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Le flux à deux temps de l’apprentissage
Si l’autoformation, l’alphabétisation numérique et l’apprentissage tout au long de la vie constituent des courants majeurs de pensées éducatives, il y a lieu de se demander dans quelle mesure, comme éducateurs, nous savons mettre en place des scénarios pédagogiques conséquents. Dans un milieu scolaire où se côtoient des gens de diverses générations et d’origines culturelles variées, nous nous demandons également si ces systèmes éducatifs plus ouverts ne favoriseraient pas justement la création de ponts interculturels et intergénérationnels dans une perspective d’apprentissage relationnel en continu. Une telle approche nous semble indispensable dans un monde de plus en plus petit grâce, notamment, à l’explosion des médias sociaux.
 
Pour alimenter cette réflexion, nous (sur la photo : Rachel Malo et Luc Renaud) nous inspirerons de trois expériences vécues, soit : 1) le comportement de futurs enseignants inscrits à un programme universitaire de formation initiale des maîtres, 2) une clientèle composée d’adultes immigrants aux prises avec la nécessité de l’intégration socioculturelle et professionnelle dans une société d’accueil et 3) nos efforts en vue de tirer profit du contexte scolaire pour briser le mur des solitudes entre de jeunes étudiants adultes et des immigrants, par le biais notamment de la visioconférence.
 
 
1- Les jeunes concepteurs de scénarios TIC et l’apprentissage… à l’autoformation
De nombreux rapports de mise à l’essai de scénarios pédagogiques m’ont démontré il y a longtemps que de futurs enseignants, réfractaires à l’usage des TIC, adoptaient une attitude radicalement opposée après avoir vécu leurs projets en situation de classe réelle. Leur émerveillement venait d’intéressants constats : les élèves visés démontraient beaucoup d’excitation au cours des projets, et semblaient faire preuve davantage d’attention pour la matière scolaire. De plus, les projets menés revêtaient vraisemblablement, pour plusieurs, les attraits de la nouveauté : diversification des stratégies d’enseignement, introduction de la technologie, présence sporadique de nouveaux intervenants, etc.
 
Ainsi, la valeur rajoutée des scénarios éducatifs porterait principalement sur la recherche d’une plus grande motivation chez les enfants, et non sur les valeurs éducatives énumérées au début de cet article ; ce qui serait plutôt représentatif d’une clientèle elle-même encore en plein processus d’acquisition de stratégies en autoformation. Quoique complexes et plutôt rares dans la banque de projets soumis par l’ensemble de ces futurs enseignants, les scénarios de jumelage de classe suscitaient beaucoup d’intérêt à la fois chez leurs concepteurs et leur jeune clientèle, la question de l’expérience interculturelle et de contact à l’international revêtant une dimension magique.L’expérience met ainsi en évidence l’existence chez eux de l’ouverture nécessaire à une écoute efficace des propos de gens venant d’ailleurs.
 
Il convient alors de se demander si les jeunes feraient preuve de cette même ouverture en présence de camarades aînés de cultures diverses et en quoi consisterait une stratégie de type gagnant-gagnant dans un projet de jumelage entre le monde des jeunes, étudiants du réseau régulier d’un cégep ou d’une université et des moins jeunes, inscrits dans des programmes de formation aux adultes.
 
 
2- Des adultes autonomes en quête d’intégration et de réseautage
 
 
Il est clair que l’adulte immigrant devra déployer beaucoup d’efforts afin de trouver sa place dans la nouvelle société d’accueil. Il devra ainsi adapter les connaissances reliées à son domaine d’activité professionnel et possiblement les actualiser pour les rendre plus accessibles dans son nouveau pays, et cela en continu, tout au long de sa vie. Plusieurs se retrouvent dans l’obligation d’apprendre une nouvelle langue. En matière d’autoformation, la démarche de l’immigrant nous semble particulièrement active et représentative de l’usage d’un grand éventail de stratégies d’apprentissage. Il est possible d’y voir une combinaison d’apprentissages formels et informels, une mobilisation de ses compétences pour l’atteinte de buts personnels, etc.
 
C’est justement sur cette base que l’élaboration de scénarios de jumelage avec des membres de la société d’accueil, de tous âges, répond à un besoin. Le réseautage sera d’une importance certaine au nouvel arrivant, qui y verra une source très riche à exploiter grâce à l’usage des technologies. Il devra aussi, toujours dans un désir d’autoformation, se renseigner sur les valeurs importantes de son pays d’accueil, afin de se les approprier et d’améliorer sa participation à la vie active mais aussi et surtout rendre celle-ci plus captivante. Question pratique, il nous semble clair que l’usage des outils du Web 2.0 peut servir à l’établissement de liens interpersonnels et professionnels.
 
Mais en quoi les aînés et les jeunes peuvent-ils se rejoindre ? Notons, d’une part, que plusieurs immigrants sont parents de jeunes qui fréquentent eux-mêmes le réseau scolaire régulier. Le contact avec de jeunes locuteurs natifs leur offrirait ainsi le double avantage de mieux connaître le nouveau monde de leurs propres enfants et celui d’échanges plus réguliers en langue cible en contexte authentique. Au risque d’en surprendre plusieurs, notre expérience nous révèle qu’il existe peu de différence entre les deux clientèles en ce qui concerne leur intérêt pour l’usage des TIC. Une certaine uniformisation en matière de culture informatique entre la génération C et ses ainés constituerait, par ailleurs, une base commune pour assurer une communication efficace. De leur côté, les jeunes bénéficieraient d’informations intéressantes à plusieurs niveaux : expériences de vie, tourisme, actualité internationale réaliste ; c’est-à-dire dans certains cas livrée par des gens qui sont des témoins directs des événements, etc. Bref, ils vivraient une expérience de nature journalistique des plus enrichissantes.
 
 
3- Le flux à deux temps de l’apprentissage ou la construction d’un monde inclusif par la relation interculturelle et intergénérationnelle, la réflexion sur la pratique et le Web 2.0 
 
 
Nous nous garderons bien de prendre au pied de la lettre le cliché Si jeunesse savait et si vieillesse pouvait, mais nous croyons que l’établissement de liens de nature interculturelle et intergénérationnelle entre de jeunes adultes et des immigrants contribuerait de façon notoire à la création d’un monde plus inclusif, grâce à la croissance personnelle et à l’enrichissement culturel mutuel provenant de la communication. Dans ce contexte, nous voyons d’un bon œil le développement de scénarios éducatifs qui permettent des échanges réguliers ; ce qui implique, si possible, des rencontres en présentiel (dans un café, par exemple), mais aussi l’usage régulier des médias sociaux et des outils de visioconférence.
 
Alors que le jumelage par les TIC facilite la rencontre, les échanges, voire l’apprivoisement des personnes des deux mondes, de bonnes habiletés cognitives, la réflexion sur la pratique et la tenue d’une relation suffisamment longue pousseraient la relation interculturelle et intergénérationnelle à de nouveaux sommets. Grâce à ce flux à deux temps de l’apprentissage, gens d’ici et gens d’ailleurs ne formeraient plus qu’un seul monde, largement inspiré de l’autoformation et de l’usage des TIC dans un processus d’apprentissage tout au long de la vie.
 
 
Conclusion
 
 
Parler d’unir de jeunes étudiants de réseau régulier d’un cégep ou d’une université et des adultes immigrants peut constituer un défi important dans la mesure où nous faisons face à une situation potentielle de fossé des générations, de barrière de la langue et de solitudes culturelles. Si, par ailleurs, l’un des deux groupes est souvent en plein apprentissage sur le plan de stratégies en autoformation ; l’autre exerce souvent les siennes afin de mieux s’intégrer à la société d’accueil. Nous croyons que l’élaboration de scénarios de communication éducative, incluant des modes de rencontre en présentiel et en distanciel, peut contribuer non seulement à une meilleure harmonisation des deux mondes, mais aussi à inscrire chez les participants la communication interculturelle et intergénérationnelle dans un contexte d’autoformation et d’apprentissage tout au long de la vie. Voilà pour nous des bases psychosociologiques et éducatives des plus motivantes, qui orientent nos efforts d’élaboration de scénarios éducatifs TICÉ.
 
Texte : Luc Renaud, M.A. Sciences de l’éducation, technopédagogie
Collaboration : Rachel Malo, professeure de français langue seconde, spécialiste en évaluation et en linguistique
Photo : Luis Alfredo Rodriguez Martinez
Renaud Luc

Luc Renaud est spécialisé en technologie éducationnelle et enseigne le français langue seconde depuis plusieurs années auprès d’une clientèle adulte immigrante. Détenteur d’une maitrise en éducation, il a aussi été chargé de cours à l’Université de Montréal dans le domaine de l’intégration pédagogique des TIC, et a participé à des projets de recherche portant sur la formule hybride et le socioconstructivisme. Il possède également une solide expertise en développement et expérimentation de formations en ligne et s’intéresse vivement à la collaboration internationale. 
Mal à l’aise dans le milieu scolaire, il croit à une remise en question continuelle de l’école ; il tient d’ailleurs un blogue, L’éduc-acteur, le Blogue de Luc Renaud, sur des thèmes variés, qui mettent de l’avant l’importance de l’autoformation.
Il est aussi entrepreneur, ayant démarré récemment une entreprise de consultant en technologie éducationnelle, La boîte à idées E.T.L.R. Ideas Boxdans la région de Montréal.


Montréal, Québec (Canada)