Craignez-vous la prise en main d’Internet par les gouvernements ?
La crainte est réelle. Elle constitue déjà une réalité chez les États autoritaires, que ce soit la Chine qui pratique le blocage et le filtrage – la censure étant qualifiée de « bouclier d’or » avec implication des autorités et des citoyens eux-mêmes, la Russie ou encore Cuba ou la Corée du Nord qui développent leur propre réseau et verrouillent leur communication.
Le risque est de voir une majorité d’États cybersurveillant dans les instances onusiennes comme l’Union Internationale des Télécoms. Celle-ci souhaite jouer un rôle plus important en matière de gouvernance d’Internet. Ceci pourrait constituer un nivellement par le bas avec une régression des droits des citoyens.
Nous avons vu les âpres débats lors de la conférence mondiale sur les télécommunications internationales à Dubaï en décembre dernier pour le réexamen du Règlement des Télécommunications Internationales inchangé depuis 1988, soit bien avant le décollage d’Internet et l’explosion de ses usages. Néanmoins, cette cybersurveillance n’est pas le seul apanage des États totalitaires. La France avec Loppsi 2 ou Hadopi, qui ne résout en rien la question de la rémunération des acteurs des industries créatives, ou les États-Unis avec SOPA (Stop Online Privacy Act) et PIPA (Protect Intellectual Property Act) ne sont pas en reste.
La question est plus celle d’un juste équilibre entre préservation des libertés individuelles des citoyens et contrôle des gouvernements par rapport au cyberterrorisme et autres menaces qu’il convient de juguler pour le bien des internautes eux-mêmes. Toutefois réguler un réseau qui ne connaît pas les frontières est une réelle difficulté : paradis fiscaux à Chypre, Gibraltar, etc., différence dans les approches relatives aux données entre l’Europe et les États-Unis (opt’in vs opt’out) et entre les régimes juridiques (Common law vs droit romain notamment), etc.
Que pensez-vous de l’influence de GAFA (Google Apple Facebook Amazon) et de leur politique de Big Data sur notre liberté de choix ?
Ces acteurs, qui ont atteint rapidement la masse critique d’utilisateurs, sont devenus incontournables pour la majorité des internautes. Et la contrepartie de la gratuité d’un service alléchant est bien souvent l’exploitation des données – que les internautes eux-mêmes fournissent – à des fins commerciales. Ces acteurs, tous américains, arrivent chacun dans leur registre, à bâtir un écosystème autour d’eux, à s’avérer incontournables et à profiter de l’« intelligence de la multitude » qui constitue une grande partie de leur valeur
Dans ce contexte, les enjeux du Big data sont énormes car les données constituent des mines d’information pertinentes à exploiter pour les marketeurs.
Croyez-vous à une co-régulation citoyenne d’Internet ?
Il s’agit d’un corollaire des 4 scénarios évoqués dans le projet européen Towards a Future Internet : le pouvoir aux internautes.
Ce scénario est l’un des plus souhaitables mais le plus utopique même si avec la structure même du réseau et le pouvoir en bout de chaîne, les internautes peuvent jouer un rôle. Nous l’avons vu par exemple avec le Printemps arabe, le mouvement Anonymous, WikiLeaks.
Néanmoins les scénarios les plus probables sont le big brother commercial (avec l’influence grandissante des GAFA que vous citez – et d’autres) et la transition en douceur. Aussi il est nécessaire que le citoyen appréhende les principes fondateurs d’Internet : neutralité d’Internet mais aussi accessibilité, ouverture et interopérabilité. Et également le politique qui devra légiférer. Le nombre de parlementaires rompus au numérique est très faible dans notre pays, ce qui constitue un handicap sachant aussi que la croissance est tirée en grande partie par le numérique...