facile à prendre en main.

C'est pourquoi, sans plus attendre, il est désormais connu qu'un nombre croissant d'établissements d'enseignement supérieur ont d'ores et déjà décidé de prendre en compte cette évolution en introduisant dans leurs algorithmes locaux des systèmes de pondération des notes et appréciations qualitatives selon le lycée d'origine. Rappelons à ce sujet que désormais, tous les candidats à l'admission dans l'enseignement supérieur par le portail Parcoursup sont classés, que la formation demandée soit sélective ou pas. Pour établir ces classements, la plupart des établissements ont élaboré des algorithmes locaux dans lesquels il est possible d'introduire un tel système de pondération, qui revient ni plus ni moins qu'à modifier les notes et appréciations qualitatives en fonction de la réputation du lycée d'origine et de ses pratiques en matière d'évaluation des élèves.

De telles pratiques ne vont cependant pas de soi : rappelons qu'il y a un an le "Défenseur des droits", saisi par plusieurs syndicats lycéens et certaines associations de parents d'élèves, avait émis l'avis qu'il y a matière à considérer que cela peut s'assimiler à des pratiques discriminatoires. . Il a émis un avis (son pouvoir n'est que consultatif) demandant à la Ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche de supprimer toute mention du lycée d'origine dans les dossiers Parcoursup que reçoivent les établissements supérieurs recruteurs. A cette date, cette demande d' "anonymiser" ainsi les dossiers n'a pas été suivie d'effet et tout donne à penser qu'elle ne le sera pas pour la version 2020 de Parcoursup. Le problème demeure donc entier.

Conclusion :

Indeniablement, les efforts accomplis ces vingt dernières années en vue d'améliorer la part des élèves appartenant aux catégories socio-professionnelles les moins favorisées parvenant à entrer dans les formations supérieures sélectives, et tout particulièrement dans les plus réputées d'entre elles, ont produit des effets positifs. Ils sont cependant considérés comme insuffisants, ce qui conduit à mettre en œuvre une politique plus volontariste que jusque là, fondée d'une part sur une augmentation significative des quotas de places réservées aux candidats boursiers et à certaines catégories de bacheliers (le dispositif "meilleurs bacheliers", les quotas des places réservées aux bacheliers professionnels en STS, aux bacheliersm technologiques en IUT), d'autre part sur une profonde refonte des procédures de sélection en remplaçant progressivement les concours (et donc la prééminence des épreuves écrites) par une analyse comparative des dossiers des candidats et un ou plusieurs entretiens.

On s'étonne cependant qu'un tel volontarisme ne concerne presque exclusivement que les inégalités socio-économiques, laissant de côté une autre forme d'inégalité : celle liée au sexe des candidat(e)s. Il y a bien longtemps que des études peu contestables mettent en lumière le fait que la part des femmes qui parviennent à accéder aux études supérieurs sélectives de haut niveau est significativement inférieure à celle des hommes. Puisqu'on a décidé de faire de la "discrimination positive" en fixant des taux de places réservées aux boursiers et à certaines catégories de bacheliers, pourquoi ne ferait-on pas de même au profit des femmes ? Certains trouveront sans doute que je pousse le bouchon trop loin, mais en quoi une telle politique serait-elle plus critiquable que celle de ces établissements d'enseignement supérieur qui envisagent d'octroyer des points de bonus aux candidats à certains concours issus de catégories socio-professionnelles défavorisées ? Et pourquoi pas des points de "malus" pour les candidats issus de milieux favorisés ?

Il nous semble qu'il existe en France une tendance croissante à user de modalités qui, sous prétexte de tendre vers une "égalisation des chances" au profit des plus défavorisés,  est de nature à créer une nouvelle forme de discrimination en défaveur des familles dites "favorisées". Ce serait la fin du modèle méritocratique hérité de la Révolution française. Est-on bien conscient de ce phénomène ? Est-ce bien ce que nous voulons ? 

 Bruno MAGLIULO - Inspecteur d'académie honoraire

 https://www.linkedin.com/pulse/s%25C3%25A9lection-post-bac-vers-la-fin-des-concours-quelles-sur-magliulo/

Dernière modification le jeudi, 07 novembre 2019
Magliulo Bruno

Inspecteur d’académie honoraire -Agrégé de sciences économiques et sociales - Docteur en sociologie de l’éducation - Formateur/conférencier -

(brunomagliulo@gmail.com)

Auteur, dans la collection L’Etudiant (diffusion par les éditions de l’Opportun : www.editionsopportun.com ) :

  • SOS Parcoursup
  • Parcoursup : les 50 questions que vous devez absolument vous poser avant de choisir votre orientation post baccalauréat
  • Quelles études (supérieures) sont vraiment faites pour vous ?
  • SOS Le nouveau lycée (avec en particulier toute une partie consacrée aux liens entre les choix d’enseignements de spécialité et d’option facultative, et le règles de passage dans le supérieur)
  • Aux éditions Fabert : Les grandes écoles : une fabrique des meilleurs, mode d’emploi pour y accéder

Profil LinkedIn