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Poursuivons[1] nos remarques au rapport concernant les PsyEn EDO[2]. Nous nous centrerons sur le CIO et son directeur dans un prochain post. Le présent portera sur l’évolution des conceptions de l’orientation et de sa place au sein de l’Éducation nationale.

Mais que faire des conseillers d’orientation ?

J-P Bellier, l’IGEN porteur de la création du corps unique de psychologue de l’Éducation nationale s’est exprimé dans une tribune[3] à propos du rapport sur les PsyEn EDO.

Il « devrait être reçu comme un heureux évènement par la profession tout entière. L’analyse sans concession qu’il propose des raisons des tensions dont ils sont l’objet depuis leur existence constitue un pavé dans la mare qui fera date […] » Oui, sûrement, mais cette « mare » n’est pas le fait de la création du corps unique de Psychologue de l’Éducation nationale. L’intégration des centres et de leurs personnels fut toujours une question au sein de l’Éducation nationale.

Jusqu’en 1959, ces personnels sont rattachés à l’enseignement technique et leur champ de pertinence est l’apprentissage. L’enseignement technique étant totalement rattaché alors à l’Éducation nationale, les personnels de l’OP le sont également, et intègrent ainsi le secondaire. Dès lors la question sera posée, et même en haut lieu : que faire des conseillers d’orientation ? Antoine Prost a raconté ces échanges[4]. Le projet Laurent, balayé par les événements de 68, cherchait à éliminer ces personnels en voulant déjà attribuer leur rôle aux enseignants. Les tentatives se poursuivront, notamment en 2003.

Si les tentatives d’élimination échouent, il y a d’autres manières de faire comme la restriction au rôle de conseil,[5] mais aussi le positionnement de l’ensemble des services dans une fonction conseil. Thierry Berthet[6] insiste sur cette réorganisation du système de l’Éducation nationale opérée au début des années 70 qui installe une mécanique de dépendance au sentier : les décisions suivantes s’inscrivent dans le cadre défini par la décision précédente (p 2). « Parmi les méthodes de management importées du monde de l’entreprise de l’époque, l’une sera déterminante ici : celle qui consiste à distinguer des directions de moyens chargées de mettre en œuvre et gérer le budget de l’éducation et des directions d’objectifs à qui est confié le soin de conseiller et animer la réflexion stratégique. » (p 6) Cette posture de conseil est de plus inorganisée, aucune relation hiérarchique directe n’est mise en place entre les différents niveaux si ce n’est le dernier, et encore très ténu, entre le directeur de CIO et les personnels du CIO. Ainsi, les conseillers d’orientation sont des électrons libres. Reproche qui perdure, mais qui peut se retourner. Qui a provoqué cette situation ? Jacques Sénécat (ancien IGEN de l’orientation) dira bien plus tard[7] : « En réalité, tout se passe comme si les responsables reprochaient à ces personnels leur propre impuissance. » Qu’ils ont choisi eux-mêmes, pourrait-on ajouter.

Le sentier de la psychologie

En France, c’est dès l’origine de l’institutionnalisation de l’orientation professionnelle qu’elle fut rattachée à la psychologie.

Henri Piéron, l’un des fondateurs de l’INOP, l’institut de formation des conseillers d’orientation professionnelle, a combattu pour que l’OP relève d’une conception scientifique dont la base serait la psychologie, ce nouveau métier étant considéré comme le premier psychologue praticien. Jusque dans les années 60, c’est la psychologie du savoir sur autrui qui s’impose. La psychologie de la compréhension de l’autre lui succèdera. On peut s’interroger aujourd’hui sur l’orientation de la psychologie de l’orientation ?

En tout cas, cette identification professionnelle fut l’objet d’une revendication réclamant la reconnaissance du titre de psychologue qui le fut finalement en 1991, puis totalement affirmée avec le statut du corps unique de psychologue de l’Éducation nationale.

Ce sentier étant pris, quelques effets apparaissent. D’un côté la participation à des évaluations « armées » des élèves s’accentue alors que la capacité à transmettre de l’information s’amenuise. L’information est de plus accessible directement sur le web, la compétence sur l’information concernant l’orientation est transférée à la Région, et les enseignants sont de plus en plus sollicités non seulement à accompagner les élèves dans leur recherche, mais également à les conseiller. Le rapport note que « le rôle du CIO est très limité pour délivrer de l’information ou du conseil en orientation aux publics sans problématique particulière. » D’où le constat d’« une forte évolution de la nature du public accueilli en CIO et du rôle de ces centres. » (p 27-28) Compte tenu de ces évolutions, il est alors logique, pour les auteurs du rapport, de réclamer une modification de la dénomination de centre qui, ni n’informe, ni conseille. Ainsi allégés, les PsyEn EDO pourront plus facilement fusionner dans un réel corps unique.

Reste alors la question du pilotage de ce corps. L’orientation n’étant plus un besoin propre à l’État, il a délégué en partie cette fonction aux régions et surtout au secteur « civil » (marchand et associatif), ce corps peut être dirigé vers un nouveau sentier, celui de la santé. Et c’est ce travail idéologique opéré par ce rapport apparemment spécifique aux PsyEn EDO.

Si le rapport rappelle la fonction essentielle du CIO dans la lutte contre le décrochage, le rôle d’animateur d’une équipe de son directeur, et son implication dans le fonctionnement de l’orientation scolaire dans le champ d’un territoire, il indique une évolution dans la politique de la santé, et ce dès les premières pages du rapport.

« Enfin, depuis 2017, le code de l’éducation a vu évoluer l’article L. 121-4-1 relatif à la promotion de la santé à l’école, article créé par la loi 2013-595, loi de refondation de l’école de la République. La loi 2019-791 pour une école de la confiance en a précisé l’alinéa II-5e par ajout de la dimension psychique dans « la détection précoce des problèmes de santé physique ou psychique ou des carences de soins pouvant entraver la scolarité ».

Cet article a ensuite été modifié par la loi 2021-502 visant à améliorer le système de santé par la confiance et la simplification en disposant que « La promotion de la santé à l’école (…) relève en priorité des personnels médicaux, infirmiers, assistants de service social et psychologues de l’éducation nationale, travaillant ensemble de manière coordonnée, alors que les versions précédentes ne mentionnaient que les personnels médicaux et infirmiers. » (p 9)

Je m’interrogeais plus haut sur le sens de la psychologie de l’orientation d’aujourd’hui, mais la question ne se pose plus. L’orientation est maintenant un élément secondaire, incorporé au besoin de santé et de bien-être, un besoin individuel et personnel, mais aussi social (ce que montre la multiplicité des enquêtes d’opinions, mais aussi les recherches commandées et citées dans le rapport). L’orientation s’est ainsi perdue en chemin.

 Bernard Desclaux
Article paru sur le site : Le blog de Bernard Desclaux » Blog Archive » L’orientation, perdue en chemin (educpros.fr)

[1] Bernard Desclaux. (14 avril 2024). Du corps pour l’orientation à l’orientation pour décor. https://blog.educpros.fr/bernard-desclaux/2024/04/14/du-corps-pour-lorientation-a-lorientation-pour-decor/

[2] Les psychologues de l’éducation nationale de la spécialité « éducation, développement et conseil en orientation scolaire et professionnelle », mars 2024. https://www.education.gouv.fr/media/194106/download

[3] Tribune de J-P Bellier. Psychologues de l’Éducation nationale : retour vers le futur ? http://www.touteduc.fr/fr/archives/id-23087-psychologues-de-l-education-nationale-retour-vers-le-futur-une-tribune-de-j-p-bellier-

[4] Antoine Prost, Du changement dans l’école. Les réformes de l’éducation de 1936 à nos jours, Paris, Seuil, 2013, 386 p. Voir Bernard Desclaux, 22 octobre 2013, L’orientation dans le secondaire : effets des procédures. https://blog.educpros.fr/bernard-desclaux/2013/10/22/lorientation-dans-le-secondaire-effets-des-procedures/

[5] Jérôme Martin, « Un siècle de conseil et de psychologie : les conseillers d’orientation », Canal Psy [En ligne], 121 | 2017, mis en ligne le 01 septembre 2020, consulté le 22 avril 2024. URL : https://publications-prairial.fr/canalpsy/index.php?id=1838

[6] Thierry Berthet. Administré, mais pas régulé. Le système d’orientation scolaire français au prisme d’une analyse politique. In Valérie Cohen-Scali. Psychologie de l’orientation tout au long de la vie. Défis contemporains et nouvelles perspectives, DUNOD, 2021. https://shs.hal.science/halshs-03139982

[7] Sénécat, J. (2004), « Historique de l’orientation professionnelle en France », Rencontres de la DESCO, p.18 http://eduscol.education.fr/D0122/orientation_accueil.htm

Dernière modification le vendredi, 26 avril 2024
Desclaux Bernard

Conseiller d’orientation depuis 1978 (académie de Créteil puis de Versailles), directeur de CIO à partir de 90, je me suis très vite intéressé à la formation des personnels de l’Education nationale. A partir de la page de mon site ( http://bdesclaux.jimdo.com/qui-suis-je/ ) vous trouverez une bio détaillée ainsi que la liste de mes publications.
J’ai réalisé et organisé de nombreuses formations dans le cadre de la formation continue pour les COP, , les professeurs principaux, les professeurs documentalistes, les chefs d’établissement, ainsi que des formations de formateurs et des formations sur site. Dans le cadre de la formation initiale, depuis la création des IUFM j’ai organisé la formation à l’orientation pour les enseignants dans l’académie de Versailles. Mes supports de formation sont installés sur mon site.
Au début des années 2000 j’ai participé à l’organisation de deux colloques :
  • le colloque de l’AIOSP (association internationale de l’orientation scolaire et professionnelle) en septembre 2001. Edition des actes sous la forme d’un cd-rom.
  • les 75 ans de l’INETOP (Institut national d’étude du travail et d’orientation professionnelle). Edition des actes avec Remy Guerrier n° Hors-série de l’Orientation scolaire et professionnelle, juillet 2005/vol. 34, Actes du colloque : Orientation, passé, présent, avenir, INETOP-CNAM, Paris, 18-20 décembre 2003. Publication dans ce numéro de « Commentaires aux articles extraits des revues BINOP et OSP » pp. 467-490 et les articles sélectionnés, pp. 491-673
Retraité depuis 2008, je poursuis ma collaboration de formateur à l’ESEN (Ecole supérieure de l’éducation nationale) pour la formation des directeurs de CIO, ainsi que ma réflexion sur l’organisation de l’orientation, du système éducatif et des méthodes de formation. Ce blog me permettra de partager ces réflexions à un moment où se préparent de profonds changements dans le domaine de l’orientation en France.
Après avoir vécu et travaillé en région parisienne, je me trouve auprès de ma femme installée depuis plusieurs années près d’Avignon. J’y ai repris une ancienne activité, le sumi-e. J’ai installé mes dernières peintures sur Flikcr à l’adresse suivante : http://www.flickr.com/photos/bdesclaux/ .