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Ludovia s’achève et je n’ai pas eu le temps de bloguer, tiraillé entre les multiples tâches(twitter, assister aux conférences, rédiger des notes de synthèse, présenter les mondes virtuels aux fabcamp). On commence tôt et on fini tard. Je vais tenter a posteriori une synthèse.

kaleidoscope-3-ee1f8Nous avons largement débattu des enjeux des nouvelles technologies dans les dispositifs éducatifs. La place importante qu’occupent celles ci (dont certaines méritent encore le qualificatif de nouvelles), ne doit pas nous faire oublier que nous avons enraciné en nous cette envie de l’encyclopédisme, le désir de transmettre, l’envie de recevoir, et ce depuis des temps immémoriaux. Nous sommes les héritiers des peintres de Niaux (1) et du grand vizir de Perse Abdul kassem Isma’Il , qui, afin de "ne pas se séparer durant ses voyages de sa collection de cent dix sept mille volumes, faisait transporter ceux ci par une caravane de quatre cents chameaux entraînés à marcher par ordre alphabétique" Alberto Manguel (2).

Utiliser les reliefs pariétaux d’une grotte pour donner un effet de mouvement à une représentation animale ou dresser des chameaux pour classer ses ouvrages, se réunir à Ludovia, autant de stratégies destinées à diffuser le savoir.

Ce billet sera construit en s’inspirant du principe du kaléidoscope. À défaut de pouvoir livrer une image nette, aux contours précis de ces quatre jours de présence à Ludovia, je tenterai de vous présenter mes impressions, au sein des fragments des différents miroirs du dispositif, en espérant qu’ils ne soient pas trop déformants. L’image que je vais vous présenter sera l’assemblage de mes perceptions sur les politiques de élus, sur la vision des psychiatres de la culture du livre et de la culture du numérique. Ce sera aussi une réflexion sur l’émergence des nouveaux espaces numériques

La présence des élus à été soulignée par tout le monde. Nul n’est resté insensible à leur présence, que se soit sous forme de tweet furibard par Serge Soudoplatoff (numéro un des tweets et RT pendant une période) qui déplorait leur trop grand nombre, ou par l’assistance nombreuses venue écouter les débats. Les séminaires auxquels j’ai assisté ont mis en exergue un clivage français historique. J’entends par là l’opposition traditionnelle entre les girondins et les jacobins ou de façon plus explicite l’état du rapport de force entre l’État et les collectivités locales. Nicole Belloubet a dit lors d’une intervention "n’ayez pas peur des élus". C’est une belle invite, me semble t-il, à un débat autour d’une question, que je qualifierais de tabou. Peut-on donner une part compétences pédagogiques aux collectivités locales ? Le volet trois décentralisation nous donnera peut être des pistes (des réponses ?) 

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sur cette question politiquement sensible, à fortiori dans un contexte de crise.

Dans un tweet, je résumais ce débat en disant "les payeurs, ne sont pas les décideurs". Les payeurs sont dans une situation inconfortable. Ils oscillent entre l’exercice de la compétence liée du financement des outils numériques et la nécessité d’évaluer la pertinence des usages pédagogiques (traduisez le ROI des investissements). Afin de s’acquitter au mieux de cet impératif de bon emploi des ressources publiques, les collectivités locales mettent en place des observatoires (quantitatifs et qualitatifs) pour analyser l’adéquation (ou l’inadéquation) des investissements au regard des usages pédagogiques des enseignants. Les COCA (5) de la ville de Saint Maur des Fossés est un exemple intéressant de ce point de vue.

La vraie force de Ludovia est cette volonté affirmée d’établir des ponts entre les préoccupations des enseignants pédagogues et les politiques. Je crois même que c’est l’intelligence des organisateurs, qui va à l’encontre d’un certain discours (naïf) qui tendrait à faire croire que tout se résout par la pédagogie et seulement par la pédagogie. Le champ du pédagogique n’a de sens que si on l’immerge dans un bain social où le politique à sa place (et toute sa place). Oserait-on dire que Langevin et Vallon n’avait d’engagements, que pédagogiques ?

La présence de Serge Tisseron, qui nous a brillamment expliqué la différence entre la culture du livre et la culture numérique, posait en filigrane, un débat sur l’espace éducatif. Le numérique nous donne à conquérir, à explorer de nouveaux horizons aux structures protéiformes. La culture du livre qui est apparue avec le livre sacré, est dans une phase de basculement ou elle doit composer avec la culture numérique, la culture du jeux.

L’espace, sans être clairement évoqué, était une thématique très présente. La tablette numérique à fait l’objet de nombreuses communications. Il apparaît que notre rapport aux écrans se transforme. La posture numérique première de l’homme derrière son écran est en train de vaciller.

Les diverses interventions montraient assez clairement que les enseignants et les élèves se déplacent avec leur écran. Une nouvelle géographie se dessine, enseigner et apprendre dans la classe, enseigner et apprendre hors la classe. Dans cet espace reconfiguré, beaucoup revendiquent leur part de virtuel, voire de monde virtuel. Il s’agit évidemment d’un concept polysémique, je pense même que son utilisation systématique en appauvrit le sens, lui fait perdre de sa substance. Nous avons à engager un travail de balisage de ce champ lexical afin de le rendre moins confus. La lecture des ouvrage de Marcello Vitali-Rosati sur le virtuel (3) me semble être une excellente entrée en matière.

Un espace numérique semble émerger avec force, celui des jeux sérieux, les amateurs d’anglicismes préfèreront le terme de "serious game". Des collègues de toute la France ont expliqué et analysé leurs expériences. À la lumière des présentations, il me semble que nous nous situons à un moment charnière des environnements 3D, celui de la fusion entre le game et les environnements immersifs. En préalable de Ludovia j’avais rédigé un billet en m’appuyant sur les propos de B Stora dans l’ouvrage dirigé par Serge Tisseron (4) pour analyser cette possible fusion.

Twitter s’est imposé comme un espace de communication très efficace. Le hashtag (#) ludovia2012 a beaucoup circulé sur les réseaux pendant les quatre jours des débats. Je me posais la question suivante pendant les tables rondes : "et si nous donnions une impulsion supplémentaire à twitter ?" Pour l’instant les tweets sont dans une dynamique de "push", l’information va du colloque vers l’extérieur. Il me semble qu’il serait possible d’entrer dans une dynamique de "pull" c’est -à- dire de l’extérieur vers le colloque. Ne pourrait-on pas permettre, aux internautes disposés à interagir à distance, de poser des questions ? Il s’agirait dans ce cadre, de créer une dynamique élargie avec le ROL ( rest of ludovia). Cela entraînerait l’obligation de créer une fonction de community manager pour trier les tweets et relayer les questions aux intervenants (en tout cas pour les séances relayées par streaming). Il serait ainsi possible d’élargir le débat vers un espace plus large. Ce serait assurément une façon de penser les nouveaux espace du web et d’inscrire sa dynamique, par un principe de mise en abyme.

Je regrette que Ludovia n’ait pas ajusté la focale sur la FOAD. Ce mode de formation n’est pas encore mature pour la formation initiale, c’est certainement un espace de formation à définir.En imaginant de façon prospective la FOAD en formation initiale on ouvre un espace de réflexion. Historiquement le métier de professeur est inscrit dans un système organisé sur le principe de l’unité de temps et d’espace. Le numérique à déjà fait basculer cette organisation en ouvrant la classe sur le monde. Peut-on en l’état faire entrer la FOAD dans les dispositifs de formation initiale ? Certes elle existe pour des enseignements spécialisés (enfants malades, grands sportifs ...) mais quid de l’enseignement de masse ? Les déclarations de Vincent Peillon lançant le principe du site en ligne pour aider les élèves en difficulté sont peut être l’occasion de penser cette nouvelle dynamique. Il me semble qu’à terme il faudra penser le tutorat dans les dispositifs de formation initiale. En disant cela le pense lancer un pavé dans la mare, parce que le propos déconstruit un système établi.

Les potentialités des outils numériques s’expriment aussi dans leur capacité d’ouvrir l’espace de l’école sur l’extérieur. Une ouverture à bien des égards perturbante, puisqu’elle introduit dans les champs des apprentissages la vie privée. Les smartphones fascinent nos adolescents qui ont, très rapidement, développé des usages privés . L’école peine encore à les insérer puisque la vie privée télescope la vie scolaire. Peut-on utiliser ces technologies invasives dans les classes ? faut-il interdire ? Autoriser mais sous quelles conditions ? La lecture du livre de Stefana Broadbent nous aide à poser des jalons (6)

Nous avons une année scolaire et universitaire pour prolonger tous ces débats, dans nos classes et laboratoires de recherches. Gageons que cette année à venir soit féconde et nous permette de venir alimenter les réflexions de Ludovia 2013 et ... son anniversaire !

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(1) la grotte de Niaux http://www.sesta.fr/fr/grotte-de-ni...

(2) "Une histoire de la lecture", éditions actes sud, Alberto Manguel

(3) Marcello Vitali-Rosati "Circuler dans le virtuel", (2011), Corps et virtuel : Itinéraires à partir de Merleau-Ponty, son site personnel - http://www.vitalirosati.eu/

(4) "Mondes virtuels et jeux vidéos, réflexions à partir d’un livre de Serge Tisseron", blog de Jean-Paul Moiraud "ludovia, quel plaisir d’apprendre"(2012). http://moiraudaludovia.wordpress.co...

(5) COCA, observatoire oppidum http://94.citoyens.com/2011/saint-m...

(6) Stefana Broadbent, l’intimité au travail

Moiraud Jean-Paul

Cherche à comprendre quels sont les enjeux des perturbations du temps et de l'espace dans les dispositifs de formation en ligne. J'observe comment nous allons passer du discours théorique sur les bienfaits des modes collaboratifs à l'usage réel. Entre collaboration sublimée et usages individualistes de pouvoir, quelle place pour le numérique ?
 
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