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Une guerre toute pédagogique sévit présentement au Québec.  Les obsédés, un peu maniaques, des données probantes montent au front !  Le lobby des partisans (qui sont de plus en plus nombreux) tente par tous les effets médiatiques possibles d’imposer un enseignement tout scientifique essentiellement fondé sur les «données probantes».  Leur avancée dans le discours public m’effraie un peu. 

Les données probantes ?

«Les «données probantes» un nouveau dogme» : cet article de Frédéric Saussez de l’Université de Sherbrooke et Claude Lessard de l’Université de Montréal paru dans Le Devoir le 22 décembre 2016 décrit la situation de l’Evidence-based practice (EBP) avec simplicité (i).

Une donnée probante est le produit d’un type de recherche particulier …. une démarche expérimentale précise: l’essai contrôlé randomisé dont la fonction est d’attribuer avec le moins de doute possible que c’est bien le traitement X qui produit un effet Y….

Ce mouvement a trouvé un écho favorable dans différents champs de recherche structurés … ce mouvement renforce l’idéologie d’une gouvernance par les chiffres … la rhétorique de la preuve permet de justifier de nouvelles formes de contrôle de l’action publique … Elle concrétise aussi le projet de certains acteurs d’y prendre le pouvoir … Les tenants de l’EBP sont donc animés par la croyance que, pour soigner l’éducation, les prescriptions organisant le travail enseignant doivent être musclées à l’aide de ces données…. Celles-ci ne fournissent-elles pas, en effet, les moyens les plus rationnels pour atteindre les buts fixés aux enseignants?

Ce mouvement … repose sur l’idée que l’activité de l’artisan en éducation peut et doit être soumise à la rationalité instrumentale. … Qualifiées de légendes, modes ou superstitions, (certaines pédagogies et conceptions de l’éducation ) doivent être éradiquées afin de laisser la place à une pratique rationnelle …

L’origine de ce mouvement

Le concept de «données probantes» trouve sa notoriété par son usage en médecine. C’est un médecin canadien Gordon Guyatt qui a formé avec des collègues le Evidence-based Medecine Working Group et publié en novembre 1992 dans le Journal of the American Medical Association (JAMA ) : Evidence-Based Medicine, A New Approach to Teaching the Practice of Medicine (ii) -

Voici la traduction française du premier paragraphe de cet article :

Un NOUVEAU paradigme pour la pratique médicale est en train d'émerger. La médecine factuelle ne met pas l'accent sur l'intuition, l'expérience clinique non systématique et la justification physiopathologique comme motifs suffisants pour la prise de décision clinique et met l'accent sur l'examen des preuves issues de la recherche clinique. La médecine factuelle exige de nouvelles compétences du médecin, y compris une recherche efficace de la littérature et l'application de règles formelles de preuve évaluant la littérature clinique. (iii)

L’article de Wikipédia : Médecine fondée sur les faits (iv)éclairera le lecteur sur la portée de l’utilisation des données probantes en médecine, particulièrement je l’espère, les trop nombreux éducateurs qui font la promotion des données probantes comme le Graal qui résoudra tous les problèmes en éducation qu’ils savent d’ailleurs très bien souligner pour mieux appuyer leur thèse. La médecine fondée sur les faits conjugue :

  • l’expertise du clinicien, sa compétence, son jugement (donc en enseignement, l’expertise de l’enseignant.e
  • le patient, la prise en compte de ses droits, deses préférences concernant le traitement (donc en enseignement, prendre en compte la personnalité de l’élève - ce que certains nommeraient les styles d’apprentissage -)
  • Les meilleures données cliniques externes, évaluation critique de la validité et de l’utilité des résultats trouvés pour une prise en charge personnalisée de chaque patient (de chaque élève !)

Nous sommes loin du ONE SIZE FITS ALL que me semble prôner les indéfectibles tenants d’un enseignement fondé sur les données probantes.

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Source : Décision médicale selon l’EBM Antivolt - travail personnel

Les objections

Préconisées depuis trente ans maintenant, Evidence-based medicine (EBM), donne lieu à de multiples mises-en-garde aux quelles les éducateurs devraient réfléchir avant de faire de ce récent paradigme l’incontestable fondement de leur modèle éducatif :

  • La médecine est autant art que science, dit-on pour s’objecter à l’EBM. L’éducation l’est encore davantage car la relation enseignant.e/élève est strictement du domaine d’une relation humaine et non de l’usage d’une médication chimique sur un corps humain.
  • Censée réduire la part de subjectivité dans la décision médicale, elle entraîne diverses déviances (telles que l'application mécanique des recommandations issues des études de l'EBM) et entrave la liberté intellectuelle du médecin - ce qui s’applique aussi à l’enseignant.e. En fondant essentiellement les interventions pédagogiques des enseignants.es sur les pratiques supportées par des données probantes ne risque-t-on pas de dévaloriser davantage la profession enseignante ?
  • L'approche factuelle de la maladie et de la thérapeutique s'appuie sur des modèles statistiques où la maladie (l’enseignement) n'est plus envisagée du point de vue de l'individu (du sujet), mais du point de vue de la population (du groupe)
  • Il existe des problèmes à résoudre en médecine (en enseignement) de «premier contact»où se mêlent des dimensions sociales, culturelles, familiales, …
  • … une divergence entre deux logiques lorsqu'il s'agit pour le médecin (ou de l’enseignant.e) de mettre en œuvre dans "la vraie vie» …. d’une part la logique objective, essentiellement statistique, des grands essais cliniques, d'autre part, la sienne propre, subjective et fondée sur l’humain (et j’ajouterais sur son expérience professionnelle)
  • … selon les critiques de l'EB, cette démarche est limitée d'un point de vue épistémologique et méthodologique, d'un point de vue pratique et théorique. Les démarches par les faits (l’enseignement par les données probantes) peuvent être ainsi considérées comme du techno-scientisme

Anecdotes personnelles

Il y a 25 ans environ, suite aux résultats de recherches, mon médecin m’a recommandé de prendre des suppléments d’Oméga-3-6-9 pour favoriser ma santé cardio-vasculaire. Il y a une quinzaine d’année elle m’a souligné que les plus récentes études indiquaient que les Oméga-3-6-9 auraient un effet contraire à celui recherché. Ce sont les suppléments d’Omega-3 qu’il faut prendre.

Les oméga-3 et leurs propriétés font l'objet de nombreuses recherches chaque année, ce qui entraîne une évolution rapide et des mises à jour fréquentes dans les recommandations nutritionnelles à leur sujet …

On m’a prescrit des Pro AAS EC (fréquemment nommés aspirine de bébé). Je prends depuis de nombreuses années à chaque jour ce médicament anti-plaquettaire qui « éclaircit » le sang pour la prévention des maladies cardiovasculaires. Or, lors de ma dernière rencontre avec mon médecin, elle m’a recommandé de n’en prendre que trois fois la semaine … recommandation de nouvelles études cliniques suite peut-être aux nombreuses ecchymoses provoquées par la prise régulière d’un tel médicament.

Ces deux anecdotes illustrent la prise en compte des résultats des études cliniques en médecine préventive par mon médecin. Or, c’est très facile de changer la prescription d’un patient, quelques mots sur une feuille et une signature. Changer la pédagogie d’un.e enseignant.e pour suivre l’évolution des résultats de nouvelles études qui diffèrent des études précédentes est plus complexe. Ce qui est «scientifiquement prouvé» aujourd’hui sera peut-être «aberration» demain.

Les données probantes ont leur place en éducation … il importe de les traiter comme «des hypothèses de travail et non comme des programmes à exécuter de manière rigide» (v)

Pour s’informer davantage :

Si vous ne lisez qu’un seul article, je recommande :

«Éducation basée sur les données probantes» Céline Ailleris, Studocu, Université du Québec à Trois-Rivières, Septembre 2020

https://www.studocu.com/fr-ca/document/universite-du-quebec-a-trois-rivieres/psychologie-cognitive-i/education-basee-sur-les-donnees-probantes/9334829

  • «Les données probantes en éducation» Réseau d’information pour la réussite éducative (RIRE) du Centre de transfert pour la réussite éducative du Québec (CTREQ).

https://www.ctreq.qc.ca/les-donnees-probantes-en-education/

  • «L’arrimage entre la recherche et la classe, ou les données probantes en éducation» MARYLINE BARRETTE DUBÉ, École Branchée

https://ecolebranchee.com/arrimage-recherche-classe-donnees-probantes-en-education/

  • «Données probantes : quel rôle pour la recherche qualitative?»

Maunier, S. (2019). Données probantes : quel rôle pour la recherche qualitative? Recherches qualitatives, 38(1), 71–87. https://doi.org/10.7202/1059648ar

https://www.erudit.org/en/journals/rechqual/2019-v38-n1-rechqual04566/1059648ar.pdf

Certains auteurs appréhendent le danger de considérer les recherches expérimentales et quasi expérimentales comme supérieures aux autres démarches (Jacob, 2009) et d’appauvrir ainsi les connaissances scientifiques (Hammersley, 2013) …

Déterminer «ce qui marche» et donc de décrire les «bonnes pratiques» passent, pour les laudateurs de l’EBP, par la réalisation de méta-analyses et de revues systématiques de recherches … la sélection des travaux axés sur les expérimentations et les tests randomisés exclut un grand nombre de recherches …

[i]  Les «données probantes» un nouveau dogme

  https://www.ledevoir.com/opinion/idees/487597/les-donnees-probantes-un-nouveau-dogme

[ii]  https://jamanetwork.com/journals/jama/article-abstract/400956

[iii]  Version originale du texte :

A NEW paradigm for medical practice is emerging. Evidence-based medicine de-emphasizes intuition, unsystematic clinical experience, and pathophysiologic rationale as sufficient grounds for clinical decision making and stresses the examination of evidence from clinical research. Evidence-based medicine requires new skills of the physician, including efficient literature searching and the application of formal rules of evidence evaluating the clinical literature.

[iv]  Médecine fondée sur les faits

https://fr.wikipedia.org/wiki/Médecine_fondée_sur_les_faits

[v]   Les «données probantes» un nouveau dogme

  https://www.ledevoir.com/opinion/idees/487597/les-donnees-probantes-un-nouveau-dogme

 

Dernière modification le vendredi, 10 février 2023
Ninon Louise LePage

Sortie d'une retraite hâtive poussée par mon intérêt pour les défis posés par l'adaptation de l'école aux nouvelles réalités sociales imposées par la présence accrue du numérique. Correspondante locale d'Educavox pour le Canada francophone.