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L’intégration pédagogique des TIC en L2 fait face à plusieurs défis de nature organisationnelle, technique et de compétences personnelles. Mais il en est un qui me préoccupe davantage que d’autres, d’autant plus que je suis de retour à l’enseignement après plusieurs années dans des tâches de développement. Et ce défi est celui de la vente d’une pédagogie TIC auprès de la clientèle étudiante, elle-même.
Je crois qu’une bonne stratégie à cet égard doit comprendre des principes généraux, une bonne compréhension de la valeur ajoutée des TIC en ce qui a trait aux compétences langagières, des expériences réussies et une approche acculturante. Dans un esprit de réflexion socioconstructiviste, je me propose de décrire brièvement en quoi consistent ces diverses composantes stratégiques.
 

Des principes généraux : alphabétisation numérique et autoformation

Des étudiants adultes en langue seconde peuvent réagir négativement à l’idée de participer à un projet TIC pour les motifs suivants : manque de compétences techniques ou, à l’inverse, le désir de réserver celles-ci à leurs activités professionnelles. D’autres peuvent confondre une formation en langue à une suite limitative d’exercices de grammaire au lieu d’y voir une expérience socioculturelle à portée professionnelle.
 
Dans de tels cas, d’importants arguments persuasifs nous viennent, d’une part, des liens étroits établis entre l’alphabétisation numérique et le monde du travail et, d’autre part, de l’importance des TIC sur le plan de l’autoformation. Soit que les étudiants font d’une pierre deux coups en acquérant des compétences professionnelles de base essentielles en combinant TIC et langue, soit qu’ils apprennent à investir leurs connaissances techniques dans une perspective éducative.
 

Les compétences langagières : penser à la nature du projet d’abord

Souvent l’engouement de l’enseignant, crack des TIC, se heurte à une opposition farouche de la part d’une clientèle (et même de collègues) qui ne partage pas du tout le même intérêt pour la chosetechnique, ou encore, qui se plaît à relever des incidents survenus à la suite d’un malencontreux usage des technologies. Qui n’a pas entendu d’histoires concernant le filtrage des réseaux sociaux menant au congédiement d’un employé ou à la démolition de réputation, par exemple ? L’existence de ces cas nous oblige à formuler une défense des TIC, basant celle-ci sur la nature des projets visés beaucoup plus que sur la technique et sur l’énumération d’une valeur ajoutée par rapport aux habiletés langagières.
 
  • Compréhension écrite et orale : abondance de documents à portée de main par le biais du Web et accès à des outils d’aide à la tâche comme des dictionnaires ou des grammaires en ligne. On pense ici à des outils comme Le Trésor de la Langue Française informatisé,Reversodictionnaire, Reversogrammaire, et Le conjugateur. Non seulement ces outils garnissent-ils un immense bureau virtuel, mais plusieurs se transportent sur soi par le biais d’un simple téléphone cellulaire, renforçant du même coup les ressources au service de l’autoformation ;
  • Production écrite et orale : en plus des outils mentionnés pour les habiletés de compréhension, on pense ici à des outils d’organisation de notes, des correcteurs comme Antidote, ou encore à des synthétiseurs vocaux. De nouveau, il s’agit d’outils qui permettent aux étudiants de progresser par eux-mêmes dans leur apprentissage ;
  • En interaction écrite et orale : il est évidemment question ici d’outils comme les blogues et de l’abondance des ressources des logiciels sociaux.
 
Mais la nomenclature de tels produits a souvent peu d’impact sur les personnes récalcitrantes à l’usage des TIC. Il manque le glamour des relations humaines. Lors de mon mariage récent, c’est par la magie d’Internet que des familles entières habitant différentes localités de la Colombie et du Venezuela ont pu suivre la cérémonie en direct, grâce à une structure de visioconférence relativement rudimentaire et bon marché : un téléphone intelligent comme source WiFi, un ordinateur portable, un trépied muni d’une pince pour soutenir une simple Webcam, le tout associé àSkype Premium pour nous assurer d’une visioconférence multipoints.
 
Rien de bien sophistiqué sur le plan technique, mais un dispositif puissant comme argument de vente du Web 2.0 et de la téléphonie cellulaire, souvent décriés comme des outils au service d’une inutileoisiveté, par des gens qui ne voient pas ou qui refusent d’en voir les bienfaits possibles. En matière de didactique des langues, le stratagème décrit précédemment rend dès lors possible des scénarios de jumelage linguistique ou de partage d’expériences dans des lieux extrêmement divers et d’ordinaire inaccessibles.
 

Une stratégie acculturante

Les bons principes de l’intégration des TIC et des expériences glamour devraient servir au déploiement d’une stratégie de vente comprenant essentiellement les volets suivants : discussion au sujet des TIC et des expériences réussies avec une rétroaction.
 
  • Discussion sur les TIC en L2 : Il s’agit ici de traiter des TIC comme l’un des sujets de discussion des étudiants avec comme sous thèmes la question de l’usage personnel, des dangers et des mesures de sécurité, puis d’en faire ressortir des avantages et des propositions de projets ;
  • Expériences réussies : Avant de forcer un groupe à s’impliquer dans un projet de grande envergure, il peut s’avérer important de faire vivre de petits projets comprenant de nombreuses boucles de rétroaction visant à faire le lien entre les apprentissages réalisés et les habiletés langagières.
 
La discussion, l’expérience et la réflexion sur la pratique permettraient la mise à niveau des membres du groupe soit sur le plan des compétences techniques, soit sur l’usage des TIC à des fins pédagogiques, contribuant du même coup au développement d’une culture de l’usage des technologies dans l’apprentissage en L2. Ce faisant, les participants tissent également davantage de liens entre la théorie et la pratique et en arrivent à une meilleure compréhension de la pertinence de l’usage des logiciels répondant aux besoins des habiletés langagières.
 
 
Conclusion
 
 
Tel que mentionné au début de cet article, l’engouement des uns à l’égard des TIC en éducation se heurte souvent à des visions opposées qui impliquent de notre part des efforts de vente. De manière globale, les technologies en L2 s’inscrivent très bien dans une démarche visant l’autoformation et une plus grande professionnalisation des étudiants adultes, en plus de renforcer la banque des moyens d’apprentissage reliés aux habiletés langagières. Ces données peuvent servir au développement d’un argumentaire sur l’usage des TIC en L2, mais serait plus persuasif si s’ajoutaient au questionnement cognitif des arguments de nature affective, comme les relations sociales et la réflexion sur des expériences réussies. Nous toucherions ainsi plusieurs cordes de l’esprit humain.
 

Texte : Luc Renaud, M.A. Sciences de l’éducation

Renaud Luc

Luc Renaud est spécialisé en technologie éducationnelle et enseigne le français langue seconde depuis plusieurs années auprès d’une clientèle adulte immigrante. Détenteur d’une maitrise en éducation, il a aussi été chargé de cours à l’Université de Montréal dans le domaine de l’intégration pédagogique des TIC, et a participé à des projets de recherche portant sur la formule hybride et le socioconstructivisme. Il possède également une solide expertise en développement et expérimentation de formations en ligne et s’intéresse vivement à la collaboration internationale. 
Mal à l’aise dans le milieu scolaire, il croit à une remise en question continuelle de l’école ; il tient d’ailleurs un blogue, L’éduc-acteur, le Blogue de Luc Renaud, sur des thèmes variés, qui mettent de l’avant l’importance de l’autoformation.
Il est aussi entrepreneur, ayant démarré récemment une entreprise de consultant en technologie éducationnelle, La boîte à idées E.T.L.R. Ideas Boxdans la région de Montréal.


Montréal, Québec (Canada)