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L’Ecole Supérieure du Professorat et de l’Education  Aquitaine – Mérignac (ESPE-Aquitaine) a organisé deux journées de réflexion sur l’Education au numérique (les 3-4 avril 2019) autour du bilan de l’enquête eRISK .

La richesse de la journée du 3 avril ne permet que de rendre compte partiellement des apports scientifiques et professionnels offerts aux participants.

« L’enquête eR!SK a pour but de mieux comprendre les pratiques numériques des enseignants qui débutent leur carrière et leur rapport au numérique. Nous mettons en regard leurs pratiques personnelles du numérique avec leur usage du numérique en contexte professionnel. Notre étude vise à comprendre l’influence que peuvent avoir les représentations des risques numériques sur les pratiques et les façons de réagir des enseignants. »[1]

La participation de la Fondation MAIF pour la réalisation de cette étude confiée à l’ESPE conforte la volonté de développer des relations collaboratives entre les différents acteurs de l’Education. Le rapprochement de ces deux institutions paraît dans la logique de la genèse de la MAIF. Cette mutuelle fut créée, en 1934, par des militants instituteurs pour protéger leurs collègues adhérents contre les risques causées par le développement de la pratique automobile. Elle  concerna rapidement d’autres risques dont en mars 2019 Jean Marc Truffet [2] donne la classification suivante : mobilité, vie quotidienne, naturel, numérique (investi depuis 4 à 5 ans).

" Les risques numériques sur les pratiques et les façons de réagir des enseignants "

En posant la question des « risques numériques sur les pratiques et les façons de réagir des enseignants », Vincent Liquète[3] souligne la nécessité de prendre en compte les transformations sociales et humaines que le numérique amplifie et en particulier la confrontation des connaissances de la multitude avec celles des experts. Il donne un objectif : prendre en considération les  représentations des élèves pour « construire un discours cohérent » dont l’objectif est « une utilisation raisonnée   du numérique ».

Une fois l’enjeu posé, rendre compte de la richesse de la journée  du 3 mars ne peut être qu’imparfait. 

Elle propose aux participants une conférence de Jocelyn Lachance[4] qui, en s’appuyant sur de nombreuses recherches qualitatives, décrit les prises de risque des adolescents utilisant des dispositifs techniques qui sont sans doute les plus significatifs à l’ère du numérique tel que le smartphone. Il insiste sur l’importance de l’analyse comparative entre le Québec et la France.

En situant son travail dans le domaine  de la socio anthropologie, le conférencier pose la problématique  de la formation de l’identité chez les adolescents. Il propose trois façons de devenir adulte : accepter le rite de passage proposé par l’adulte soit accepter l’encadrement de l’adulte, se mettre à l’épreuve soit prendre un risque pour mériter d’être adulte, expérimenter sa prise de risque en fonction des avis extérieurs.

Ces constats ne disent pas comment les adolescents vivent ces trois protocoles qui sont de fait la quête pour connaître sa valeur et la valeur que les autres lui attribuent.

La comparaison entre les situations antérieures au numérique et celles nées des réseaux sociaux par exemple montre que la temporalité de la prise de risque change.

Il y a vingt ans, la parole entre les spectateurs et l’adolescent prenant un risque existe. Aujourd’hui, la prise de risque est enregistrée pour devenir un message diffusé.  L’enregistrement et la diffusion du message suppriment ce temps de la parole en présence de l’ensemble des acteurs : l’instantanéité[5] n’existe plus.

La question posée à l’éducation est quand où et comment redonner cette parole pour que la prise de risque soit exprimée ?

Ce n’est plus les réactions des spectateurs qui donnent une valeur au risque mais le regard de soi et des autres sur une production virtuelle.

Jocelyn Lachance propose 4 regards : expérimenter le regard sur soi, solliciter le regard de son environnement proche et valider ou invalider la valeur de cette prise de risque : soit l’adolescent se confronte à sa propre image sans diffusion,  soit il expérimente son regard sur lui-même avant de prendre la décision de la diffusion, soit il prend le risque de la diffusion pour appartenir à un groupe, soit il risque la diffusion vers un ou des récepteurs anonymes en se fiant au hasard.

Jocelyn Lachance évoque la publication d’un sexto.  Le «sexto» vient de la contraction entre les mots «sexe» et «texto». C’est un message écrit, photo ou vidéo à caractère sexuel. La prise de risque lors de la publication est consciente. La notion de confiance est au cœur des nouveaux rites d’engagement.

L’enregistrement de la prise de risque par l’autre donne une nouvelle dimension à la prise de risque physique de l’adolescent. Quand elle est diffusée, elle est un témoignage que la prise de risque a des comparses et crée donc une responsabilité collective dans une prise de risque individuel.

Les commentaires de ces études montrent l’importance de la distinction entre la connaissance du fonctionnement d’un produit par exemple d’un jeu vidéo et les pratiques aux quelles les adolescents donnent sens.

Introduire une réflexion sur le numérique avec les adolescents serait de trouver la bonne distance entre les sens donnés à ces pratiques. Le débat avec la salle  complète cette proposition en  une réflexion sur  le risque corporel et le risque symbolique.

Les communications qui succèdent à la conférence de Jocelyn Lachance traitent de « Education, apprentissage et perception des risques».

Chaque contribution présente un diaporama qui par sa qualité infographique autorise à ne présenter ici que l’incitation à le consulter.

« Une grande nébuleuse qui fait un peu peur : prendre le risque de former par/au numérique à l’école et en formation professionnelle » est présentée par Anne Cordier[6], représentant le groupe projet PREMICES.

« La révolution numérique  est une chance pour l’école car les nouveaux outils offrent un potentiel pédagogique  important pouvant améliorer l’efficacité et l’équité du système éducatif….Si enseigner présente déjà une prise de risque, qu’en est-il à l’heure des paniques médiatiques prégnantes …. »

Les deux enquêtes l’une quantitative (février-avril 2019, l’autre qualitative (mai-juin 2017) mettent en évidence une cristallisation et une conscientisation des enjeux , un cadre socio technique inadapté créant un frein, une certaine appréhension à prendre le risque de choisir le numérique, une tension au sein de la classe.

La conclusion introduit des perspectives pour l’action et pose la question : quelle place pour le plaisir ? La réponse invite à distinguer le plaisir d’enseigner avec le numérique et le plaisir des pratiques numériques.

« Des adolescents face aux fakes news : représentations et connaissances d’un risque informationnel » est présentée par Gilles Sahut[7] et Sylvie Francisco[8].

« Les jeunes sont particulièrement concernés par cette problématique informationnelle. En effet, ils utilisent fréquemment les médias sociaux qui constituent pour eux une « porte ouverte sur l’information » (Cordier, 2015 ; Aillerie, McNicol, 2016).

Or c’est principalement par ces canaux que se diffusent les fake news (Martens et al., 2018). Si la littérature scientifique montre que les jeunes peinent à évaluer la crédibilité de l’information et l’autorité des sources sur le web (Serres, 2012, Sahut, 2017), à notre connaissance, on ne dispose pas d’études qui se sont plus spécifiquement intéressées à la perception des fake news par les jeunes. En ce sens, cette étude exploratoire tentera d’apporter des éléments de réponses aux questions suivantes : quelles sont les représentations et connaissances des adolescents sur les fake news ? Ont-ils le sentiment d’être exposés à un risque informationnel spécifique ? »[9]

La consultation du diaporama présenté, la lecture du texte de Gilles Sahut et le mémoire de Sylvie Francisco présentent des résultats à partir d’entretiens qui développent en particulier la perception floue des fakes news par les adolescents à partir d’une typologie qui relève 12 items allant du plus cité au moins cité, « des rumeurs (putaclic) » à « exagération médiatique ».

« L’éducation aux Médias et à l’information envisagée comme un outil de prévention des risques numériques par les enseignants du premier degré. » est présentée par Julie Pascau qui base son intervention sur l’état de sa thèse [10] dirigée par le Professeur Vincent Liquète.

Après une restitution infographique du public et des résultats, Julie Pascau conclut en proposant une liste des avis les plus souvent cités :

A priori positif du numérique par les enseignants du premier degré, manque d’équipement et de formation, le numérique vu comme un ensemble d’outils et de supports pédagogiques, la culture numérique méconnue, l’EMI vu avant tout comme un outil de prévention des risques. Elle indique que cette analyse reste à nuancer avec l’analyse d’entretiens en cours.

« L’école maternelle, l’acteur oublié face aux risques de l’utilisation précoce des médias. » présentée par Monika Tolosa.

Compte-rendu par Camille Capelle

 

 https://erisk.hypotheses.org/1195

 

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[1]https://erisk.hypotheses.org/files/2018/10/e-risk-Rapport-final-8-juillet-v2.pdf

Analyse eRisk, NéoTitulaires (n=724, Déc. 2017).

[2] Responsable communications et projet, Fondation MAIF

[3] Professeur des Universités en SIC (PR1C) – Habilité à diriger des recherches (HDR)

Directeur adjoint en charge de la coordination générale des formations (DA-F)

Université Bordeaux 4 – Montesquieu / ESPE d’Aquitaine

[4] Jocelyn Lachance , Maitre de conférences université de Pau et des Pays de l’Adour, Thèse : La temporalité comme matériel d’autonomie ; risques, jeux et rituels juvéniles dans la société hypermoderne., Université de Laval et de Strasbourg,, nov.2009.

[5] « La culture numérique et temporel des adolescents » in Jocelyn LachanceL'adolescence hypermoderne. Le nouveau rapport au temps des jeunes, Presses de l'Université Laval, coll. « Sociologie au coin de la rue », 2012, 148 p.

[6] Maître de conférences, Université de Rouen et Espe de Rouen, culurinfo.hypothèses.org

[7] PRCE, Espe de Toulouse, LERASS CT2 .

[8] Espe de Toulouse, mémoire : Connaissances, représentations, opinions des jeunes de 15-17 ans par rapport aux fake news Juin 2018. 

dante.univ-tlse2.fr/6298/2/Sylvie.Francisco_master2.pdf

[9] . ps://f.hypotheses.org/wp-content/blogs.../Actes_Sahut_Francisco_fake_news.pdf

[10] Représentations du numérique dans le périmètre de l'éducation aux médias et à l'information (EMI) et culture numérique des enseignants

Dernière modification le vendredi, 06 septembre 2019
Jeannel Alain

Professeur honoraire de l'Université de Bordeaux. Producteur-réalisateur. Chercheur associé au Centre Régional Associé au Céreq intégré au Centre Emile Durkheim. Membre du Conseil d’Administration de l’An@é.