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C'était le lendemain du Jour C – C, comme la première lettre de cet hebdo satirique qu'on a cru assassiner alors qu'on lui donnait des ailes.
Mes élèves ont pris l'habitude de me parler, quand il y a lieu, beaucoup, beaucoup trop, aux yeux de certains inquisiteurs qui préfèrent la voie de la chicote ou de la kalachnikov.

Ils n'étaient pas tous apeurés, enfin certains si, déjà, car ils comprenaient, pas besoin d'explication. Non, la plupart étaient nerveux, fébriles, avides d'une réponse qu'on ne pouvait pas leur donner complètement – à moins d'une insulte à l'éducation.

Alors j'ai essayé, j'ai beaucoup raconté, exposé, expliqué, débrouillé, repris, rouvert, refermé, tapé du poing sur la table ou adoucit les terreurs avec des paroles incantatoires, creuses, inutiles – mais incantatoires.

Je l'ai fait sept heures durant, ce qui, seul, est beaucoup trop long, beaucoup trop solitaire, comme exercice, mais allez dire cela, là-haut, à celui qui se renfonce tranquillement dans son siège en cuir de lama, en grignotant son bout de cigare au goût de cadavre.

Ils sont partis satisfaits, mes élèves, rassurés, sans doute, se disant peut-être qu'ils étaient protégés, ou encore, qu'il y avait en fait quelque chose, quand même, à comprendre – que ça pouvait être ça, aussi, la liberté, un sacrifice, pour les autres, qui ne se réveillent pas à temps, une liberté qui, pour braver l'indifférence, ne doit pas avoir peur, elle, de braver la mort.

Je leur ai dit tout de go – pas la peine, à leur âge, d'expliquer le détour de chaque mot, ils comprennent la plupart de vos propos d'intuition, plasticité du cerveau sans doute, qui ne s'est pas encore figé dans sa gangue conformiste.

Allez savoir pourquoi ! C'est comme cela – ils m'ont quitté comme "rassasiés", comme après une bonne partie de jeux, cachant l'angoissante forêt qui réapparaît dans la rue, la cour de récré, au foyer, partout où, soudain, ils rencontrent les mauvaises personnes.

Ils sont partis "rassasiés", mais pour ma part, je suis resté sur ma faim de transmission. J'ai eu le sentiment de soulever, un peu, le couvercle de la marmite, pour le rabattre tout de suite à cause de l'ébullition menaçant de blesser les petits commis autour.

Et puis le lendemain, ils ont remis cela, oui, car ils ne s'arrêtent plus, si vous ne leur proposez pas, plutôt qu'un os à ronger, la vérité.

Parvenu en la sacro-sainte Fin-de-Semaine, j'ai réfléchi un moment à comment attaquer véritablement le problème. J'en suis arrivé à la conclusion qu'il fallait leur apprendre à faire de la caricature.

Etudier un problème, le comprendre, progresser à travers lui comme à la machette au milieu de la jungle – en l'occurrence, le thème d'éducation civique sur "La sécurité et les risques majeurs. Puis, arriver sur la berge d'un fleuve, en légère hauteur, et contempler d'un long regard l'ensemble du chemin parcouru. Etre en mesure, alors, de produire sa propre caricature, parce qu'on sait désormais manipuler les vérités du chemin, non pour les effacer mais s'en amuser et les rendre accessibles à tous les mollets. Les amener à l'humour en somme, peut-être le sommet de l'esprit, et le sésame, pour qui veut dire ou faire ce que tout le monde veut lui interdire.

En bossant le cours, je me rendis compte par moi-même, qu'en dehors de la polysémie que comporte un message de caricatures à qui l'a comprise, on pouvait trouver trois niveaux de perception dans un dessin satirique : le "message évident", que certains pauvres d'esprit et/ou de cœur prennent pour comptant, le "message sous-entendu", l'ironie en somme, qui, si votre voyage se passe bien, doit vous amener à penser le contraire de ce qui est dessiné, le "vrai message" enfin, ou "message caché", qui vous permet de réfléchir à certaines choses que la masse routinière ou les chefs en mal d'autorité veulent vous empêcher de voir, pour vous empêcher de penser, de vous libérer, etc.

Trois degrés donc, at least, comme dirait nos meilleurs ennemis les roast-beef, qu'on aime saignants sauf sur le champs de bataille – trois degrés qui, certes, ne sont pas simples à voir, comme le nez au milieu de la figure, pour les enfants comme pour les adultes, mais possibles à percevoir pour quiconque lâche la bride de son esprit et décide qu'il est prêt à tout regarder, tout entendre, tout essayer, non par quelque curiosité mal placée mais grâce à cette belle chose qu'on nous a donné – la soif de vivre.

Le secret, pour la découvrir ou la retrouver ? C'est qu'il n'y a aucun secret, tout est là, sous vos yeux, il suffit de se servir; mais il ne faut pas écraser le voisin, car ce n'est pas gentil, pas intelligent non plus, car il finira, même s'il est patient, par vous envoyer une gifle douloureuse – idiote aussi mais douloureuse.

Et ne jamais croire qu'on est arrivé, car il n'y a pas de fin à la vie, seulement autre chose, ne jamais croire qu'on est arrivé, sinon on devient la caricature de ce contre quoi on pense lutter.

Initialement publié sur le site : http://leonbellevalle.blog.lemonde.fr/2015/03/28/les-caricatures/

Dernière modification le lundi, 30 mars 2015
Bellevalle Leon

Professeur d’histoire-géographie au collège depuis cinq ans, je m’occupe de niveau 6e, 5e, 4e, 3e ; je suis prof principal en 5e et coordinateur de l’équipe disciplinaire au sein de l’établissement. Depuis mes débuts, je mets aussi en oeuvre des projets transdisciplinaires, avec des professeurs de mathématique, musique, français, art-plastique, technologie... Passionné par mon métier et mes élèves, je ressens le besoin d’exprimer mes idées sur un système qui me paraît souvent rigide et de moins en moins en phase avec la modernité. En plus d’articles spécialisés, je tiens un blog à vocation littéraire et historique.