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I know that’s who you are Licence Creative Commons photo credit : Andréa Joseph’s illustrations
Publié par Gildas Dimier sur le site (CC) Cactus Acide
Dans la continuité des billets que j’ai consacré à l’écriture numérique et à la publication explorées selon le texte comme design puis éditorialisation de soi, je vais me consacrer ici à dégager des pistes pédagogiques à partir du concept d’ « écriture de soi-s ». Si je pense essentiel de donner une dimension théorique à ma pratique professionnelle, c’est en toute humilité que j’entends la questionner sous le prisme de la philosophie foucaldienne. L’on voudra bien, par ailleurs, me pardonner, cas échéant, cette petite espièglerie grammaticale sur laquelle j’entends m’expliquer dans un instant.
Je vous renvoie, pour la référence à Foucault, à ce billet de Christian Fauré, inspiré, au moins en partie, de Bernard Stiegler. Je retiens en particulier l’idée d’une écriture numérique qui se trouve à la confluence de l’annotation (mémoire) et de l’extériorisation (publication). Au-delà des hypomnemata qui restent fondamentales, je suis aussi frappé par Sénèque (Lettres à Lucilius – lettre 84) que commente Foucault lorsqu’il écrit que « le scripteur constitue sa propre identité à travers cette recollection de choses dites ». Je trouve à ce propos une résonance tout aussi inattendue que potentiellement féconde au regard des enjeux numériques contemporains. D’où l’ajout de ce « s » à « écriture de soi-s » qui renvoie au subjonctif du verbe être, mode du doute, du souhait et de l’incertitude, vers une forme de re-conciliation des deux acceptions du terme « virtuel » dans ce qui est et peut être.
Reportée à la pédagogie info-documentaire, cette approche du texte comme « écriture de soi-s » est pertinente pour aborder les questions relatives à l’identité numérique. Je ne suppose pas devoir insister sur cette notion tant elle fait désormais l’objet de séquences ou séances pédagogiques. Mais je reste néanmoins davantage attaché à une approche qui privilégie la « présence numérique », potentiellement moins anxiogène en ce qu’elle n’opère pas sa centration sur les dangers ou les risques d’Internet.
Pour qui souhaite travailler cette question avec ses élèves je vous renvoie à cet article de Doc pour Docs où vous trouverez de nombreuses références. Ceci étant, je suppose qu’il serait important d’observer et d’analyser d’éventuels changements dans le rapport qu’ont les adolescents à leur intimité. Il ne semble pas improbable de considérer que la généralisation de l’acte de publication, qui est une extériorisation de soi, peut modifier leurs représentations socio-culturelles.
Pour revenir sur le terme d’incertitude mentionné ci-dessus, je suppose qu’une autre piste pédagogique pourrait concerner la recherche d’information, en particulier la navigation hypertextuelle. Si cette dernière peut sembler davantage tenir d’une pratique de lecture, le parcours de recherche, selon les choix que l’on opère, est aussi une « écriture de soi-s ».
Nous nous écrivons selon ce que nous lisons ou ne lisons pas. Que l’on me permette en tout cas de soumettre cet élément de réponse à Anne Cordier lorsqu’elle envisage d’enseigner l’incertitude pour construire une culture de l’information. Il me semble qu’il y a en la matière beaucoup à faire et c’est par défaut que je vous propose cette unique séquence qui, pour l’avoir expérimentée à plusieurs reprises, est tout à fait concluante.
La navigation hypertextuelle, en ce qu’elle formalise le parcours de recherche, exprime la double intention de celui qui a publié et de celui qui navigue. Il me semble en conséquence qu’elle peut être particulièrement pertinente pour que les élèves apprennent à anticiper leurs recherches et plus généralement leur rapport au web et au numérique.
Il me semble, pour troisième et dernière piste à explorer, que le texte comme « écriture de soi-s » peut donner lieu à des séquences pédagogiques qui abordent l’écriture collaborative.
Il s’agit moins ici de considérer le travail d’écriture que de questionner avec les élèves la notion d’ « auteur » dans le contexte numérique. Ici, l’ « écriture de soi-s » devient une « écriture du nous » qui n’a d’intérêt que si les élèves y sont un temps soit peu préparés.
Ce serait, sinon, prendre le risque de voir les uns s’effacer quand les plus actifs ne sont pas nécessairement les plus pertinents. J’ai pris pour habitude, pour l’écriture collaborative, de faire travailler les élèves sur des pads (ici ou ici). Ils présentent l’intérêt de partager une zone de texte et une zone de chat dont les élèves doivent, entre autre, coordonner l’usage pour avancer dans l’écriture. Surtout, l’écriture collaborative suppose des phases de concertation sur lesquels je m’appuie pour questionner les notions d’auteur, d’autorité et d’autoritativité
Pour quelles raisons le groupe a-t-il choisi la formulation de tel élève plutôt que de tel autre ? Après réflexion, ces choix leur semblaient-ils toujours bien-fondés ? Je reviens par ailleurs sur ces notions comme prérequis lorsqu’il s’agit d’aborder la notion de publication et ce qu’elle implique en terme d’investissement personnel.
Pour reprendre Foucault commentant Sénèque, je vous propose pour finir de remplacer « collection » par « redocumentarisation » de sorte que « le scripteur constitue sa propre identité à travers cette [redocumentarisation] de choses dites ». Et de bien vouloir considérer là, que ce que sous-tend la notion de publication, constitue, pour nos élèves, un enjeu majeur de leur devenir.
An@é

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