Biennale soutenue par la télévision et la radio
Le livre est passionnant car c’est une traversée de la France artistique, de ses enjeux pendant vingt-six ans. Dans chaque partie chronologique, des thèmes sont également proposés hors chronologie. Les recherches sont basées sur l’analyse d’archives de critiques d’art, de coupures de presse et de reportages de la RTF et l’ORTF (Office de radiodiffusion-télévision française).
La Biennale de Paris initialement intitulée « Biennale internationale des jeunes artistes » a été étudiée en partenariat avec différentes institutions : les Archives de la Critique d’art (Rennes), la Bibliothèque Kandinsky du Centre Georges-Pompidou, l’INHA et l’Institut National de l’Audiovisuel (INA).
Ont participé des historiens, des anthropologues, des commissaires, d’anciens acteurs de la Biennale... Une trentaine de textes et des recueils de témoignages reviennent sur l’impact et le rôle de cette manifestation qui était très attendue et soutenue par la télévision et la radio. L’INA sous la plume de Catherine Gonnard contribue à cet ouvrage. Dès les débuts de la télévision, de nombreux reportages sont consacrés à la culture et aux arts plastiques qui entrent ainsi dans les foyers : présentation de gravures (la télévision est en noir et blanc), visite de galeries pendant les actualités… En 1959, première année de la Biennale de Paris, la télévision prend de l’ampleur.
1967, c’est l’éclatement de la couleur à la télévision : les jeunes font de la musique, du mouvement, de la peinture. La jeunesse s’affirme sur le mode contestataire. Les artistes du groupe BMPT - Daniel Buren, Olivier Mosset, Michel Parmentier et Niele Toroni - refusent que leurs œuvres soient exposées et de les commenter – ils quittent la Biennale devant les caméras par leur déclaration devenue célèbre.
La Biennale de Paris a connu d’autres rebondissements. Elle a permis de découvrir Christo, Boltanski, Hockney... Le livre reconstitue cette période marquée par d’importantes transformations politiques, et relate en filigrane des étapes de l’histoire de l’information et de la communication.
En parallèle à la publication, un portail de recherche numérique permet d’explorer les archives, les dossiers des artistes - il restitue la recherche menée de 2017 à 2021 : https://bdp.hypotheses.org/.
Le poids de la politique
L’ouvrage offre une renaissance de l’événement près de soixante ans plus tard en rendant compte de son foisonnement, des courants artistiques (Nouveau Réalisme, art abstrait, Supports Surfaces, art conceptuel…), des médiums et techniques, de l’évolution des pratiques. Nous découvrons le poids de la politique au sein du domaine culturel.
Inaugurée en 1959 sous André Malraux, ancien Ministre de l’Information à la tête du premier Ministère des Affaires culturelles, la Biennale de Paris doit faire rayonner la France qui depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale a perdu de son aura au détriment des Etats-Unis, de New York. L’objectif est aussi de rivaliser avec les Biennales de Venise, São Paulo, la Documenta de Cassel… De 1959 à 1969, le critère de l’âge - de 18/20 à 35 ans – est imposé, et les pays proposent un choix d’œuvres réalisées par de jeunes artistes. A certaines éditions, quarante à plus de cinquante pays sont représentés - ce critère est abandonné pendant les années 1970 car coûteux et peu pertinent, mais il est réimposé la décennie suivante.
En 1985, l’échec de la Biennale s’explique en partie par le manque de coopération entre la Ville de Paris qui se désengage et l’Etat. A cette ultime édition, 200 000 visiteurs sont attendus mais seulement 100 000 personnes se déplacent dont 20 % ont bénéficié d’invitations. La Villette, ancien abattoir, a été inaugurée en Grande Halle de la culture mais la Biennale n’apporte plus de renouveau. Les artistes présentés ne sont pas émergents mais déjà reconnus et le contexte a changé. Le Centre Georges-Pompidou a ouvert en 1977. Les politiques culturelles et la décentralisation ont favorisé l’ouverture de Centres d’Art Contemporain (CRAC) et de Fonds Régionaux d’Art Contemporain (FRAC).
Le déficit financier s’élève à plusieurs millions de francs. Georges Boudaille, critique d’art et Délégué général de l’association organisatrice, est congédié. Il a marqué cette Biennale qu’il a dirigée du début des années 1970 jusqu’en 1985. C’est un des personnages intéressants de cet essai et on souhaiterait en savoir davantage par un article-portrait, même si les témoignages recueillis rendent compte de sa vision et de la dynamique impulsée. Sa première édition en 1971 accordait une place prépondérante à la jeunesse, non plus en fonction de l’âge des participants mais en tant qu’attribut des pratiques artistiques : art vidéo, pratiques expérimentales, installations sonores, interdisciplinarité...
Fatma Alilate
Légende photo : Coupure de presse 1959 issue du sous-ensemble “Presse de la Biennale de Paris” au sein du fonds d’archives “Biennale de Paris 1959-1985”, INHA-collection Archives de la critique d’art
Parution en novembre 2023, 654 pages, illustré17 × 24 cm, Coédition INHA/Les Presses du réel, 34 €
Auteurs : Mathilde Arnoux, Jérôme Bazin, Clelia Barbut, Paula Barreiro-López, Marion Bélouard, Caroline Bissière, Caroline Bodolec, Jean-Louis Boissier, Estelle Bories, Georges Boudaille, Aurore Buffetault, Pauline Chevalier, Juliane Debeusscher, Elitza Dulguerova, Lilian Froger, Irina Genova, Mica Gherghescu, Catherine Gonnard, Alanna Heiss, Hélène Jannière, Justine Jean, Klara Kemp-Welch, Jean-Hubert Martin, Federica Milano, Catherine Millet, Maureen Murphy, Françoise Nicol, Alfred Pacquement, Agata Pietrasik, Jean-Marc Poinsot, Magda Predescu, Julia Raymond, Julie Sissia, Piotr Słodkowski, Guillaume Soulez, Annabela Tournon, Anne Zeitz.
Dernière modification le jeudi, 21 décembre 2023
