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Depuis 2015, La revue scientifique “The Lancet” publie chaque année le “Countdown on health and climate change” qui s’appuie sur l’expertise de scientifiques et professionnels de la santé issus d’organisations de recherche de niveau international et d’agences des Nations Unies (OMS, FAO, …). Le rapport publié mi-novembre fait un inventaire des enjeux auxquels nous faisons face dans un document de 49 pages qui détaille l’impact croissant du changement climatique sur la santé santé des populations du monde entier en pointant les risques qui pourraient s’aggraver d’une part et les opportunité pour y faire face d’autre part.

Bilan sanitaire du changement climatique en 2023

La température moyenne de la planète en 2022 a été supérieure de 1,15 °C à sa valeur de la deuxième partie du 19ème siècle, des records de chaleur ont été battus dans de nombreuses régions du globe et l’on a dénombre deux fois plus de jours de canicule par an qu’au cours de la période (1986-2005). Les personnes âgées (>65 ans) et les jeunes enfants (< 12mois) sont les plus exposés aux effets sanitaires de ces périodes de forte chaleur au point que la mortalité des plus de 65 ans a augmenté de 47 % (à population égale) par rapport à 1990-2000.

Outre l’élévation des températures le changement climatique endommage l’environnement naturel ce qui détériore les conditions de vie des populations. La sécheresse a touché 47 % des terres émergés au cours de la période 2013-2022 soit presque trois fois plus qu’au cours de la période 1951-1960 avec des effets significatifs sur l’accès à l’eau, les productions agricoles, les réseaux d’assainissement. Le nombre de personnes en situation d’insécurité alimentaire modérée ou grave ne cesse d’augmenter et a atteint 2,3 milliards de personnes (29,3 pour cent de la population mondiale) et s’accompagne d’un accroissement d’effets irréversibles de la malnutrition (cécité, troubles mentaux…). Le dérèglement climatique accroît aussi l’exposition à des pathologies infectieuses comme la dengue, le paludisme, les vibrioses et la propagation de virus (Zika, Chikungunya virus du Nil occidental).

Aux impacts directs sur la santé, le réchauffement climatique ajoute des dommages indirects, qu’il s’agisse des moyens de subsistance les plus élémentaires, ou de la capacité à lutter collectivement contre ses causes et ses effets. Pour exemples :

  • les pertes dues aux phénomènes météorologiques extrêmes ont augmenté de 23 % entre les périodes 2010-14 et 2018-22 ; elles représentaient 264 milliards de dollars pour la seule année 2022,
  • l’exposition à la chaleur a entraîné des pertes de revenus estimées à 863 milliards de dollars au niveau mondial.
  • une étude menée auprès de 900 villes dans le monde par Carbon Disclosure Project en 2022 a relevé que 27 % d’entre elles ont déclaré s’inquiéter du fait que leurs systèmes de santé soient submergés par les impacts du changement climatique.

On note aussi que ce sont les pays les plus pauvres, à l’indice de développement humain (IDH) inférieur à 0,51, qui pâtissent le plus des pertes de capacité de travail causées par le réchauffement ce qui aggrave les inégalités mondiales, notamment en terme d’accès aux soins dans des systèmes de santé déstabilisés par une sollicitation croissante, des ressources financières limitées et de faibles capacités techniques et humaines. En 2022 il n’y a que 44 % des pays à faible IDH et 54 % des pays à IDH moyen (compris entre 0,51 et 0,64) qui ont fait état d’une mise en œuvre de capacités de gestion des urgences à comparer au taux de 85% pour les pays à IDH très élevé (supérieur à 0,89).

Ces inégalités sont accentuées par l’incapacité de certains pays riches à tenir leurs promesses de contribuer à l’aide annuelle de 100 milliards de dollars pour soutenir l’action climatique dans les pays en développement. Ainsi, les pays qui ont historiquement le moins contribué le moins au changement climatique en subissent le plus gros de ses impacts sur la santé.

Effets de l’inaction contre le réchauffement climatique sur la santé

Avec une émission totale de gaz à effet de serre de 52,6 milliards de tonnes d’équivalent CO2 en 2022, et sans réduction significative et rapide, il faut craindre que les menaces sanitaires croissantes observées jusqu’à présent soient les signes précurseurs et les symptômes de ce qu’un climat en évolution rapide présage pour la santé des populations mondiales.

Si la température moyenne du globe continue d’augmenter jusqu’à +2°C, et en l’absence de mesures significatives pour l’adaptation au réchauffement climatique, les décès annuels liés à la chaleur devraient augmenter de 370 % d’ici le milieu de notre siècle. A elles seules, les vagues de chaleur pourraient pousser 525 millions de terriens de plus vers une insécurité alimentaire modérée ou grave d’ici à la période 2041-60, aggravant alors les effets de la malnutrition partout dans le monde.

Le poursuite du réchauffement entraîne aussi une augmentation maladies infectieuses par l’expansion des écosystème favorables au développement d’agents pathogènes ou des insectes qui en sont les vecteurs. On estime que, d’ici à 2050, cela entraîne une augmentation de 17 à 25 % du risque de contracter une vibriose et d’un accroissement 36 % du potentiel de transmission de la dengue.

Ces estimations fournissent une indication de ce que l’avenir pourrait nous réserver. Toutefois, on ne peut exclure l’émergence de phénomène non connus à ce jour, d’effets d’enchaînements et/ou de synergie qui amplifieraient les menaces pour la santé des populations du monde entier.

Ou en sommes nous ?

Les risques sanitaires présentés ci dessus justifient l’impérieuse nécessité d’accélérer l’action de tous contre le changement climatique. Alors que les limites de l’adaptation se rapprochent, il est maintenant primordial d’engager des programmes d’atténuation ambitieux pour se prémunir de catastrophes sanitaires d’une part et faire face aux pathologies nouvelles avec les ressources humaines techniques et financières des systèmes de santé.

Force est de constater que les mises en gardes des scientifiques de puis des années n’ont pas été suivies d’effets significatifs sur les politiques publiques et qu’un scenario de réchauffement à +3°C ne peut pas être écarté notamment à cause la part d’énergie produite à partir de combustibles fossiles. Ainsi : 

  • les émissions de CO2 liées à la production d’énergie ont progressé de 0,9% en 2022,
  • la part des énergies renouvelables pour la production d’électricité est toujours inférieure à 12 %, soit trois fois moins que ce qui est produit en brûlant du charbon 

Plus préoccupant, grisées par des bénéfices records les sociétés pétrolières et gazières ne cessent de s’écarter des objectifs de l’Accord de Paris : Les stratégies des 20 plus grandes sociétés pétrolières et gazières du monde se traduiront en 2040 par des émissions dépassant de 173 % les niveaux conformes aux objectifs de la COP21, alors que leur investissement dans mes énergies renouvelables atteint péniblement 4 % de leurs investissements en capital dans les énergies renouvelables en 2022

Plus généralement les investissements mondiaux dans les combustibles fossiles ont augmenté de 10% en 2022, pour atteindre plus de 1 000 milliards de dollars. L’expansion des activités d’extraction de pétrole et de gaz a été soutenu par des financements privés et publics. Entre 2017 et 2021, les 40 banques qui prêtent le plus au secteur des combustibles fossiles y ont investi collectivement 489 milliards de dollars par an en moyenne. L’analyse géographique des financements de l’extraction de combustibles fossiles montre que, en 2020, 78 % des pays sont responsables de 93 % de toutes les émissions mondiales de CO2, et que leur soutien à ce secteur s’est élevé à 305 milliards de dollars. En plus d’être contre-productive cette fuite en avant est profondément inéquitable.

Quelles opportunités pour offrir à tous un avenir sain

Actuellement 775 millions de personnes n’ont pas accès à l’électricité et près de 3 milliards dépendent toujours de combustibles issus de la biomasse (bois principalement) pour répondre à leurs besoins domestiques. Dans ces conditions la transition vers les énergies renouvelables peut permettre l’accès à des services décentralisés énergie propre et, couplée à des interventions visant à accroître l’efficacité énergétique, elle peut réduire la pauvreté énergétique et surtout fournir l’énergie nécessaire à des services de santé de qualité. En réduisant le combustion de combustibles “sales” (groupes électrogènes, biomasse brûlée en foyer ouvert), de telles interventions pourraient contribuer à éviter la part des 1,9 millions de décès qui surviennent chaque année à cause de ces combustibles sources de particules fines aéroportées et réduire les décès liés à l’exposition à la pollution de l’air intérieur (78 décès pour 100 000 personnes). De plus, le simple développement des marchés des unités de production d’énergies renouvelables décentralisées peut générer la création d’emplois non délocalisables.

L’essence et le gazole couvrent 98 % de l’énergie utilisée dans le transport routier à l’échelle mondiale. Si la mobilité “zéro émission” est hors de portée à court terme, il y a des marges de manœuvres pour promouvoir des déplacements moins ou pas polluants (transports collectifs, vélo, marche) là où c’est pertinent et diminuer ainsi les 460 000 décès causés par les émissions nocives de particules fines par les véhicules.

En plus de générer des économies d’énergie, la réorganisation des espaces urbains pour optimiser la performance énergétique des bâtiments et réduire les îlots de chaleur contribue à l’amélioration des conditions de vie au jour le jour avec un effet préventif sur la santé physique et mentale des habitants.

Le secteur alimentaire est responsable de 30 % de émissions mondiales de gaz à effet de serre, 57 % des émissions agricoles en 2020 proviennent de l’élevage destiné à la production de viande et de laitages. Alors que la surconsommation alimentaire des pays développés se traduit par une explosion de pathologies comme le diabète ou des maladies cardio-vasculaires, 10 % de la population mondiale ne mange pas à sa faim et plus de 2 milliards de terriens n’ont pas accès à une alimentation saine. Dans ces conditions une alimentation équilibrée issue d’une agriculture décarbonée qui répond aux normes nutritionnelles et aux aspirations culturelles peut contribuer à l’atténuation du réchauffement climatique, d’une part, et abaisser le nombre de décès imputables à des régimes alimentaires sous-optimaux (12,2 millions par an), d’autre part.

Malgré leur timidité les mesures prises depuis 20 ans ans commencent à donner des résultats encourageants qui sont autant d’arguments pour accélérer le tempo. Depuis 2005 les décès attribuables à la pollution de l’air généré par l’usage des combustibles fossiles a diminué de 15,7%, et 80 % de de cette réduction résulte d’une réduction à la source des émissions provenant du charbon. Bien qu’elles aient tardé à être développées les énergies renouvelables représentent 90% de croissance de production d’électricité en 2022, et cette année là, les investissements dans la production « d’énergie propre » ont augmenté de 15 %, pour atteindre 1300 milliard de dollars.

On remarque également que les effets du changement climatique sur la santé sont de mieux en mieux connus : 24% de tous articles de presse sur le dérèglement du climat en 2022 faisaient référence à santé. Les organisations internationales sont de plus en plus nombreuses à souligner les co-bénéfices sur la santé des action pour l’atténuation du réchauffement et sont suivies par les gouvernement lors de la mise à jour de leur contribution au titre de l’accord de Paris.

La santé, priorité au cœur de l’action climatique

D’après le dernier rapport du Programme de l’ONU pour l’environnement (PNUE) publié le 17 novembre dernier on peut lire que le monde se dirige actuellement vers un réchauffement de 2,9 °C. Tout nouveau retard dans l’action contre le changement climatique menace un peu plus la santé et la survie de milliards de personnes. Aussi, la priorisation de la santé dans le contexte des négociations à venir pourraient offrir une opportunité sans précédent pour mener des actions pertinentes à tout point de vue.

S’engager dans cette voie nécessitera de faire face aux les intérêts économiques des producteurs de combustibles fossiles et aux autres secteurs industriels dont les pollutions sont dommageables pour la santé, en se fondant sur les alternatives technologiquement robustes, économiquement viables, socialement acceptables et soutenables pour l’environnement : tout un programme !

La protection de la santé des populations dans les politiques climatiques exigent le leadership, l’intégrité et l’engagement de tous les acteurs de santé. Avec son approche scientifique, cette communauté est dans une position unique pour garantir que les décideurs soient tenus responsables et encouragent une action climatique centrée sur l’humain en protégeant avant tout la santé de chacun.

Les ambitions de l’Accord de Paris sont toujours réalisables, et un avenir prospère et sain est encore envisageables à condition que convergent les efforts et les engagements concertés des professionnels de la santé, des décideurs politiques, des entreprises et des institutions financières pour un avenir prospère pour tous.

Xavier Drouet
Article publié sur le site : Changement climatique et santé : État des lieux et perspectives - Hommes et Sciences

Dernière modification le mercredi, 06 mars 2024
Drouet Xavier

Xavier DROUET, 63 ans, est ancien élève de l'École Normale Supérieure où il a étudié la Physique et la Biochimie. Il est aussi Docteur en Médecine.
Après une carrière scientifique dans la recherche académique, appliquée et industrielle, il a dirigé plusieurs sociétés à fort contenu technologique pendant 15 ans et consacré 8 années à soutenir la recherche, l'innovation et le développement économique au niveau régional et national à des postes de direction au ministère de la Recherche et dans les services du Premier Ministre en France.
Depuis 2015 il exerce une activité d'expertise et de consultant pour accompagner des projets de créations ou de croissance d'entreprises de la microentreprise unipersonnelle à la start-up «techno».
Il est également auteur et conférencier (sciences, économie, stratégie) pour le compte d'entreprises, d'organisations de diffusion de la culture scientifiques et de media d'information pour les professionnels ou le « grand public ».

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