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En introduisant la question d' " une politique de recensement, d’accroissement et de renouvellement des ressources humaines de l’éducation nationale sans copier pour autant les services des RH des entreprises privées (j’ajouterai publiques et publiques-privées) et en évitant les dérives ", Jacques Puyou nous propose de réfléchir sur le recrutement des ressources humaines de l’éducation nationale.

Quand un DRH recrute, il le fait en fonction de la finalité d’un cahier des charges d’une entreprise ou d’une administration dont l’objectif est la production d’objets matériels allant de données statistiques à la série d’objets matériels. Il recrute pour que cette production d’objets conceptuels ou matériels corresponde à une exploitation dans un système économique déterminé et une organisation politique correspondant à des règles juridiques implicites ou explicites.

Ce type de recrutement appliqué à l’éducation, l’enseignement et la formation professionnelle demande que le personnel recruté soit l’agent d’un système qui produit des hommes et des femmes conformes  à  des objets conceptuels ou matériels de série, correspondant à un système économique et à une organisation juridique du politique.

Le recrutement du personnel se fait en fonction de l’objectif de la fabrication d’un Homme- Objet.

L’Histoire du 20ème siècle montre que ce mode de recrutement du personnel éducatif appartient aux régimes totalitaires et dictatoriaux qu’ils soient monarchiques, oligarchiques ou démocratiques.

Des philosophes, des hommes politiques, des acteurs de terrain l’ont dénoncé et proposé d’autres modes de recrutement basés sur une autre conception de la formation des femmes et des hommes soit de l’humain.

De tout temps des supports matériels accompagnèrent les échanges oraux collectifs ou en face à face . en forçant le trait, nous pouvons dire que nous sommes passés de la tablette d’argile à la tablette numérique.

Ces différents outils sont des produits de l’écriture manuel, de la production  manufacturée en particulier avec l’imprimerie, de la production industrielle avec la diffusion des images et des sons par différentes techniques dont la dernière est le numérique. Ils ne sont pas neutres, ils transmettent la conception d’un contenu décidé soit par une institution, soit par un groupe social, soit par un auteur.

Quand la décision est de fabriquer des hommes-objets, le recrutement du personnel est simple : il s’agit de recrutement un personnel qui respecte le cahier des charges et utilise strictement les outils conformes à la décision, comme cela se passe sur une chaine de montage d’objets matériels ou avec l’application des normes statistiques. Le recrutement consiste à choisir des agents susceptibles d’appliquer les instructions et de se donner par la suite les moyes de mesurer les écarts entre les directives et leur application. Ce modèle a lui-même montré ses limites dans l’entreprise.

Quand la finalité devient celle de donner à une personne la capacité de développer ses caractères spécifiques par des propositions cognitives, comportementales et physiologiques, le recrutement doit trouver d’autres critères que celui déterminé par un cahier des charges ; l’action n’est pas alors l’application d’une norme exogène pour produire des objets  mais se crée à partir à partir des spécificités propres à chaque personne pour qu’elle puisse s’approprier ses propres possibilités et son environnement comme un bien.

La définition des directives pour ce nouveau profil de recrutement est un enjeu du 21ème siècle ; les recrutements au cours des siècles précédents furent dominés par la volonté de choisir un personnel qui suive strictement les contenus de directives formant cahier des charges et contenu de manuels soit imprimés, soit audio-visuels, soit numériques.

Se saisissant des limites de ces instructions, l’étude des pratiques de terrain montre que la volonté du personnel est de mettre à distance  ces contenus et leur mode de diffusion pour permettre à l’apprenant de développer sa propre personnalité soit par une formation cognitive à l’analyse critique, soit par une confrontation des contenus des manuels à l’expérience, soit par une mise en situation utilisant les moyens de production et de diffusion des connaissances instituées à d’autres fins.

Ces expérimentations permettent de dégager des pistes pour orienter le recrutement des futurs enseignants, éducateurs et formateurs.

Le candidat conçoit la transmission des pratiques et des acquisitions cognitives comme le lieu où les critères personnels de l’appréhension du monde se mettent en relation avec d’autres savoirs, d’autres expériences et d’autres modes de leur production. Il reconnaît à chacun sa propre identité tout en montrant la sienne pour définir une finalité commune. Il envisage de développer chez l’apprenant la reconnaissance de la singularité de chacun et de chaque proposition sans qu’il y ait un déni de la sienne, soit un comportement d’altérité. Il envisage qu’un de ses rôles est de transmettre à l’apprenant une perception hologrammatique de son environnement et la possibilité d’augmenter sa propre singularité par un déplacement de sa posture initiale. Ce candidat doit être capable d’appliquer à lui-même le comportement qu’il attend du public qui lui est confié.

Le candidat fait preuve d’une connaissance disciplinaire approfondie en tant que lieu d’un débat dialogique et d’effets récurrents.

Toute discipline enseignée concerne l’homme. Il s’agit ici que le candidat ait une conception du contenu de sa discipline comme représentatif d’une partie de l’environnement humain et de ce fait concernant l’humanité. Le candidat possédant le corps de sa discipline conçoit que l’explication d’un fait produit par sa discipline est partie d’un tout qui comprend les autres approches proposées par d’autres disciplines et que cette propre explication dépend de ce tout : les explications disciplinaires ne sont pas sommatives, elles sont hologrammatiques.

Dans une société dominée par un modèle qui conjugue technique et circulation de l’information, l’étude physique des matériaux qui permettent à ce système d’exister est une partie du tout qui concerne ces matériaux. Ce tout concerne des faits sociaux, des faits économiques, des faits politiques, des faits psychologiques, des faits historiques, des faits culturels… Cette étude physique est elle-même est tributaire de ce tout.

Ces trois considérations ne sauraient être exhaustives et normatives. Elles souhaitent sensibiliser à un point de vue sur le recrutement du personnel qui prend en charge l’éducation des hommes et des femmes au sens large.

Elles poursuivent une volonté d’une mise en perspective des identités des personnes sans omettre la finalité de l’altérité et du dialogue, elles considèrent l’environnement comme un fait dont il est possible de tirer des ressources non simplement pour améliorer un système mais pour questionner le système existant ainsi les Circuits Fermés de Télévision scolaire ont au cours des années 1974-1984 remis en question la notion de classe. Elles introduisent une réflexion sur l’association « Technique et information » en considérant que les supports des informations deviennent des biens humains quand le candidat à recruter comprend les compatibilités nécessaires pour les utiliser, les débats contradictoires qu’ils suscitent et leur place dans la connaissance.

Pr. Alain Jeannel.

Septembre 2016.

Référence Jacques Puyou : http://www.educavox.fr/edito/de-l-humain-encore-de-l-humain

Je dédis ce texte à tous ceux que j’ai rencontrés lors de mon entrée au Ministère de l’Education Nationale.

Suite à la prolongation de la scolarité jusqu’à seize ans (6 février 1959) et de la transformation des cours complémentaires en CEG (1963-1976) et en CES, les études statistiques (in Population, année 1958, vol.13 p.196) prévoient une augmentation de 80 °/° de la population de ces structures de 1959 à 1972. Un recrutement d’instituteurs intérimaires sur titre avec astreinte à une formation continue au cours de leur activité professionnelle répond à cette demande. Une génération de jeunes femmes et de jeunes hommes qui avait imparfaitement suivi l’enseignement universitaire, qui avait eu des expériences ou des formations professionnelles variées le plus souvent dans les milieux associatifs et culturels ou des expériences personnelles éducatives avaient une forte motivation pour transmettre leur vécu avec enthousiasme à des populations scolaires qui le plus souvent se trouvaient éloignées de leur origine géographique, de l’urbain au rural, ou de leur origine sociale, de la ville centre aux banlieues. Les plus motivés, les plus ambitieux dans leur désir de transmettre abandonnèrent dés les premiers mois d’exercice. Confrontés aux attentes bureaucratiques et normatives de conseillers pédagogiques de formation académique dont la fonction était de transmettre les directives ministérielles, ils comprirent que l’enthousiasme, l’empathie pour les autres ne pourraient s’exprimer. Au cours de brefs échanges, ces conseillers  pédagogiques exprimaient la différence entre leur expérience d’enseignant et les instructions officielles : s’ils ressentaient un sentiment de double contrainte, ils n’avaient pas les moyens de lui donner du sens dans une formation de jeunes adultes ayant déjà vécues des expériences extérieures au système du Ministère de l’Education Nationale.

Que de richesses furent alors perdues pour l’Education Nationale.

Dernière modification le mardi, 27 septembre 2016
Jeannel Alain

Professeur honoraire de l'Université de Bordeaux. Producteur-réalisateur. Chercheur associé au Centre Régional Associé au Céreq intégré au Centre Emile Durkheim. Membre du Conseil d’Administration de l’An@é.