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L’écosystème numérique, au-delà des déploiements techniques, par les réseaux d’écosystèmes collaboratifs humains en pleine croissance, tant en France qu’à travers le monde,  fonctionne 24 heures sur 24 avec des systèmes et des applications de plus en plus adaptées aux modes de vie et des mobilités. Existe-t-il des usages différents selon les territoires et les milieux sociaux ? Comment répondre aux contradictions d’un monde de plus en plus complexe et incertain ? Lorsqu’on s’interroge, certaines paroles de sociologues, prospectivistes et scientifiques peuvent contribuer à conforter ou à modifier les angles de vue.

Usage populaire d’Internet, administration et information

Ainsi, Hubert Guillaud dans son article récent sur InternetActu  :  L’internet des familles modestes : les usages sont-ils les mêmes du haut au bas de l’échelle sociale ?,  fait écho de l’enquête réalisée par la sociologue Dominique Pasquier dans son livre, L’internet des familles modestes en s’intéressant aux transformations des univers populaires par le prisme des usages et des pratiques d’internet.

InternetActu.net : Existe-t-il un usage populaire d’internet ? Quelles sont les caractéristiques d’un internet des familles modestes ?

Dominique Pasquier : Il n’a pas de caractéristique particulière. C’est un usage comme les autres en fait, avec quelques poches de spécificités, et c’est finalement ce qui est le plus surprenant. Parmi ces spécificités – qu’il faudrait valider en enquêtant plus avant sur des familles plus pourvues en revenus et en capital culturel -, il y a le refus d’utiliser le mail ou l’obligation de transparence des pratiques entre les membres de la famille, mais qui existent peut-être sous une forme ou une autre dans d’autres milieux sociaux. Le plus étonnant finalement, c’est de constater que pour des gens qui se sont équipés sur le tard, combien ces usages sont devenus aisés et rituels. Je m’attendais à trouver plus de difficultés, plus d’angoisses… Mais cela n’a pas été le cas. Les familles modestes se sont emparées d’internet à toute vitesse. Ils font certes des usages plutôt utilitaristes de ces outils polymorphes. Ils ont peu de pratiques créatives. Participent peu. Mais n’en ont pas particulièrement besoin. L’outil s’est glissé dans leurs pratiques quotidiennes, d’une manière très pragmatique. Les gens ont de bonnes raisons de faire ce qu’ils font de la manière dont ils le font.

InternetActu.net : Les témoignages que vous rapportez montrent une grande hétérogénéité d’usage. Mais ce qui marque, c’est de voir que pour ces publics, internet semble avant tout un outil d’accomplissement personnel, une seconde école. Il les aide à mieux se repérer dans l’information, à être plus ouverts, à élargir leur champ de compétences…

Dominique Pasquier : Oui, internet est une seconde école. Et ce constat n’est pas sans vertus pour des populations qui bien souvent ne sont pas allées à l’école ou qui n’ont pas le bac. Internet leur propose des manières d’apprendre qui leur correspondent mieux, sans hiérarchie ni sanction. On pourrait croire par exemple qu’en matière d’information ils ne recherchent pas des choses importantes, mais si. Ils cherchent à comprendre les termes qu’emploient le professeur de leurs enfants ou le médecin qu’ils consultent. Quelque chose s’est ouvert. L’enjeu n’est pas pour eux de devenir experts à la place des experts, mais de parvenir à mieux argumenter ou à poser des questions. D’être mieux armés.

Cependant Si internet permet de s’informer et de se former (via les tutoriels, très consommés pour progresser notamment dans ses passions), le public de mon enquête ne s’intéresse pas du tout à l’actualité. Il ne consulte pas la presse nationale. L’actualité demeure celle que propose la presse locale et la télévision. Ce manque d’ouverture est certainement lié aux territoires d’enquêtes. Pour les ruraux, l’information nationale ou internationale semble très loin. Dans ce domaine, la possibilité qu’ouvre l’internet n’est pas saisie. La consommation télévisuelle reste très forte.

Vous évoquez notamment la difficulté à utiliser certaines ressources dans le cadre professionnel ou dans la relation administrative. Quelles sont ces difficultés et pourquoi persistent-elles selon vous ?

Dominique Pasquier : Dans leurs services en ligne, les administrations de la République sont lamentables. On ne met pas assez d’argent dans l’ergonomie, dans les tests usagers… pour des gens dont les budgets se jouent à 100 euros près et où le moindre remboursement qui ne vient pas est un drame. La dématérialisation de l’administration est inhumaine et brutale. Les familles modestes utilisent peu le mail. Leurs adresses servent principalement aux achats et aux relations avec les administrations. Mais les courriers de l’administration se perdent dans le spam qu’ils reçoivent des sites d’achat. Pour eux, le mail est un instrument de torture et ce d’autant plus qu’il est l’outil de l’injonction administrative. Les gens ont l’impression d’être maltraités par les administrations, à l’image de cet homme que j’ai rencontré, noyé dans ses démêlés avec Pôle emploi, en difficulté dans toutes ses démarches.

Les usagers ne sont pas contre la dématérialisation pourtant, le public que j’ai rencontré utilise quotidiennement les applications bancaires par exemple, matins et soirs. Ils n’ont pas de mal à gérer leurs factures en ligne. Mais les relations avec les institutions sociales, en ligne, sont particulièrement difficiles.

InternetActu.net : Vous notez dans votre livre que les familles modestes ont un rapport très distant avec l’information (notamment nationale), mais pas avec les causes. « Ceux qui parlent frontalement de politique le font de façon sporadique ». La politique n’est présente que sous une forme polémique, très liée à la crise du marché du travail. Pourquoi ?

Dominique Pasquier : Ce public ne s’informe pas. Beaucoup de rumeurs circulent et s’engouffrent sur des peurs. Les dépenses somptuaires ne les étonnent pas. Les rumeurs sur les fraudeurs et paresseux non plus. J’ai enquêté dans une région où l’émigration est peu présente, mais où le fantasme de l’émigré assisté est omniprésent. La hantise sociale est forte et est à relier à la crise du marché du travail, qui fait que ces familles semblent toujours sur le point de basculer dans la précarité.

Ainsi, Éric Scherer, Directeur de la prospective sur France Télévisions, pose cette question à propos des pratiques informationnelles :

« Et si finalement, les citoyens, fatigués de réalités parallèles inconnues ou complexes, submergés par les images et les sons, saturés de mauvaises nouvelles, tournaient le dos à une information perçue comme lointaine, partiale, et jugée de moins en moins pertinente ? Au pire moment, en plus : celui où les mouvements extrémistes font l’agenda, celui où les démocraties sont hackées par la désinformation.

Face à un monde de plus en plus complexe et incertain, les gens se replient dans leur bulle. C’est le sacre de la vie privée, nouvelle zone prioritaire à défendre et cœur de la vie sociale. Isolés, ils ne se préoccupent plus que d’eux-mêmes et se déplacent moins. Enfermés dans leurs podcasts, ils attendent, chez eux, leur colis Amazon et ils « bingewatchent » les séries Netflix. Même caricaturale, la description sonne vrai. »

Les lois modifient-elles les habitudes ?

Nous savons bien que cela n’est pas aussi simple, aussi « légitimes » soient-elles si j’ose dire. Exemple : Violence éducative ordinaire…La loi va-t-elle changer les rapports de violence que certains pratiquent et justifient ? D’où l’indispensable accompagnement de la loi et de ses applications…en premier lieu par la pédagogie, la valeur de l’exemple, les actions citoyennes,  en priorité avant les sanctions.

Colères, guérillas urbaines, assassinats, agressions et violences faites sur les enfants, les femmes, mouvements politiques violents…Démocraties fragilisées…Quelles images offrons-nous ?

Rien de nouveau, hélas,  mais un flot ininterrompu d’images violentes, d’incohérences entre les discours et les réalités brouillent la crédibilité de tout pouvoir. Ainsi la lutte contre le réchauffement climatique et la place de la voiture par exemple, dans le déplacement démontre toutes les incompréhensions, les impossibilités actuelles de concilier les enjeux collectifs et les besoins particuliers que nous avons-nous-mêmes créés…

Le travail est immense, essentiel, et obligatoire. Comment les éducateurs agissent-ils ?

"La création de la République s’est appuyée sur l’école, la réalité du numérique doit pouvoir s’appuyer sur la République et ses valeurs pour inspirer l’école". Marcel Desvergne

Cependant,  "le paradigme cognitif, informationnel et social du fait numérique, risquent de bouleverser pour un bon moment encore l’acte d’enseigner" . Michel Guillou

Se retrouver, proposer, partager, innover…Partout des occasions sont offertes à condition que cela ne reste pas au sein des communautés d’initiés.

Invité de prestige du troisième Big Bang Santé du Figaro, qui a eu lieu le 18 octobre à la Maison de la Chimie,  le paléontologue Yves Coppens, professeur au Collège de France, a évoqué la modernité à la lumière de l'homo sapiens.

« La préhistoire nous donne une petite leçon : l'innovation précède toujours le changement du comportement. Il y a toujours un moment d'inertie avant que l'homme ne s'adapte aux innovations».

Et en conclusion de ce troisième événement, le prospectiviste  Joël de Rosnay " a esquissé de façon audacieuse sa vision de l'avenir à long terme ".

" Quel monde nous attend en 2500 ? Joël de Rosnay, conseiller du président d'Universcience et président de Biotics International, a relevé avec brio le 18 octobre dernier le défi que lui a lancé Jacques-Olivier Martin, directeur éditorial du Big Bang Santé: imaginer ce qui attend l'humanité au cours des cinq prochains siècles, en conclusion de cette journée de prospective. Le futurologue anticipe que les laboratoires pharmaceutiques ne se contenteront plus de vendre des traitements. Ils mettront en place des «programmes de maintenance» de notre santé pour prévenir et guérir toutes nos maladies. Un peu à l'image du contrat de maintenance qui protège aujourd'hui votre voiture…

La connexion entre intelligences artificielle et humaine donnera naissance à «un immense réseau neuronal», «un cerveau planétaire» doté d'une créativité immense. On pense au film «Ready Player One» de Steven Spielberg. «La traduction automatique nous permettra de communiquer avec les abeilles, les fourmis et même les plantes grâce à l'émission d'odeurs par exemple» poursuit le prospectiviste. Une vision somme toute très optimiste de notre avenir."

Revenons en 2018 !

Garder une vision optimiste du monde, co-construire ensemble, co-éduquer, déployer toute la créativité des citoyens, associer une vision systémique àdes actions concrètes, dans tous les territoires, ces démarches se multiplient.

Commençons par l’événement de la semaine prochaine : le Salon de l’Education, à Educatice, à Paris, Porte de Versailles, les 21, 22 et 23 novembre et observons…Le programme est riche, de multiples occasions de découverte et de partage sont offertes. La parole de tous les acteurs sera présente, à entendre, à débattre, à mettre en relation, à articuler avec les actions et innovations.

L’An@é aussi sera présente et Educavox fera écho de nos rencontres !

 

Articles et sources en référence

https://www.educavox.fr/alaune/l-internet-des-familles-modestes-les-usages-sont-ils-les-memes-du-haut-au-bas-de-l-echelle-sociale

https://www.educavox.fr/accueil/debats/comprendre-la-societe-numerique-mondiale

https://www.educavox.fr/accueil/debats/du-bon-usage-du-numerique-un-sujet-d-adultes-desempares

https://www.educavox.fr/toutes-les-breves/eric-scherer-bientot-l-ere-post-news

https://www.educavox.fr/edito/vacances-scolaires-certes-mais-pas-pour-le-numerique

http://www.lefigaro.fr/actualite-france/2018/11/10/01016-20181110ARTFIG00005-le-monde-en-2500-selon-joel-de-rosnay.php

https://www.educavox.fr/edito/pourquoi-s-interesser-aux-territoires-ruraux

https://www.educavox.fr/formation/analyse/a-propos-de-l-usage-des-objets-connectes-dans-l-etablissement-scolaire

 

Dernière modification le lundi, 26 novembre 2018
Laurissergues Michelle

Présidente et fondatrice de l’An@é, co-fondatrice d'Educavox et responsable éditoriale.