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Publié par Jacques Dubois @jackdub sur le site Prodageo : Plusieurs lectures m’interrogent sur l’impact du numérique sur la société. Quels sont les enjeux, les potentiels, les freins et leviers, … Il me semble que le numérique offre un vrai potentiel de services mais qu’il est aussi source de peurs. Voici quelques réflexions personnelles pour tenter de cerner la question. 

1 – Définition et problématique

Milad Doueihi, titulaire de la chaire d’humanisme numérique à l’université de Paris-Sorbonne, propose lors de son intervention au colloque Edcamp « les humanités numériques pour l’éducation » une distinction entre l’informatique qui est une science et une industrie et le numérique qui est une culture.

On sent bien cette notion culturelle quand on parle de ‘transition numérique’ pour évoquer l’évolution de nos organisations. On est dans la même logique quand on parle de ‘fracture numérique’ pour regrouper toutes les personnes qui sont marginalisées par l’informatique, que ce soit lié à l’équipement, à l’accès ou à la maîtrise de l’usage.

Autant on pouvait faire l’impasse sur cette culture il y a encore quelques années, autant cela devient de plus en plus délicat quand on voit comme tous les services deviennent accessibles (exclusivement) en ligne. Les stratégies de contournement ou de camouflage ne peuvent plus tenir longtemps. Mais alors, comment fait-on pour acculturer nos collègues ? Nos voisins ? Nos parents ? Et toutes ces personnes qui, petit à petit, sont ‘larguées’ par le numérique ?

Pour répondre à cette question, il me semble important de bien préciser de quoi l’on parle.

2 – Les usages des outils

J’avais proposé il y a quelques temps une classification des outils numériques par famille d’usages (à l’époque je ne faisais pas de distinction numérique/informatique) : apprendre, organiser, échanger, traiter des données, se divertir et consommer.

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Il apparaît que ces outils ne créent pas de nouveaux usages : bien avant l’arrivée du numérique, on jouait déjà, on apprenait déjà, on traitait déjà des données … Si rien n’est nouveau, tout est quand même chamboulé. En effet, l’informatique ne crée pas de nouveaux usages, il les modifie par ce qu’il intègre ‘naturellement’ des potentiels nouveaux.

3 – Les évolutions de l’informatique

L’informatique a évolué ces dernières années dans de nombreuses directions. En voici 7 qui me semblent accessibles au grand public : 

  • Social : le numérique est support de réseaux sociaux qui permettent de se connecter et échanger avec le tiers de la population mondiale (soit 2,6 milliards de personnes, selon wearesocialsg)
  • Mobile : les smartphone et les réseaux de communication nous permettent d’accéder à internet de (presque) n’importe où.
  • Big Data : les échanges de données, la diffusion d’informations et la capacité à les analyser et traiter ne cessent de croître. La diversité des données échangés (texte, image, son, vidéo, like, mesures, échanges bancaires, position géographique,…) couplée à leur quantité et l’intensité de ces échanges permet de parler de big data (caractérisé par les 3 V: Variété, Volume, Vitesse).
  • Local : la géolocalisation permet de proposer des services au plus proche (au sens géographique du terme) du besoin, que ce soit des logements (avec AirBnB), des déplacements (avec blablacar ou Uber) ou des courses alimentaires (avec les drive fermiers).
  • IoT – Internet of Things : l’internet des objets regroupe tous ces objets communicants, du thermostat au cardioféquence-mètre qui permettent de traiter les données de notre quotidien ou piloter notre environnement (domotique, etc…)
  • RA & RV – Réalité Augmentée et Réalité Virtuelle : la Réalité Augmentée et la Réalité Virtuelle arrivent pour nous faire vivre des expériences plus riches, que ce soit lors de la visite d’une expositionla conception d’un nouveau produit ou une opération médicale.
  • IA – Intelligence Artificielle : elle se propage de manière discrète mais certaine, que ce soit pour rendre des objets mobiles autonomes (des drones aux Google cars), pour reconnaître des consignes vocales ou analyser des images (voir 10 startup à suivre dans le domaine

6 de ces évolutions sont présentes dans Pokémon Go : C’est un jeu foncièrement social (partage d’image, constitution d’équipes) qui se joue sur son téléphone en mobilité (pour aller chercher les pokémons qui apparaissent en réalité augmenté) où que l’on soit et tout près de soi (local). Il génère une quantité phénoménale de données (big data) et on peut s’acheter le bracelet connecté pour chasser les pokemons (IoT).

4 – Les potentiels et enjeux

Toutes ces avancées offrent des possibilités considérables dans trois domaines en particulier. Ces opportunités peuvent être formidables mais chaque médaille a son revers, prenons conscience des limites et enjeux stratégiques qui se cachent derrière chacune d’elles : 

  • Fédération de collectif : on se souvient de la pétition contre la loi travail qui a fédéré plus de 1,3 millions de signatures, le développement de wikipédia qui mobilise plusieurs dizaines de milliers de contributeurs, mais aussi les MOOC qui comptent leurs inscrits par (dizaines de) milliers. Ce potentiel est très riche mais il remet en cause les organisations hiérarchiques pyramidales actuelles en introduisant des fonctionnements ‘horizontaux’. Dans les pays anglo-saxons, on parle de Wirearchy pour décrire ces nouveaux fonctionnements qui sont facilités par l’usage des outils informatiques mais sont avant tout des questions d’organisation, de relation et de ‘répartition des pouvoirs’.
  • Mobilité : Toutes les informations et tous nos contacts sont accessibles de n’importe où et où qu’ils soient – et on est bien contrarié quand la technologie nous résiste … Cet aspect est appréciable quand on est à la source de la demande mais elle est beaucoup moins tolérable quand on la subit. les outils informatiques introduisent une perméabilité entre les temps personnels et professionnels (où l’urgence est la norme) ; cela peut générer des pressions difficilement supportables dans la durée.
  • Archivage et traitement des données : Le potentiel d’archivage et de traitement des données ne cesse de croître. Tout est accessible en ligne, de partout et gratuitement. Mais si c’est gratuit, c’est moi le produit ! et je ne suis pas le seul à lire, traiter et analyser tous ces documents que je partage dans mon Google Drive ou tout ce que je poste sur Facebook. Il en va de même pour toutes les traces (inconscientes) que l’on laisse en ligne : requêtes, positions, même un simple clic, tout est enregistré. 

Il est aussi à noter que ces services sont accessibles en continu sur Internet, sans question de jour ou de nuit et que cette continuité de service a un coût énergétique assez considérable et un bilan carbone inquiétant (cf. infographie de e-rse.net).

5 – Revenons à l’acculturation

Pour initier à cette culture, on pourrait aborder l’appropriation des outils informatiques selon 3 dimensions :

  1. Tout devrait partir du besoin : qu’est-ce que je veux faire ? La réponse à cette question oriente vers l’outil (ou les outils) et implique un premier niveau de prise en main opérationnelle. On est dans un niveau de savoir-faire qui n’implique pas forcément une compétence.
  2. Dans un deuxième temps, il faudrait comprendre la logique sous-jacente et maîtriser le choix de l’outil adapté à la situation. On passe alors à un premier niveau de compétence liée à l’usage, que l’on pourrait qualifier d’incomplète.
  3. Enfin, il faut maîtriser les enjeux qui englobent les opportunités mais aussi les contraintes (même mes plus cachées …) On pourrait alors parler  de compétence complète qui correspond à un usage pertinent et raisonné de ces outils.

Ces trois niveaux sont très imbriqués et le découpage peut paraître artificiel mais il permet de repérer des niveaux de compétence qui pourraient être croisés avec les différentes familles d’usage repérées ci-dessus. Cette progressivité est dans la logique du B2i adulteset de la littératie numérique comme présentée par Habilo Média et représentée ci-dessous.

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Cette culture numérique est là ! Et le chantier d’acculturation est très vaste. La question est maintenant de savoir comment déployer une formation massive au numérique pour des personnes éloignées de cette culture ?

Comme vous le constatez, je n’apporte pas de solution clé en main. Vos remarques, analyses, initiatives sont les bienvenues, n’hésitez pas à les partager ci-dessous : nous construirons peut-être ensemble un début de solution !

Article publié sur le site : https://prodageo.wordpress.com/2016/09/28/culture-numerique-enjeux-et-defis/
Auteur : jackdub

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Dernière modification le mardi, 04 octobre 2016
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