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Les progrès de l’intelligence artificielle sont fulgurants : faut-il s’en plaindre ou s’en réjouir ? Et que craindre ou espérer ? Construisons-nous des machines-dieux ou des serviteurs aussi stupides, mais dangereux que les balais de l’apprenti sorcier ? A moins qu’il ne soit rien d’autre que les outils extraordinaires d’un bouleversement comparable à l’apparition de l’écriture ? Comment écarter les fantasmes et prendre la mesure de ce qui vient ? Débat - Rencontres Michel Serres. Aperçu.

Sven Ortoli : Nous vivons une révolution économique, industrielle, technique, éthique, anthropologique.

On a pu dire que nous étions les témoins d’un des plus grands sauts technologiques de l’humanité. 

Qu’est-ce que cette révolution ?

Dominique Karlach: Il s’agit d’une révolution avec une mise au défi collective :

Par son extrême rapidité, différente des autres révolutions industrielles qui ont mis une centaine d’années pour se réaliser. Ce qui donne une accélération dans le déploiement d’outils.

Par le poids des usages : On assiste à la mutation du système énergétique, du système productif, de la consommation. Une extrême individualisation. Le collectif laisse place au connectif.

Eric Salobir : C’est moins une révolution industrielle qu’une révolution épistémologique.

Une toile algorithmique se tisse autour de nous, et conditionne notre rapport au monde, ce qui quelque part est censé nous aider. Cela conditionne aussi notre interaction avec les autres.

Personne n’imaginait dans la communauté technologique, l’impact, la rapidité d’adoption de ChatGpt par exemple.

L’immédiateté de la puissance et de l’usage des outils génère des laissés pour compte de l’IA.

Cette révolution sociale et économique va faire disparaître des métiers : détruire des emplois dans les tâches répétitives et en recréer d’autres dans le contrôle, la surveillance, l’éthique.

Des usagers peuvent ne pas être inclus dans cette révolution. On parle d’illectronisme.

C’est un vrai sujet à adresser au politique. Que fait-on des laissés pour compte de cette révolution culturelle ? Comment les forme-t-on à nouveau ?

Cette révolution impacte :

La productivité sur les métiers du cerveau, de la loi

La géopolitique et la souveraineté (il est important de savoir qui les conçoit et qui les utilise ? La Chine, l’Inde, l’Europe…)

La place de l’homme dans tout ça !

L’évolution des métiers demande un investissement dans les sciences humaines.

La question géopolitique est très importante, surtout à l’échelle des États-Unis qui veulent avoir la puissance, surtout si l’outil devient dangereux !

On doit mettre en place des sécurités et surtout s’entendre sur les sécurités à utiliser.

Il faut s’entendre sur un minimum de principes de précaution. Car il est difficile de régulariser quand on ne sait pas où on en sera dans trois ans (le texte produit pourrait être obsolète).

Il est possible de mobiliser l’argent privé, mais ce n’est pas suffisant. Il faut aussi mobiliser de l’argent public !

La fracture se creuse en Europe. On lutte contre ça en amplifiant l’investissement du politique dans la recherche scientifique et industrielle.

Il s’agit de reformuler la doctrine de la concurrence qui permette de faire émerger en Europe des acteurs puissants, des champions qui puissent rivaliser avec ceux des USA et de la Chine.

En France on régule et on surréglemente. Le politique y va très tranquillement avec des garde-fous. Cela s’oppose au discours impérialiste de la Silicon Valley.

Il y a un clivage entre la massification des usagers et les laissés pour compte.

Le politique doit mettre le paquet sur la formation et sur l’éducation. Sinon on loupera cette révolution culturelle.

Quelles sont les conséquences humaines de l’IA, Homme augmenté ou Homme diminué ?

Ce sera l’Homme augmenté, seulement si, l’Homme est en situation de créer !

Beaucoup de travailleurs aujourd’hui obéissent à ce qui est dit sur l’ordinateur (ex : Uber, Amazon).

C’est un humain qui dit à un autre humain de faire !

 50 % du travail est délégué à une machine.

 Mais ce travail devra être surveillé. Il y a une question de responsabilité.

Comment résister à cette révolution inversée ?

Le consommateur a un rôle à jouer : je ne veux pas consommer cela. L’aval peut vouloir quelque chose de plus éthique.

Il y a trois types d’acteurs, le consommateur, l’investisseur (bourse),les talents.

Il y a une pénurie de talents aujourd’hui, car le travail ne fait pas sens.

Le système peut se réguler par la responsabilité.

Dans la Silicon Valley on attend une IA plus respectueuse, plus transparente, mieux gouvernée.

Il y a une compétition féroce pour la construire, dans le but  d’inonder le marché !

Viviane Ruant

L'intégralité des échanges

https://youtu.be/Z2OsD-jJ0Cw?si=JMYnG5PN7SejflO6

 

Dominique Carlac'h est une ancienne athlète, et une dirigeante d'entreprise de conseil en innovation.

Éric Salobir est le président du comité exécutif de la Human Technology Foundation et le fondateur d’OPTIC, réseau international de recherche et d’action plaçant l’humain au cœur du développement des technologies. OPTIC rassemble plusieurs milliers de chercheurs, d’entrepreneurs et de développeurs de technologies. Ce réseau réalise des projets de recherche en éthique pratique donnant lieu à la publication d’articles et de rapports. Il accompagne également les décideurs des politiques publiques et les entrepreneurs dans leur évaluation de l’impact des technologies. Diplômé de l’école de commerce ISC Paris, Éric Salobir a travaillé à l’ambassade de France à Prague (section économie et commerce), et au Crédit Lyonnais (aujourd’hui LCL) dans le département banque d’affaires, à Paris. Éric Salobir a rejoint l’Ordre des Prêcheurs (Dominicains) en 2000. Il est prêtre, diplômé en théologie et en philosophie.

Sven Ortoli est rédacteur en chef des hors-séries de Philosophie magazine.

Dernière modification le jeudi, 14 décembre 2023
Ruant Viviane

Administratrice de l'An@é.  Professeur d’histoire et géographie en lycée retraitée.