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Alors que climat se réchauffe et que les périodes caniculaires sont de plus en plus fréquentes, les populations ont besoin de fraîcheur pour vivre sainement et de froid pour conserver des produits périssables. Le nombre d’équipements de refroidissement ne cesse d’augmenter depuis des décennies. On en compte 5,8 milliards et ce nombre pourrait tripler d’ici à 2050. Si rien ne change en terme de technologies et d’usages cette tendance impactera sévèrement la consommation d’énergie électrique et aggravera les émissions de gaz à effets de serre.

Pourtant l’utilité du « Froid » est avérée pour protéger le corps humain de la chaleur excessive ou pour préparer et conserver des aliments ou des produits pharmaceutiques (vaccins notamment) et il faut aussi donner l’accès au froid à plus d’un milliards de terriens qui en sont privés.

Dans ce contexte paradoxal nous ne sommes pas impuissants si des méthodes passives sobres en énergie et non polluantes sont réhabilitées partout où cela est possible, si les technologies de production du froid sont améliorées pendant que la production d’électricité est totalement décarbonée.

Un peu d’Histoire

Il y a longtemps que l’Homme se sert du froid. C’est en Mésopotamie qu’on trouve les premières traces de l’utilisation du froid pour la conservation des aliments par maintien de température avec de la glace près de trois mille ans avant notre ère; dans la Rome antique des tunnels et des grottes naturelles rafraîchies avec de la glace ont été utilisées pour conserver les aliments.

Les glacières (enceintes ou meubles rafraîchis avec de la glace) apparaissent au 16ème siècle en Europe où elles sont réservées à des utilisateurs fortunés.

Les premières machines frigorifiques sont développées à partir du début du 19ème siècle. C’est à partir de 1870 qu’elles sont utilisés dans des abattoirs, chez les brasseurs, etc…

Le premier réfrigérateur domestique est produit aux États-Unis en 1913 et sa fabrication industrielle date du début des années 1930. C’est à la fin des années 1940 que le “frigo” commence à envahir les foyers.

Le premier climatiseur moderne est inventé par Carrier en 1902. Il sera d’abord utilisé dans les hôtels, les grands magasins et les cinémas à partir des années 1920. C’est en 1950 que la climatisation arrive dans les résidences privées et qu’elle est proposée en série sur des voitures au États-Unis puis partout dans le monde.

La production de Froid aujourd’hui

Du froid, pour quoi faire ?

Les utilisations du froid sont très nombreuses que ce soit pour de la réfrigération ou de la climatisation. Nous les listerons ici par trois domaines d’application : froid alimentaire, froid industriel, climatisation.

Froid alimentaire

On le trouve tout au long de la chaîne de production-stockage-transport-commercialisation-conservation avec un usage systématique dans de nombreux secteurs : produits laitiers, produits carnés, poissons et fruits de mer, produits transformes congelés ou ultra-frais. Ce sont près de 300 millions de tonnes de denrées alimentaires qui sont sont dépendantes du froid dans le monde, soit 15% de la production totale.

Froid industriel

Outre le secteur agro-alimentaire (industrie et commerce) le froid est indispensable dans de très nombreux procédé de fabrication dans l’industrie chimique et pharmaceutique (contrôle de la température), dans les secteurs de la métallurgie (traitement thermique) et de l’énergie (liquéfaction du GNL et du GPL) ainsi que pour la productions et le transport de gaz industriels dont les applications sont très variées : sidérurgie, électronique, extraction d’arômes, emballage sous atmosphère contrôlée, conservation d’échantillons en recherche biologique.

Climatisation

La climatisation sert à modifier et contrôler la qualité de l’air dans dans un espace fermé (température, humidité notamment). Elle est utilisée dans les bâtiments privés (habitations, usines, bureaux, commerces…) ou publics (hôpitaux) ainsi que dans les transports individuels ou collectifs.

Le froid en chiffres

Le refroidissement d’un corps physique solide, liquide ou gazeux ne se mesure pas avec une grandeur physique spécifique car il consiste à diminuer sa température en « déplaçant » de l’énergie (de la chaleur) qu’il contient.

Pour apprécier l’importance de la production de froid et ses impacts on peut prendre le nombre d’équipements et estimer leur consommation énergétique et leur émissions de gaz à effet de serre (GES).

En 2022, d’après le Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE) :

– il y avait 5,8 milliards d’équipements produisant du froid parmi lesquels 2,4 milliards appareils de climatisation (dont les 3/4 sont des climatiseurs domestiques), 2,1 milliards sont des appareils de réfrigération ou de congélation domestiques et 1,2 milliards de voitures équipées de l’air conditionné ;

– la production de froid a consommé plus de 5000 TWh principalement sous forme d’électricité soit 19 % de la consommation totale d’électricité dans le monde

-les émissions directes et indirectes* de GES se sont élevées à 4,1 milliards de tonnes de CO2équivalent (CO2e) soit 11 % des émissions cette année là. 35 % de ces émissions proviennent de la chaîne du froid (dont les 3/4 chez le consommateur final) 34 % proviennent de la climatisation domestique et 14 % des transports climatisés.

*les émissions directes sont liées aux fuites de gaz réfrigérants, les émissions indirectes proviennent de l’usage d’énergie fossiles utilisées pour la production de l’électricité qui fait fonctionner ces équipements

Le « Froid » est aussi un marché estimé à 300 milliards de dollars par an en 2023 (climatisation 60 %, réfrigération 40%)

Ces données globales ne doivent pas faire oublier que qu’il y a plus d’un milliard de personnes n’ont pas d’accès au froid (notamment en Afrique et en Asie du Sud) ce qui a pour effets de fragilise leur situation sanitaire en cas de très fortes chaleurs, de réduire leurs revenus agricoles à cause des pertes de produits faute de conservation réfrigérée et de limiter la disponibilité de produits pharmaceutiques fragiles comme les vaccins.

Produire du froid demain

Dans le sixième rapport d’évaluation (2023), le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) on peut lire : « La chaleur constitue un risque sanitaire croissant, en raison de l’urbanisation croissante, de l’augmentation des températures extrêmes et des changements démographiques dans les pays dont la population vieillit ». Dans ces conditions, il apparaît que les besoins de refroidissement vont continuer de croître qu’il s’agisse de climatisation ou de réfrigération.

Perspectives

D’ici à 2050, le nombre et la puissance installée des équipements de refroidissement dans le monde va tripler 5PNUE, 2023). Avec les technologies et usages actuels cela se traduira par le doublement de leur consommation totale d’électricité. Une telle augmentation des équipements de refroidissement nécessiterait environ 2 à 2,8 TW de puissance électrique supplémentaire à efficacité énergétique inchangée .

Cela entraînera aussi une hausse des émissions gaz à effet de serre à 6,1 milliards de tonnes/an d’équivalent dioxyde de carbone (CO2e), soit plus de 10 % des émissions mondiales estimées pour cette année-là.

Un telle évolution n’est pas inéluctable car il existe des solutions permettant d’étendre l’accès au froid à tous en réduisant massivement les effets de ce service sur le réchauffement climatique 

Froid Durable

Produire du froid durable c’est possible en agissant de concert sur 3 leviers :

1) Le développement du refroidissement passif

2/ L’amélioration de l’efficacité énergétiques des équipement parallèlement à la définition de normes plus exigeantes

3) Le remplacement des fluides réfrigérants hydrofluorocarbonés (HFC) par des fluides frigorigènes moins polluants

L’activation mondiale de ces leviers sera d’autant plus efficace que les pays développés l’adopteront rapidement car la production de froid dans les pays du G20 qui représentent 82 % des émissions de GES (mesurées en CO2e) que causent l’ensemble des équipements de refroidissement.

Développement du refroidissement passif

Les mesures de refroidissement passif peuvent réduire considérablement les charges de refroidissement tout en maintenant le confort thermique intérieur ainsi que les températures dans les chambres froides. Les techniques qui peuvent minimiser l’entrée de chaleur et la demande de refroidissement des bâtiments comprennent une isolation améliorée, des surfaces réfléchissantes, l’ombrage, l’orientation des bâtiments, la ventilation naturelle, la conception urbaine, l’aménagement paysager et l’orientation….

Dans la chaîne du froid, les équipement fermés doivent être généralisés notamment dans les commerces où les rayons réfrigérés et les présentoirs de produits surgelés sans porte sont encore beaucoup trop nombreux

Certaines de ces mesures (isolation, ventilation) peuvent être déployées rapidement sur les bâtiments existants (qu’ils soient climatisés ou susceptible de l’être à court terme) de même que des aménagements des espaces urbains comme la végétalisation.

L’intégration de toutes / des techniques de refroidissement passif se fera progressivement lors de la construction des bâtiments nouveaux autant que dans les futurs aménagement urbains. Il en ssera de même pour l’adoption d’équipements de refroidissement à faible pouvoir de réchauffement climatiques quand il devront être installés là ou le refroidissement passif ne suffit pas. Cela signifie que tant pour les maîtres d’ouvrage que pour les maîtres d’œuvre le cadre technique et réglementaire devra être adapté et que les financements privés ou/et publics soient adaptés ? Et suffisants ? (avec des méthodes innovantes au besoin, voir plus loin)

De telles mesures peuvent abaisser de 24 % la croissance de la demande de capacité de refroidissement en 2050 (en nombre d’équipement et de puissance installée), et réduire les émissions de 2050 de 1,3 milliards de tonnes de CO2e (PNUE, 2023).

Amélioration de l’efficacité énergétique

Les développements en cours montrent que l’efficacité énergétique des équipements peut déjà être significativement améliorée en optimisant les performances des compresseurs (vitesse variable, réduction des frottements, monitoring avancé), en substituant les fluides frigorigènes actuels (HCFC : hydrochlorofluorocarbures), par des produits plus efficients (HFO : hydrofluorooléfines,..) et, quand c’est possible, par l’intégration directe d’énergie renouvelable (solaire thermique et photovoltaïque) dans les systèmes.

L’accroissement de l’efficacité énergétique globale du parc des équipement de refroidissement sera d’autant plus rapide que seront généralisées des normes ambitieuses comme celles qui sont déjà en vigueur dans certains pays (Chine pour la climatisation – Canada, l’UE, le Japon, le Royaume-Unis et les États-Unis pour la réfrigération).

L’installation et l’exploitation d’équipements à haute efficacité énergétique, combinés à une réduction de la charge de refroidissement des installations fixes, pourraient réduire la consommation d’électricité de ces équipements en 2050 au niveau de 2022, malgré le triplement de leur nombre. (PNUE, 2023)

3) Remplacement des fluides réfrigérants

La plupart des fluides frigorigènes utilisés aujourd’hui sont des gaz à effet de serre 1000 fois plus puissants que CO2. Ainsi le Fréon R-404A , mélange d’hydrofluorocarbures (HFC) couramment utilisé dans les équipements, a un potentiel de réchauffement planétaire (PRP)* très élevé : 3 922. Des réfrigérants au PRP beaucoup plus faibles sont disponibles pour toutes les production de froid (R-32, R-454C / R-455A, HFO-1234ze, HFO-1234yf) et permettent réduire significativement les émissions de GES résultant de fuites ou de relargage lors de l’utilisation des équipements ou lorsqu’ils arrivent en fin de vie.

* le PRP du CO2 vaut 1

La transition vers des réfrigérants à faible PRP est déjà amorcée et pourra être accélérée par la mise en place d’un cadre réglementaire contraignant à l’instar de ce qui a été mis en place pour bannir les CFC destructeurs de la couche d’ozone.

Outre l’attention qui doit être impérativement portée au démantèlement des équipement hors d’usage, il convient aussi de réglementer la revente de matériels anciens émetteurs de ces réfrigérants excessivement polluants.

Si elles sont complètement mises en œuvre, les mesures ci-dessus peuvent réduire les émissions de GES dues au refroidissement de plus de 60 % d’ici 2050. La réduction des émissions atteindrait plus de 90 % dans un scenario où l’électricité consommée est décarbonée (PNUE, 2023).

Outre l’intérêt que présentent les économie sur un cycle de vie de nouveaux (éco)systèmes de refroidissement, l’activation à l’échelle mondiale des 3 leviers (froid passif, efficacité énergétique, fluides réfrigérants) ainsi que la diversité des situations financières nationales nécessitera la mobilisation d’une large gamme d’instruments financiers publics ou/et privés.

En conclusion : le déploiement du « froid durable » ne pourra se faire sans véritable volonté politique, notamment dans les pays du G20.

Plus généralement, les gouvernements devront (progressivement) intégrer le refroidissement dans une réglementation cohérente et mettre en œuvre des plans d’action nationaux pour assurer la coordination avec toutes les parties prenantes : recherche, industrie, banques et société civile

Xavier Drouet

Le Froid durable a-t-il de l’avenir ? - Hommes et Sciences
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Dernière modification le jeudi, 28 mars 2024
Drouet Xavier

Xavier DROUET, 63 ans, est ancien élève de l'École Normale Supérieure où il a étudié la Physique et la Biochimie. Il est aussi Docteur en Médecine.
Après une carrière scientifique dans la recherche académique, appliquée et industrielle, il a dirigé plusieurs sociétés à fort contenu technologique pendant 15 ans et consacré 8 années à soutenir la recherche, l'innovation et le développement économique au niveau régional et national à des postes de direction au ministère de la Recherche et dans les services du Premier Ministre en France.
Depuis 2015 il exerce une activité d'expertise et de consultant pour accompagner des projets de créations ou de croissance d'entreprises de la microentreprise unipersonnelle à la start-up «techno».
Il est également auteur et conférencier (sciences, économie, stratégie) pour le compte d'entreprises, d'organisations de diffusion de la culture scientifiques et de media d'information pour les professionnels ou le « grand public ».

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