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Robert Sauvaget / Inspecteur Education Nationale / 7 juin 2020 : Notre Nation vit une crise sanitaire, sociale, économique sans précédent. Certes ce n’est pas la première dans notre histoire mais les réactions individuelles et collectives sont d’une rare intensité, mêlant sentiments, croyances, peurs, replis sur soi mais aussi actions de solidarité et engagements…

L’institution scolaire a participé à la résilience nationale avec de belles réussites permettant de répondre aux attentes légitimes, développant de nouveaux savoir-faire en renforçant les liens entre enseignants et élèves, construisant de nouveaux dispositifs pédagogiques à distance, centrés sur les parcours d’apprentissages. De nouvelles solidarités et sociabilités ont été découvertes.

Ce côté « lumineux » ne doit pas occulter également les aspects plus problématiques liés au renforcement de l’individualisme, au manque de matériel, aux limites des liaisons internet, à la perte de lien avec certaines familles, aux incertitudes professionnelles des parents créant des inquiétudes fortes, au regard critique sur le système scolaire… Ce qui a généré un éloignement de nombreux élèves de l’école.

L’attention de l’enseignant sur l’élève, attitude bienveillante, encourageante, l’accompagnant dans sa démarche d’apprentissage est indispensable à sa motivation, à sa réussite, en particulier quand l’environnement familial est critique vis-à-vis de l’école et des valeurs qu’elle véhicule. C’est le véritable enjeu de la reprise progressive du fonctionnement de l’école, associant présentiel rassurant et liens à distance, forme d’hybridation de la transmission des connaissances et de l’enseignement qui est à inventer...

Afin d’éclairer le regard que nous pouvons porter sur cette période et sur « l’après », quatre questions ont été proposées à un panel d’enseignants, qui ont générées un ensemble de réponses croisées avec des réflexions de responsables pédagogiques…

Quelle est votre perception de cette période ?

Les sentiments partagés par les enseignants peuvent se résumer à quatre termes : sidération, urgence, stress et fierté.

Sidération : face à l’arrêt général annoncé à la veille d’un weekend, en lien avec une menace relativement abstraite et encore lointaine, donnant un caractère de gravité à l’évènement…Malaise persistant lors des rares visites à l’école pendant le confinement.

Urgence : forme de frénésie pour répondre aux demandes institutionnelles et à la nécessité d’organiser la continuité pédagogique à distance en très peu de temps ; mobiliser les ressources, hiérarchiser les informations massivement diffusées avant de les traiter et de les exploiter dans un délai maîtrisé (instructions officielles, documents pédagogiques, sites, applications, travail en équipe informations issues des médias…) ;

Stress : la confrontation à l’inconnu et l’inquiétude de ne pas respecter les consignes et règles sanitaires nécessitent de concevoir un nouveau modèle de relation pédagogique faisant appel à de nouvelles pratiques professionnelles ; le sentiment d’isolement et d’enfermement, étant confiné sans la présence des collègues malgré les liens à distance, a fortement accentué le stress ; la difficulté à utiliser des outils numériques peu performants (ENT institutionnel…) a engendré également frustration, perte de temps et d’énergie.

Fierté : sentiment qui fait souvent suite aux précédents, en lien avec les réussites et la créativité mise en œuvre ; de nouvelles compétences ont été acquises ou consolidées, bénéfice pour l’avenir, à travers un travail de recherche dense souvent mené en équipe avec une forte mobilisation des enseignants; élaboration de supports adaptés aux élèves pour un travail personnel, en complément de ce qui est proposé par le CNED ; retour très positif de certains parents et prise de conscience de tout le travail mis en œuvre dans la perspective également de l’ouverture progressive des écoles à compter du 11/05… Une réelle considération de la communauté scolaire vis-à-vis de l’engagement individuel et collectif des équipes.

Quelles modifications ont été mises en œuvre et quelles sont celles qui doivent perdurer ?

Plusieurs dimensions sont évoquées avec des perspectives différentes en fonction de leur nature :

  • Repenser la communication avec les familles et mettre en place une réactivité pour répondre aux inquiétudes des parents (listes de diffusion…).
  • Mieux s’approprier les outils numériques en mesurant que certains outils académiques ne sont pas adaptés à la densité des informations communiquées ; l’usage de nouveaux mode de communication (visioconférence, listes de diffusion, classe virtuelle, cours en ligne, vidéo explicative/classe inversée…) a permis de découvrir d’autres modalités de travail et d’échange (dynamique d’équipe).
  • Mettre en place des activités différenciées en fonction des besoins identifiés (personnalisation des parcours scolaires avec l’usage des outils numériques…) ;
  • Organiser l’archivage de données numérisées liées aux travaux et résultats des élèves en lien avec les autres traces écrites.
  • Nécessité de former les Directeurs à ces usages dans la perspective du pilotage d’une école, du management d’une équipe et de l’élaboration d’une démarche cohérente de communication avec les partenaires de l’école.
  • Développer le prêt de matériel aux élèves (tablettes…) et de supports pédagogiques de base (manuels, fichiers…) pour certaines familles défavorisées.
  • Poursuivre l’accompagnement personnalisé des équipes pédagogiques par l’équipe de CPC et l’IEN.

Quelles urgences prendre en compte ?

Les éléments de réponse croisent les points évoqués précédemment :

  • Sensibilisation et responsabilisation des parents d’élèves absents sur la nécessité d’une scolarisation effective ou un suivi efficace de la continuité pédagogique instaurée à distance (répondre aux sollicitations des enseignants…) ; le risque de décrochage est accru pour de nombreux élèves…
  • Comment prendre en compte les programmes et définir des priorités en termes de compétences fondamentales avec une scolarisation en alternance ou une instruction au domicile ; c’est la question de la gestion d’une très grande hétérogénéité des groupes d’élèves qui se pose actuellement et se posera encore plus en septembre…
  • Formation à l’enseignement à distance et aux usages des outils numériques dans le cadre de la formation statutaire des enseignants.
  • Dotation de matériel numérique adapté pour les enseignants avec des accès facilités à Internet et aux applications ; dotation de tablettes pour les élèves afin de maintenir un lien pédagogique (élément pour une « hybridation » de l’enseignement).
  • Mettre en place en temps scolaire un suivi des PPRE conçus avant le confinement et bien articuler les APC avec les priorités définies pour les élèves concernés (apprentissages fondamentaux).
  • Poursuivre la dynamique d’équipe et la réflexion collégiale engagée.
  • Conforter le rôle de coordonnateur du Directeur qui pilote localement les dispositifs pédagogiques et la communication avec les familles et partenaires institutionnels

Comment repenser et avec qui les espaces et les temps scolaires et éducatifs ?

Vaste sujet, qui s’inscrit plus largement dans une réflexion très ancienne autour du rythme scolaire, des alternances temps de classe/temps périscolaire, des projets éducatifs partagés ou transversaux, de la place des parents à l’école, des équilibres sur l’année entre période de classe et vacances…

L’épidémie, le confinement et la période de reprise progressive interrogent à nouveau ces dimensions du « scolaire », « domaine éducatif partagé », « périscolaire et parascolaire »…

  • Définir des règles pour organiser l’hybridation d’un enseignement en présentiel et à distance : travail en équipe pédagogique, rôles des élèves et parents…
  • Mettre en place des formations spécifiques pour mieux maîtriser les modalités d’organisation d’un enseignement à distance (contenus, outils et applications numériques, partenaires…).
  • Organiser une plus grande coordination entre le scolaire et le périscolaire en termes de contenus et de projets, en respectant les spécificités de chaque institution et avec des formations communes ; l’école pourrait devenir le lieu central d’un ensemble d’actions éducatives avec une complémentarité d’acteurs en lien avec les besoins identifiés chez les enfants… Mais il est nécessaire de rappeler également les missions de chacun et la particularité du processus d’apprentissage qui nécessite une expertise détenue par les enseignants…
  • Conserver une cohérence sur l’ensemble du territoire national au regard de la disparité des projets, propositions, offres et moyens des collectivités (cadre de programmes et de référentiels communs…)
  • Revoir le rôle du Directeur comme coordonnateur des actions, ou interlocuteur central, avec une décharge de classe ajustée à la mission.
  • L’aménagement des locaux, des cours de récréation, des espaces collectifs et des mobiliers reste d’actualité dans la perspective d’une circulation aisée des personnes, du travail en groupes, du climat scolaire et des relations à établir au sein d’un espace plus accueillant…
  •  Responsabiliser les équipes locales qui ont acquis une expérience et qui pourront s’engager dans les réflexions collégiales menées également en partenariat…

En guise de conclusion provisoire, je souhaite soulever trois interrogations sur « le monde d’avant » pour envisager autrement « le monde d’après » :

Le confinement a révélé une immense solidarité qui se traduit par des engagements et des innovations ayant permis de répondre aux urgences causées par cette épidémie : ces actions, ces démarches, cette valeur de solidarité doit devenir un axe central pour nous tous : le collectif qui s’entraide, l’intelligence collective deviennent des forces qui dépassent largement la somme des qualités individuelles. Je caractérise cette notion de citoyenneté solidaire…

Le rôle de l’Etat et la référence à la République qui est garante à la fois des libertés individuelles mais aussi de l’intérêt général : cette double articulation est complexe à gérer, encore plus en situation de crise sanitaire, mais elle correspond à une approche pragmatique et réaliste, celle du rôle des limites et des règles inhérentes au principe du Vivre ensemble et à la citoyenneté collective responsable.

L’explosion depuis quelques années du « numérique », se révèle aujourd’hui vecteur essentiel pour garder du lien au niveau éducatif (continuité pédagogique, relation au sein de l’équipe et avec les familles…), au niveau familial et sociétal. Mais nous devons garder « raison » face aux dangers du tout numérique, du tous à distance : il est urgent de construire une citoyenneté numérique éclairée, plaçant le numérique au service de l’Homme, pour communiquer, pour s’informer, pour apprendre, pour produire des données…

Robert Sauvaget / Inspecteur Education Nationale / 5 juin 2020

Dernière modification le vendredi, 02 septembre 2022
Laurissergues Michelle

Présidente et fondatrice de l’An@é, co-fondatrice d'Educavox et responsable éditoriale.