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Il y a en ce moment beaucoup de débats sur cette approche par compétence, qualifiée d’usine à cases par les uns, de solution idéale pour les autres, de bélier pour venir briser la notation pour certains, et d’outils d’évaluation enfin efficace pour les autres, etc.

Et si tout le monde avait un peu raison ?

Et si la vraie question que posaient enfin ces référentiels et cette approche par compétences n’était pas tout simplement la question de ce qui se joue dans l’acte d’apprendre ?

Et si ce n’était finalement pas cela, le fond du problème : qu’est-ce qu’apprendre ?

Alors oui je suis de ceux qui pensent qu’il s’agit là d’un outil dont il faut absolument s’emparer, mais je suis aussi de ceux qui pensent qu’à le détourner de sa fonction réflexive et formative, il risque de ne devenir qu’une mécanisation de plus de l’éducation, de l’évaluation, avec les mêmes effets pervers que d’autres « systèmes ».

Un nombre certain de cadres, qui voient la révolution numérique et les TICE de façon comptable et « mécanique », y trouvent d’ailleurs une occasion formidable de « numériser » et de « traiter informatiquement » l’acquisition des compétences et leur évaluation, ce qui, à mon avis, finirait effectivement par ne devenir que des usines à cases auxquelles plus personne, hormis les logiciels d’analyse de données, n’y comprendrait plus grand chose.

Mais revenons un peu en arrière, avec l’expérience des PPAP en classe de CE2, il y a quelques années, qui avait été révélatrice de cette problématique. De quoi s’agissait-il ?

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 Le Programme Personnalisé d’Aide aux Progrès (PPAP) faisait suite à la passation du protocole national des évaluations de CE2 en octobre. Cette évaluation comportaient des « items essentiels » indiqués dans le protocole. Lorsque le pourcentage de réussite d’un élève était en deçà d’un certain seuil (75% de réussite) pour ces items essentiels, le PPAP était mis en place pour cet élève, puis évalué vers le mois de mars.

Quels furent les résultats de cette expérimentation à l’époque ?

J’exerçais alors dans un établissement classé ZEP entant qu’enseignant spécialisé RASED, et donc directement impliqué dans le processus du PPAP. Or, si très clairement les résultats sur les items essentiels travaillés (bachotés ?) furent très bons en mars, l’évolution de l’ensemble des résultats scolaire de ces élèves ne fut absolument pas significative… La seule chose que nous avions réussie, et cela au prix de nombreux programmes individualisés et d’un lourd investissement dans le processus, était de prouver que les enseignants étaient capable de « formater » des élèves sur des items jugés essentiels. En gros, un enseignant qui travaille fortement certains items (bachote ?) peut faire réussir un élève à une évaluation… Mais est-ce le rôle de l’école ? 

Je pense que se méprendre sur l’approche par les compétences en éducation, en confondant items, objectifs, compétences, évaluation, et en mécanisant l’acte d’apprendre en vue d’une évaluation construite uniquement sur la base d’un référentiel de compétences risque donc de nous amener aux mêmes travers que les PPAP de l’époque.

L’enjeu est ailleurs, il est idéologique, et pose très fortement la question de l’acte d’apprendre, du métier d’enseignant, de la formation…

L’approche par les compétences est un bon levier qui peut faire évoluer les consciences et les pratiques. Mais elle peut tout aussi bien être détournée pour y cristalliser des idéologies peu soucieuses de se questionner sur l’acte d’apprendre et l’acte pédagogique, en mécanisant et en « industrialisant » l’éducation.

La question n’est donc pas tant pour moi de croire ou ne pas croire en l’approche de l’éducation par les compétences, mais de bien être conscient comment et quelles idéologies s’en emparent.

La dette, la crise, les ajustements budgétaires, ne sont que des prétextes à la suppression de postes, à la destruction des RASED et globalement à l’effacement de la prise en compte de la difficulté scolaire. Les vraies raisons sont, là aussi, idéologiques, et il faut en être bien conscient.

Certains pensent certainement qu’une Education Nationale « instrumentalisée » et « industrialisée », et le socle tout comme les référentiels de compétences peuvent très bien servir à cela, sera plus facile à manager… Comme une entreprise de cosmétiques ?

 Mais cette méprise risque de coûter très cher à la Nation… L’Education Nationale ne peut pas se permettre d’être en faillite, ni espérer trouver un « repreneur » pour un euro symbolique…

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Alors, mesdames, messieurs, je vous invite, plutôt qu’à débattre sur le bien fondé ou non de l’approche par les compétences, à réfléchir aux idéologies qui souhaitent s’en emparer, et à oeuvrer en coeur pour que la question fondamentale de l’acte d’apprendre, articulée à ce que les sciences cognitives, sociales et de l’éducation peuvent aujourd’hui nous apporter, soit au centre du projet éducatif de l’école de demain.

Hebert David

@dawoud68 sur Twitter
Enseignant Spécialisé Psychopédagogie en RASED
Créateur des Petits Dictionnaires Des Pareils
Membre de Projetice, E.l@b, LaboratoireInnovationPédagogique, École2demain.org
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