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La question de l’évaluation est toujours un point central de la réflexion pédagogique, notamment dans l’enseignement supérieur, où le nombre d’étudiant.es est conséquent.
- Comment leur permettre d’obtenir une révision à la fois individualisée et représentative du travail fait en groupe ?
- Comment assurer le maintien de la motivation malgré une évaluation négative ?

Un article rédigé par Marine Karman, conseillère pédagogique à partir d’une interview de Gwendal Simon, une UV co-animée avec Cécile Bothorel.

Depuis quelques années et en lien avec la place importante que prennent désormais les MOOCs dans l’enseignement supérieur, l’évaluation par les pairs fait l’objet de nombreuses expérimentations.

Si elle est pour beaucoup un moyen de faire gagner du temps aux enseignants en déchargeant une partie du travail d’évaluation sur la cohorte d’étudiant.es, dans l’expérimentation dont nous rendons compte ici, elle devient un vecteur de responsabilisation et même de réflexivité sur son propre travail.

I - FICHE D’IDENTITE DU PROJET

1 - Etudiants concernés

Les étudiants de Télécom Bretagne suivent un cursus en trois ans durant lesquels ils doivent rendre divers projets techniques visant à les confronter aux réalités de la conception et de la gestion de projets d’ingénierie. En deuxième année, environ 200 étudiants participent à un [projet d’innovation>http://www.innovation-pedagogique.fr/article796.html] dont nous avons déjà eu l’occasion de parler ici.

Le projet innovation se tient en deuxième du cursus d’ingénieur de Télécom Bretagne. Il s’agit d’un projet technique pendant lequel des groupes d’étudiants sont amenés à concevoir et développer un service ou un objet innovant qui sera ensuite évalué par un jury de professionnels.

2 - Rôle du dispositif dans le cursus de formation

Cet article se propose de se concentrer particulièrement sur une modalité d’évaluation bien particulière à ce module. Il s’agit d’une évaluation par les pairs articulant une visée formative et ludique avec la volonté de maintenir l’intérêt des étudiants pour les travaux de leurs camarades et de les confronter aux réalités du fonctionnement des investissements en innovation.

3 – Problématique et réponse

Comme nous l’avons déjà expliqué dans l’article sur le projet innovation, le projet en trois mois se découpe en trois phases : 
- Créativité  : 1 mois, réflexion et émergence des idées principales du projet (évaluation par les pairs formative).
- Faisabilité  : 1 mois, étude de marché, communication, positionnement.
- Développement et validation : 1 mois, réalisation du prototype et présentation devant un jury de professionnels.

Une des difficultés de ce projet vient de l’évaluation finale de leur présentation, pendant laquelle les étudiants doivent « convaincre » un jury de la pertinence de leur projet.

La mise en place du dispositif dont nous allons parler ici fait suite au constat que beaucoup d’étudiants sont perturbés par le caractère jugé subjectif de cette évaluation. En plaçant les étudiants dans la situation de juger les projets de leurs camarades, les enseignants leur révèlent les leviers de la capacité à convaincre. Par ailleurs, ce dispositif vise à susciter de l’intérêt pour les projets des camarades et de mettre au maximum les étudiants face à une certaine forme de réalité professionnelle dans les choix qu’ils doivent faire et dans leur façon de considérer les projets de leurs camarades.

4 – Objectifs et attendus

- Comprendre les leviers de la capacité à convaincre.
- Susciter l’intérêt pour les projets développés par les autres groupes pendant le module. 
- Confronter les étudiants aux réalités qui motivent l’investissement en innovation.
- Disposer d’un retour « objectif » sur l’avancement du projet

II - DEROULEMENT DU DISPOSITIF : DE NOUVELLES LOGIQUES DE TRAVAIL A INTEGRER

Lors de l’évaluation formative organisée sous la forme d’une présentation orale des différents projets imaginés par chacun des groupes.

Les étudiants se voient distribuer dix lingots chacun. Les lingots constituent une monnaie fictive que les étudiants devront placer, investir dans les projets qui leurs semblent les plus pertinents à partir du seul oral de 3 minutes réalisé par leurs camarades. Bien sûr, il est impossible d’attribuer des lingots à son propre projet.

Pour que les investissements soient réalisés de manière réfléchie comme un investisseur, il est nécessaire que les lingots aient une valeur pour l’étudiant. A l’issue de l’évaluation finale (par un jury de professionnels) les étudiants qui ont investi leur lingots sur des projets qui ont remporté un avis favorable du jury remportent quelque points (bien réels) en plus, à l’inverse, ceux qui ont investi sur des projets qui n’ont pas rencontré d’avis favorables voient leur note finale descendre (jamais plus d’un point et demi).

Ainsi placés en situation d’investisseurs (et au vue de l’enjeu sur les notes finales), les étudiants sont obligés de considérer des aspects des projets des autres qu’ils ne considéreraient pas autrement :
-  Ce projet me semble-t-il pertinent ?
-  Ce groupe me semble-t-il capable de le porter jusqu’au bout et de le mener à bien ?

Ils découvrent donc les principaux leviers qui motivent les investisseurs à soutenir une idée et doivent se mettre à leurs places. Par ailleurs, les étudiants ont alors l’occasion de réaliser que les logiques de certification scolaires (« misons sur ce qui va plaire aux professeurs ») sont souvent bien différentes de ce qui rencontrera l’intérêt des professionnels. Il s’agit là d’une toute nouvelle logique qu’ils doivent alors intégrer.

À l’issue de la phase de créativité, les étudiants sont informés du nombre d’étudiants qui ont investi sur leur groupe ainsi que le nombre de lingots investis après cette évaluation formative. La population d’investisseurs (près de 200 étudiants et les enseignants) est suffisamment grande et diverse pour que les étudiants admettent certaines évidences « objectives » de l’évaluation « subjective ». Ainsi des tendances apparaissent : certains groupes attirent beaucoup d’investisseurs tandis que certains autres groupes n’ont pas réussi à convaincre.

L’issue de ce dispositif d’évaluation intervient à la fin du projet global et est souvent émaillé de surprises, les projets qui ont récolté le plus de lingots ne sont pas toujours ceux qui sont récompensés par le jury car entre la présentation du premier mois (suite à laquelle les étudiants investissent leurs lingots) et la présentation au jury professionnel, des difficultés de développement sont apparues, le groupe n’a pas réussi à travailler ensemble. Tandis qu’à l’inverse, certains groupes qui n’avaient pas convaincu leurs camarades réussissent à attirer l’intérêt des investisseurs professionnels. Pour d’autres encore, l’évaluation par les pairs et le fait d’obtenir un nombre peu important de lingots aura été l’occasion d’une remise en question bénéfique pour le développement de leur projet.

III – RETOURS ET EVALUATIONS : UNE DEMARCHE EVALUATIVE FORMATIVE ET REFLEXIVE

L’élément d’évaluation le plus important de ce dispositif est difficile à appréhender, car au-delà de l’atteinte des objectifs affichés, les enseignants constatent quelque-chose de plus diffus, de plus important, de latent. En effet, en se questionnant sur ce qui suscite leur envie d’investir dans tels ou tels projets de leurs camarades, les étudiants mettent en marche une démarche réflexive sur leur propre projet. En constatant ce qui les intéressent chez les autres, ils constatent ce qui peut manquer à leur projet (compétences communicationnelles, solidité du projet, intérêt de l’innovation et intégration dans la vie quotidienne de leur public cible…).

Ainsi, par le biais de ce dispositif d’évaluation par les pairs, les enseignants constatent la naissance progressive d’une conscience réflexive chez les apprenants. Cette conscience est d’autant plus importante qu’elle participe de la réalisation d’un des objectifs de l’UV qui est de confronter les étudiants aux réalités professionnelles du monde de l’entreprise et de l’innovation. En effet, la réflexivité est une composante importante de ce qui fait la réussite professionnelle (D. SCHÖN), c’est également une compétence difficile à développer en formation puisqu’elle s’acquiert beaucoup par l’expérience, le terrain.

Par ailleurs, l’équipe enseignante accompagne cette réflexivité en conduisant un feedback qui permet aux étudiants de se positionner et de voir émerger des questions qu’ils ne s’étaient peut-être pas posé encore :
-  Comment avez-vous investi ?
-  Quels sont les points convaincants, déterminants de votre choix dans les groupes pour lesquels vous avez investi ?
-  Pensez-vous que votre groupe a convaincu de la même façon ?
-  Si non, qu’est ce qui faisait défaut au regard de ce que vous avez vu chez vos camarades ?

IV – CONCLUSIONS

Ce dispositif, tel qu’intégré dans un module de formation plus important présente l’avantage d’être relativement facile à transférer à d’autres enseignements et est également relativement facile à mettre en place.

En rendant les étudiants acteurs de l’évaluation de leurs camarades, par un biais détourné et ludique (pas de notes mais des lingots à miser), il permet à l’évaluation de revêtir un caractère moins sommatif et plus bienveillant.

Les étudiants apprennent également à détacher leurs affects et intérêts personnels pour prendre des décisions selon une analyse professionnelle plus objective (on ne vote pas que pour ses copains, mais pour ceux qui semblent les plus à même de porter durablement et efficacement un projet pertinent).

Article publié sur le site : http://www.innovation-pedagogique.fr/article837.html
Auteur : Marine Karmann
Licence : CC by-sa

Dernière modification le jeudi, 01 septembre 2016
An@é

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