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... primaire et secondaire
Jacques Baudé
Président d’honneur de l’association
Enseignement Public et Informatique (EPI) [1]
 
 
C’est une évidence qui s’impose à tous, l’informatique est omniprésente, elle sous-tend cet ensemble diversifié que l’on nomme « numérique ».
 
Son impact sociétal et économique explose au XXIe siècle, l’informatisation devenant la forme contemporaine de l’industrialisation. L’épanouissement d’une citoyenneté pleine et entière ne peut ignorer l’informatique. Tout cela a été dit et bien dit. Je n’y reviens pas.
 
Ce qui s’impose au système éducatif de notre pays
 
De même que l’Éducation nationale a intégré en son temps les sciences physiques et biologiques dans la culture générale, le moment est venu d’engager résolument la même démarche pour la science informatique. D’autres pays développés le font : Grande Bretagne, Finlande, Estonie, Israël, Suisse, USA (cf. la récente déclaration du Président Obama) ainsi que les pays qu’on appelle émergents. 
 
Après une longue période dominée par l’utilisation des logiciels (« informatique outil ») la tendance est en train de s’inverser, ces pays redécouvrent pour leur système éducatif la science informatique (notamment la programmation) et s’orientent vers son enseignement dès le plus jeune âge. Leur souci est de former une jeune génération maîtrisant un certain nombre de concepts leur permettant - dans leur vie personnelle et plus tard professionnelle - d’être des créateurs et non de simples utilisateurs de produits créés par d’autres. Les responsables de ces pays ont compris également que si tout le monde n’est pas destiné à être informaticien, la grande majorité des métiers nécessite, et nécessitera de plus en plus, des connaissances informatiques ne serait-ce que pour assurer le dialogue avec les spécialistes.
 
Le directeur du système d’information (SI) d’une grande entreprise écrivait dans Le Monde, fin 2012 : « L’entreprise emploie en son sein une population de 95% d’illettrés numériques qui chaque jour, chaque instant, ont devant les yeux un livre ouvert aux mots indéchiffrables »
 
En France, on ne compte plus les demandes explicites pour un enseignement généralisé de l’informatique, formulées par des organisations diverses : l’Académie des sciences, l’Office parlementaire des choix scientifiques et techniques, le Conseil national du numérique, la Société informatique de France, le Syntec-numérique, etc. L’EPI n’est plus seule !
 
Il semble que tout le monde s’accorde sur une des finalités essentielles du système éducatif, former des citoyens capables, dans leur vie personnelle et professionnelle, d’une certaine « maîtrise » des outils matériels et logiciels de leur époque. Mais la méthode employée est-elle la bonne ?
 
Le B2i ne remplit pas à l’évidence ces objectifs.
 
Pour l’apprentissage de la programmation précoce, le ministère délègue aux associations périscolaires ce qui devrait être de sa compétence. Ce n’est pas à la hauteur des enjeux.
 
Que faut-il faire et comment le faire ?
 
- A l’École primaire
 
Il convient de parler de sensibilisation s’appuyant sur les compétences déjà acquises hors de l’école. C’est le temps de la découverte des concepts fondamentaux adaptée à l’âge des enfants. Il faut éviter que se mettent en place des idées fausses si difficiles à éradiquer ensuite.
L’algorithme est un concept central, il est possible de l’aborder simplement lors de l’apprentissage du calcul mais pas seulement. La programmation passionne les enfants. Qui ne se souvient de Logo ? Pourquoi a-t-on abandonné cette démarche avant même de l’avoir évaluée ?
L’informatique se prête bien à des activités favorisant la créativité et l’inventivité des enfants ainsi que le « travailler ensemble ». Et, à la faveur d’activités signifiantes, s’appuyant sur l’utilisation de logiciels, l’enseignant introduit les notions élémentaires de nature à faciliter leur compréhension (information, fichier, structure de la machine, etc.) [2]
J’ajoute qu’il n’est pas forcément nécessaire de rajouter des heures passées devant un écran. Trop d’enfants sont déjà à saturation ! Des activités « débranchées » sont tout aussi formatrices sinon plus.
 
Il faut insister sur le fait qu’il ne s’agit pas de rajouter un nouvel enseignement et donc une surcharge excessive des horaires. Cet « éclairage » informatique peut parfaitement s’intégrer aux pratiques existantes, en proposant aux enfants des notions informatiques utiles pour ce qu’ils ont à réaliser par ailleurs. Des enseignants correctement formés peuvent le faire sans difficulté, certains le font déjà.
 
- Au Collège
 
Le cours de Technologie semble être le cadre institutionnel le plus favorable à un enseignement de l’informatique, du moins dans une période transitoire. Il faut y renforcer cette approche. Il semble d’ailleurs que beaucoup de nos collègues y soient prêts. La deuxième proposition récente de l’association, Pagestec à la suite de son enquête « Enseignement de l’informatique et Technologie », est : « intégrer à nos programmes une initiation aux concepts inhérents à la programmation informatique ».
Si l’apprentissage de la programmation (j’y intègre celle des robots et des machines programmables) peut constituer le coeur de l’enseignement de l’informatique au Collège, il ne doit pas en constituer la totalité et il est important d’aborder aussi d’autres domaines concernant les matériels, les réseaux, le traitement des données, etc.[3]
Donc, là encore il n’y aurait ni introduction d’une nouvelle discipline ni surcharge horaire
mais évolution d’une discipline existante comme toutes les disciplines évoluent au fil des années.
 
N’est-il pas légitime qu’au XXIe siècle, l’enseignement de la Technologie ait une composante informatique renforcée ?
 
 
- Lycée d’enseignement général
 
Nous mesurons parfaitement l’objection qui est faite « il y a déjà trop de disciplines » et « les horaires sont déjà trop lourds ». Et pourtant, qu’on le veuille ou non, c’est bien de l’enseignement général qu’est issue la majorité de nos cadres. C’est là que se créent les vocations pour telle ou telle carrière. Quid des carrières informatiques ?
 
Alors que faire ? Il ne faut pas compter sur le B2i sans contenus scientifiques, sans savoirs précis, sans cohérence didactique entre les différents enseignants sollicités eux-mêmes très insuffisamment formés.
 
Une discipline informatique s’impose. Elle ne pourra se développer à moyens constants et/ou sans un certain redéploiement disciplinaire (Nous verrons plus loin la formation des enseignants)
 
Il est tout à fait respectable de s’intéresser à la surcharge cognitive des élèves mais il conviendrait aussi de le faire à propos de l’inflation des programmes des disciplines en place. Je pense, et pour cause, au programmes de Biologie que j’ai vu se complexifier au cours de mes trente années d’enseignement. C’est également le cas, semble-t-il, pour bien d’autres disciplines, où il arrive même que la complexification s’accompagne d’un appauvrissement.
 
 
Ne conviendrait-il pas de limiter nos ambitions souvent excessives pour les disciplines existantes (qui n’ont d’ailleurs pas toujours existé !) et examiner avec plus d’attention et d’objectivité s’il ne serait pas opportun de prendre mieux en compte l’évolution globale des connaissances. Comment ne pas voir la place considérable qu’occupe désormais la science informatique et les liens étroits qu’elle tisse avec l’ensemble des sciences, dures, moins dures et humaines.
 
C’est à ce propos qu’on peut avancer la notion de redéploiement disciplinaire. Les disciplines évoluent dans leurs contenus (parfois trop), certaines disciplines ou parties de disciplines disparaissent, d’autres apparaissent. Ce n’est pas nouveau.
 
Et si cette opération chirurgicale s’avère impossible, pourquoi ne pas penser à un allongement de la scolarité ?
Ce n’est pas parce que le dossier est délicat (pour de nombreuses raisons) qu’il faut l’ignorer et qu’il faudrait s’abstenir d’enseigner une science majeure du XXIe siècle.
 
- Dans les enseignements technologiques, il faut multiplier les filières débouchant sur les métiers d’avenir en renforçant leur dimension informatique.
C’est précisément l’inverse que l’on vient de faire avec la fusion des BTS-SE (Systèmes Électroniques) et IRIS, entraînant une forte réduction du volume des heures consacrées à l’informatique et diminuant la visibilité et l’attractivité de la filière.  
 
La formation des enseignants, éternel goulot d’étranglement
 
Trop longtemps différée par manque de décision politique, la formation des enseignants est une priorité absolue et urgente car elle est une condition nécessaire de la réussite de l’enseignement de l’informatique pour tous les élèves.
 
Pour les professeurs des Écoles, amenés à sensibiliser les élèves à la science informatique, l’enseignement des concepts et des exemples à traiter devrait prendre la forme d’un module dédié dans les ESPE (Écoles supérieures du professorat et de l’éducation) nouvellement créées.
Pour les professeurs de Collège et Lycée, il faut aligner les qualifications et des modes de recrutement sur ceux des autres disciplines par la création d’un Capes et d’une agrégation d’informatique.
 
Avant cette solution idéale, il convient d’assurer la transition pour éviter de perdre à nouveau des décennies comme on sait si bien le faire. On peut penser à une certification assurant que l’enseignant est capable d’enseigner l’informatique en plus de sa propre discipline. Une sorte de bivalence sans la nommer puisque le concept dérange.
 
Il est important de prendre conscience que la vraie fracture qui risque de s’installer entre les établissements de notre pays est la fracture entre ceux qui disposeront d’équipes d’enseignants formés et ceux qui n’en disposeront pas.
Les parents devraient s’en inquiéter plus activement.
 
La nécessité de décisions politiques au plus haut niveau
 
On se souvient de grandes décisions prises au plus haut niveau de l’État : sous de Gaulle, la relance de la recherche, le plan calcul ; sous Giscard d’Estaingt le relance de l’informatique ;
sous Mitterrand, la relance de la recherche publique … J’ai vécu personnellement, en 1980, le « Mariage du siècle » où le ministre de l’industrie a entraîné le ministère de l’éducation nationale dans des opérations informatiques qu’il ne songeait guère à développer spontanément, puis, en 1985, l’opération « Informatique Pour Tous » qui, sous l’impulsion musclée de Gaston Defferre, ministre du Plan, a fait bouger les lignes dans le milieu enseignant. C’est toujours le résultat d’analyses politiques au plus haut niveau qui s’imposent aux différents ministres de l’éducation nationale plus qu’elles ne sont imposées par les ministres eux-mêmes.
 
La Société Informatique de France ne se trompe pas de cible quand elle s’adresse directement au Président de la République pour lui demander d’accorder à l’informatique sa place dans le socle commun de connaissances, de la faire entrer en tant que discipline à part entière dans le système éducatif français, avec des initiations à l’école primaire et une entrée dès le collège, de créer un Capes et une agrégation d’informatique.
 
Ce qui n’empêche pas la SIF de s’adresser, avec l’EPI, au Conseil Supérieur des Programmes qui s’est vu confier par Vincent Peillon un certain nombre de chantiers dont celui prioritaire des programmes de l’école primaire et du collège, mais aussi des pratiques pédagogiques, de l’évaluation et de la formation des maîtres. Il faut espérer qu’en matière d’informatique et de technologies de l’information et de la communication, le CSP tiendra compte des échecs de l’approche transversale telle qu’elle est pratiquée depuis plusieurs décennies pour un résultat médiocre.
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Néanmoins, il doit être clair que l’enseignement de la science informatique et ses usages pédagogiques dans toutes les disciplines sont deux démarches distinctes et complémentaires se renforçant mutuellement. Sans oublier l’impact de l’informatique sur l’essence même des disciplines qui doit être traité dans le cadre de chacune d’elles. C’est pour cela que l’EPI parle depuis des décennies de « complémentarité » des approches. C’est pour cela que la formation des enseignants est une urgence absolue. A la fois pour ceux qui se destinent à enseigner l’informatique (une certaine proportion d’entre eux) et pour ceux qui doivent intégrer les apports de cette science à leur propre discipline (la majorité).
 
Sans formation correcte de tous les enseignants (à des degrés divers et sous des formes diverses) tout le reste ne sera que bavardage.
 
Enfin, il y a l’argument économique qui a mauvaise presse chez beaucoup de collègues. Et pourtant, si nous voulons encore avoir les moyens de dispenser une éducation de qualité au plus grand nombre encore faut-il que notre pays ne se laisse pas distancer sur tous les plans et notamment sur celui des technologies de l’information et de la communication portées par l’informatique. Face à la concurrence mondiale, penser que nous allons nous en sortir grâce au haut de gamme sans former plus d’ingénieurs, de techniciens, de chercheurs, d’enseignants, …est plus que problématique. Or tous ces spécialistes de l’informatique et du numérique ne naissent pas par génération spontanée après le baccalauréat. C’est du devoir du ministère de l’Éducation nationale de prendre les bonnes décisions pour préparer les citoyens de demain. Il a commencé avec les terminales scientifiques et les classes préparatoires. Il reste encore beaucoup à faire.
 
Jacques Baudé
Février 2014
 
Article sous licence Creative Commons (selon la juridiction française =
Paternité - Pas de Modification) <http://creativecommons.org/licenses/by-nd/2.0/fr/>

[1] Tous les documents évoqués dans cet article sont sur le site de l’EPI dans les rubriques : « articles », « Documents », « Bloc-notes » … http://www.epi.asso.fr
[2] Je ne développe pas en détail les contenus proposés récemment, par le groupe ITIC-EPI-SIF, au Conseil Supérieur des Programmes, ils sont en ligne sur les sites de l’EPI et de la SIF. Se reporter à :
 [3] Je ne développe pas en détail les contenus proposés récemment, par le groupe ITIC-EPI-SIF, au Conseil Supérieur des Programmes, ils sont en ligne sur les sites de l’EPI et de la SIF. Se reporter à :
Dernière modification le mardi, 30 septembre 2014
Baudé Jacques

Retraité. Agrégé de Biologie-Géologie (1960). Ex-membre du groupe Informatique et Biologie de l’INRP (logiciels de simulation), ex-membre du Comité scientifique national (option informatique).
Membre de la Société Informatique de France. Président d’honneur de l’EPI.